Fox est la chaîne d’information la plus regardée aux Etats-Unis depuis 66 trimestres. Comment expliquer ce succès?

La chaîne d’information américaine Fox News a de nouveau réussi à se singulariser par les messages étonnants qu’elle a adressés au monde ces derniers jours. Un passage dans lequel “le Danemark socialiste” était comparé au Venezuela a déjà reçu une réponse appropriée de Copenhague. Dans un autre extrait, nous avons appris que les États-Unis ont vaincu le “Japon communiste” pendant la Seconde Guerre mondiale.

Fox News Channel a été la chaîne d’information la plus regardée aux États-Unis pendant 66 trimestres consécutifs. Les grandes figures de la chaîne (Sean Hannity, Tucker Carlson et Laura Ingraham) attirent trois fois plus de téléspectateurs que celles des chaînes concurrentes MSNBC, CNN et ABC. 

Comment expliquer la popularité de Fox News Channel ?

Tout d’abord, il y avait la vision de Roger Ailes, le fondateur de Fox, décédé l’année dernière. Cet ancien collaborateur de Richard Nixon a vite compris que les réseaux existants servaient principalement les intérêts de l’Amérique démocrate, concentrée autour des grandes métropoles de New York, Washington DC et Los Angeles. Aujourd’hui, 1 journaliste américain sur 5 vit dans cette région.

“Fair and balanced”

Ailes – qui démissionnera plus tard parce que lui et beaucoup d’autres hommes qui occupaient des postes importants chez Fox ne parvenaient pas à se contrôler lorsqu’il y avait des femmes à proximité – et son financier Rupert Murdoch ont élaboré un plan de génie. Plutôt que de se battre contre les médias grand public, ils se sont concentrés sur le renforcement de l’idée selon laquelle les médias avaient un parti pris contre la population conservatrice. Le slogan de Fox, « Fair and balanced » (« Juste et équilibré ») insinue que les autres ne le sont pas.

Un ancrage très à droite

Ensuite, il y a le paradoxe entre Fox News et Fox Opinion, que peu connaissent. Fox News compte plusieurs excellents journalistes : Shepard Smith et Bret Baier, pour n’en citer que deux. Ils travaillent pour le service d’actualités de Fox et tentent chaque jour de dresser un compte rendu objectif des faits. A côté, il y a les faiseurs d’opinion : Sean Hannity, Tucker Carlson, Laura Ingraham…

Des personnes très ancrées à droite – selon les normes européennes – qui présentent des émissions d’opinion et dans lesquelles ils s’appuient rarement sur des faits, énonçant plutôt des choses que leur public veut entendre. Ce dernier crée une chambre d’écho – amplifiée par les réseaux sociaux – où leurs arguments et ceux du président Trump (53,8 millions d’adeptes sur Twitter) sont confortés en permanence. 

La distinction entre les faits et les opinions n’a pas d’importance, tant qu’elle renforce notre vision du monde

Le problème est qu’une grande partie de la population conservatrice n’est plus en mesure de distinguer les opinions des faits. Une étude récente de Pew Research montre que les gens aiment prendre quelque chose comme un fait lorsque cette chose est cohérente avec l’opinion qu’ils avaient déjà.

Lorsque Sean Hannity (3 millions de téléspectateurs chaque soir) commence son émission avec un cadre dans lequel on peut lire les mots « Deep State » ou « Abuse of Power » affiché à côté de lui, cela ne fait que renforcer le message que le président et le parti républicain qu’il dirige seul voudraient diffuser. Toute personne qui ne regarde que Fox et ne fait jamais l’effort de visionner d’autres chaînes d’information, formera bientôt sa propre opinion sur la base d’autres opinions, plutôt que sur des faits.

Le tweet « birther »

Lorsque Trump a répandu la rumeur selon laquelle Obama n’était pas né aux États-Unis et ne pouvait donc pas être président en 2012, elle a été acceptée comme une vérité par 37 % des électeurs républicains (qui regardent principalement Fox) contre seulement 11 % des démocrates. Ce qui confirme une fois de plus que les gens ont tendance à prendre pour argent comptant ce qu’ils veulent entendre.

Nous, Européens, adorons nous moquer de Trump et de sa chambre d’écho Fox News, mais les deux se renforcent et pour les téléspectateurs Fox, ses opinions sont devenues des faits. L’utilisation d’un vocabulaire primaire mais sophistiqué est la clé. Des termes tels que « Witch Hunt », « Deep State », « No Collusion » et des surnoms tels que « Crooked Hillary », « Low Energy Jeb » et « Crazy Bernie » sont compris par tous et nécessitent peu d’explications.

Trump voit le monde comme un ensemble de « gagnants » et de « perdants ». L’on ne peut être que l’un ou l’autre. Quand cette vision du monde est diffusée soir après soir par ses alliés des médias, et que tout le monde est convaincu que les ‘losers’ (tous ceux qui ne pensent pas comme Trump) sont sur le point d’être vaincus par les “winners” (Trump & Friends), cela crée une chambre d’écho qui se renforce encore et encore. Pourquoi ? Premièrement, parce que ce que les autres disent n’est pas vrai de toute façon, parce qu’ils sont partiaux, et deuxièmement, parce que les faits ne sont présentés que comme des opinions alternatives.

La gauche n’est guère mieux

MAIS … Les chaînes d’informations de gauche fonctionnent également selon le même principe. Le cirque quotidien anti-Trump commence tous les matins à 6 heures avec Morning Joe et se poursuit jusque tard dans la soirée, avec Rachel Maddow (MSNBC), Chris Matthews (MSNBC), Wolf Blitzer (CNN) et Anderson Cooper (CNN). Ce n’est que très rarement que l’on peut entendre un bon mot sur Trump, lorsqu’il s’agit de succès économiques indéniables.  

Les médias de gauche semblent tellement fascinés par le contenu de la  reality-tv de cette présidence qu’ils négligent souvent ce qui est réellement pertinent, et préfèrent se concentrer sur chaque lettre des tweets les plus plats de  Trump, et permettre à un grand nombre de soi-disant “experts” d’exprimer leur opinion à ce sujet (lisez : de démolir le président).

Comment ça va finir ?

Personne ne peut plus contester que Trump est un maître de la communication. Il contrôle le cycle des actualités 24/24  et 7/7, et les médias lui mangent dans la main. D’abord, il a dépeint Hillary Clinton comme une ennemie des États-Unis. En conséquence, il a remporté les élections. Il a ensuite appelé les médias “enemy of the state” (‘l’ennemi de l’État’) et plus aucun républicain ne prend encore au sérieux les médias grand public.

It will get worse before it gets better” (‘les choses vont empirer avant de s’améliorer’), pensent de nombreux Américains, car la discorde dans le pays est énorme. Reste à savoir ce à quoi va ressembler ce “pire”. 

“Si Trump était assassiné, on entendrait des cris de joie dans 80 % des rédactions des médias américains. D’abord, on ferait sauter les armes, puis les bouteilles de champagne. […] Avec la culture du meurtre imaginaire de Trump, l’Amérique progressiste prouve qu’elle n’a toujours pas compris pourquoi Hillary Clinton avait perdu”, a écrit le journaliste néerlandais Derk-Jan Eppink l’année dernière dans un article d’opinion.

Cette dernière phrase est particulièrement vraie. Même en Europe, on ne regarde que les démocrates, et l’on ignore malencontreusement la moitié de l’Amérique.

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