La Chine a donné son feu vert pour un test avec un réacteur nucléaire qui utilise du thorium comme combustible, et du sel fondu comme « modérateur », au lieu de l’eau. Ce type de réacteur produirait moins de déchets radioactifs et offrirait plus de sécurité.
La transition énergétique, l’enjeu du siècle, peut-on dire sans exagérer. Mais avec quelles installations et quelles sources d’énergie? Là, les positions diffèrent fortement : renouvelable (et batteries)? Nucléaire? Gaz pour sortir du charbon? Un mix de tout?
Chaque source a ses avantages et ses inconvénients. Le nucléaire par exemple se vante de produire de l’électricité sans émettre de CO2, mais se fait surtout critiquer pour les déchets radioactifs qu’il génère (et qui restent radioactifs pendant des milliers d’années). Les enfouir dans des mines abandonnées, les jeter au fond de l’océan ou les envoyer sur la lune : en 70 ans, aucune vraie solution n’a été trouvée. Les catastrophes nucléaires passées, comme celles de Tchernobyl et Fukushima, désèrvent également la cause.
Mais la science avance, et tente de répondre à ces problèmes. Une solution envisagée est un autre type de réacteur, qui fonctionne avec des sels fondus au lieu de l’eau actuellement utilisée dans le réacteur, comme modérateur ou matière pour ralentir la fission nucléaire (séparation des atomes qui génère de la chaleur, ce qui produit de la vapeur, qui fait tourner une turbine, en résumé). Ce type de réacteur n’a rien de neuf : les premières expérimentations remontent aux années 60. Mais la technologie rencontre de plus en plus d’intérêt aujourd’hui.
Feu vert en Chine
Dans ce sens, le ministère chinois de l’Ecologie et de l’Environnement a donné son feu vert pour le lancement d’un réacteur à sels fondus début août, rapporte le média spécialisé World Nuclear News. Le réacteur sera opéré par Shanghai Institute of Applied Physics (SINAP), qui fait partie de l’Académie chinoise des Sciences.
Ce réacteur ne fonctionne pas comme les réacteurs classiques. Son combustible nucléaire est le thorium, un métal radioactif abondant dans la nature. Pour servir de combustible nucléaire, il a cependant besoin d’être mélangé à un autre élément radioactif, comme l’uranium ou le plutonium. Dans ce cas-ci, il est mélangé à de l’uranium enrichi à 20%. Il s’agirait du plus important projet de réacteur au thorium au monde et l’institut souhaite avoir les droits de propriété intellectuelle sur la technologie.
Le réacteur est en fait déjà terminé depuis un an, l’institut n’attendait plus que le feu vert du ministère. Le projet avait commencé en 2011, avec une enveloppe équivalente à 444 millions de dollars. La construction a commencé en 2018, à Wuwei (au nord du pays, vers la frontière mongolienne), et s’est terminée bien avant le délai fixé, qui était 2024.
Le feu vert est donné pour un premier réacteur expérimental de 2 MW. Si le projet est concluant, la Chine veut construire, en 2030, un réacteur de 373 MW, soit plus petit qu’un réacteur classique (qui fait jusqu’à 1.000 MW).
Enjeux énormes: zones arides, déchets, sécurité
Ce type de réacteur doit répondre à des enjeux importants. Comme il n’a pas besoin d’eau, il peut être installé dans des régions très arides, comme les zones désertiques de la Chine. Le pays compte en tout cas remplacer ses centrales à charbon avec ce type de réacteur dans ces régions reculées, si les expérimentations sont concluantes. Cela pourrait alors aussi être une piste de réflexion pour l’Europe : l’été 2022, particulièrement chaud et sec, rend l’exploitation des centrales nucléaires plus difficile, et n’augure rien de bon pour les étés à venir.
Le sel contenant l’uranium et le thorium peut ensuite être récupéré et séparé en ces différents éléments. Et voilà l’enjeu du thorium dans la question des déchets : sa radioactivité a une longévité moindre que l’uranium : après 100 ans, elle est considérée comme éteinte, alors que celle de l’uranium reste une menace pendant des milliers d’années. La gestion des déchets est donc plus facilement gérable, car elle reste une question temporaire, plus facilement transmissible aux générations suivantes qui devront s’en occuper.
Ces réacteurs aux sels fondus sont aussi moins susceptibles d’exploser, car leur chaleur ne provoque pas de pression comme le fait la vapeur d’eau.
François Gemenne, expert du climat et auteur en chef pour le GIEC, note d’ailleurs les avantages de cette technologie sur Twitter : « Le nucléaire au thorium se développe en Chine, mais aussi en Inde. Ce type de centrale à sels fondus permet de réduire considérablement les risques d’accident et les quantités de déchets. Je ne comprends pas bien pourquoi l’Europe ne regarde pas de ce côté ».
Reste à voir si la phase de test sera concluante et si le thorium peut effectivement répondre à une partie des défis que pose la transition énergétique.