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L’économie russe à la loupe: ce document interne du Kremlin prédit des récessions longues et profondes

L’économie russe à la loupe: ce document interne du Kremlin prédit des récessions longues et profondes
(Getty Images)

Incapacité de fournir son marché intérieur en énergie, réduction de la consommation de nourriture faute d’offre, des années de récession… le tableau que des experts dressent, pour le Kremlin, de l’économie russe est très sombre. Le pays dépend d’importations clés, mais qui sont désormais sanctionnées.

Croissance, exportations, activité… six mois après le début de la guerre et des sanctions économiques sans précédent, l’économie russe ne s’est pas effondrée comme certains observateurs le prédisaient. Mais ce n’est pas la panacée non plus, et la Russie le sait. Le pire serait encore à venir.

Dans un document interne, fruit d’un travail de plusieurs mois, des officiels et des experts essaient d’établir l’impact des sanctions et les perspectives sur le long terme. Il a été présenté à une réunion de haut vol le 30 août, qui s’est tenue à huis clos, mais Bloomberg a pu s’en procurer une copie. Le document montre une estimation bien plus sombre que celles faites lors des prises de parole publiques, et fait état d’une récession longue et profonde, qui touche avant tout des secteurs qui jusque-là assuraient la croissance de la République fédérale de Russie.

3 scénarios

Chute du PIB russe selon 3 scénarios. Crédit : Bloomberg

L’évolution de l’économie russe est présentée sous trois scénarios différents. Les trois reprennent une chute du PIB en 2022 et 2023, mais de différentes ampleurs. Le scénario « cible » voit une chute d’environ 3% (par rapport à 2021) lors de ces deux années, avant de remonter la pente. Le scénario « inertiel » table sur une baisse de 8,3% en 2023, avant de lentement remonter la pente. Le pire des trois scénarios, le scénario du « stress » verrait un pic de la récession, à hauteur de -11,9%, et une reprise très, très lente. Le PIB retrouverait son niveau de 2021 qu’après la fin de la décennie.

Voilà pour la croissance. Mais de quels éléments ces scénarios tiennent-ils compte?

  • Les experts s’attendent d’abord à une intensification de la pression des sanctions, et que d’autres pays rejoignent les rangs de l’Occident.
  • La fin des exportations de gaz et de pétrole vers l’Europe aura des impacts sur la capacité de la Russie à approvisionner son marché intérieur.
    • Ce marché perdu équivaudra à une perte annuelle de 6,6 milliards de dollars, en tant que taxes et impôts. À moyen terme, ce marché sera irremplaçable.
    • La Russie devra donc réduire la production. Avec les sanctions, l’accès aux technologies pour maintenir les centrales de GNL, ou pour en construire de nouvelles, est en plus très compliqué.
  • Un quart des imports/exports sont touchés par les sanctions, ce qui a un impact sur toute l’industrie du transport. Les prix pour le transport routier ont déjà triplé.
  • Pour 2025, le rapport s’attend à ce que 200.000 spécialistes IT aient fui le pays.
  • Les producteurs de métal vont perdre 5,7 milliards de dollars tous les ans.

Import-export : le coeur du problème

  • Avec les risques de récession mondiale, les experts sentent que les exportations russes vont davantage souffrir, car la Russie fera partie des premiers pays à voir la demande s’évaporer. Résultat des courses : une envolée de l’inflation et un effondrement du rouble.
  • Ils estiment également que le pays souffrira des impacts des sanctions sur les importations. « Le principal risque à court terme est la suspension de la production en raison du manque de matières premières et de composants importés », écrivent-ils. Ils ajoutent que cela, avec l’impossibilité de réparer certains équipements, faute d’alternatives, pourrait même limiter la croissance de manière permanente.
  • Les sanctions sur les importations toucheront aussi l’agriculture, malgré les promesses du Kremlin de vouloir remplacer tous les produits étrangers.
    • L’entièreté de la production du secteur de la volaille dépend des importations, tout comme un tiers de la production du secteur du lait. Les semences pour les betteraves à sucre et les pommes de terre sont majoritairement importées, tout comme la nourriture pour les poissons.
    • Pour les experts, cela ne pardonne pas : la population pourrait être amenée à réduire sa consommation, car l’offre de nourriture va diminuer.
  • D’autres secteurs dépendent aussi fortement des importations.
    • 95% des vols de passagers sont effectués sur des avions qui reposent sur des pièces importées. Or, de nouvelles pièces ne pouvant plus être importées, l’entretien des avions est mis à mal. Les compagnies ont déjà commencé à sacrifier des avions pour récupérer des pièces. À terme, la flotte va fortement diminuer.
    • 70% des machines quelconques sont importées. Les fabricants russes sont d’ores et déjà dépassés par la demande, notent les experts.
    • Pour la fabrication de produits pharmaceutiques, le constat est grave aussi : 80% de la matière première est importée.
    • Les experts s’attendent à ce qu’il y ait une pénurie de cartes SIM en 2025. Pour la fin de cette année déjà, ils s’attendent à ce que le secteur des télécommunications soit en retard de cinq ans sur les grandes puissances. Pour la technologie en général, la Russie va afficher un retard d’une à deux générations sur les standards actuels, notamment à cause des alternatives chinoises et d’Asie du Sud-Est, moins performantes, que le pays devra trouver.

Finalement, les experts avancent aussi que tous ces éléments auront un impact sur la démographie russe. Avant la guerre, Poutine avait établi comme objectifs d’améliorer la croissance de la population et l’espérance de vie, mais ces objectifs semblent désormais inatteignables.

Comme bouclier contre tous ces éléments, les experts préconisent de mettre en place une série de mesures de soutien. Ainsi, l’économie pourrait retrouver son niveau de 2021 en 2024. Mais selon les observations de Bloomberg, il s’agit des mêmes mesures que celles déjà annoncées ces dernières années, et l’économie a plutôt été en état de stagnation.

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