“Nos données personnelles devraient être payantes”

Les inégalités entre les riches et les pauvres risquent de se creuser encore davantage avec la révolution de l’automatisation. Dans ce contexte, il sera sans doute nécessaire de trouver des solutions pour éviter le risque d’exclusion des masses, et pour beaucoup d’économistes, la solution serait la création d’un revenu de base minimum. Mais se pose alors la question du financement d’un tel projet. Manuel Ochoa Ayala, un chercheur de l’Economic and Business Research Institute, propose de rendre payantes les données personnelles exploitées par les firmes du secteur du numérique.

Actuellement, nous remettons ces données gratuitement aux grandes entreprises de technologie, qui les exploitent pour concevoir des services plus personnalisés, mais surtout pour les revendre à des annonceurs, qui peuvent ainsi cibler plus précisément leurs messages publicitaires.

Des montants de données colossaux, sans contrepartie

Peu d’utilisateurs réalisent le volume colossal de la masse de données qu’ils cèdent sans aucune contrepartie aux firmes du numérique. Nous avons tous tendance à penser que notre utilisation gratuite des services fournis par Google et Facebook compense cette concession. Mais il n’en est rien, et il suffit de regarder les valorisations de marché stratosphériques de ces entreprises pour le comprendre.

Des travaux de recherche de l’écrivain technologique Bernard Marr montrent que nous produisons quotidiennement près de 2,5 milliards d’octets de données personnelles. De son côté, Google traite plus de 40 000 recherches par seconde, tandis que près de 1,4 milliard de personnes utilisent Facebook chaque jour. Chaque minute, nous envoyons 16 millions de SMS, passons 154 200 appels sur Skype, envoyons 156 millions d’emails, et effectuons 45 788 courses sur Uber. En quelques années, nous avons créé plus de données qu’au cours de toute l’histoire de l’humanité. Et ce n’est pas fini, puisqu’avec l’Internet des Objets, nous devrions prochainement en produire encore davantage.

Aucune contrepartie n’est offerte contre ces données, si ce n’est des services « gratuits », en pratique destinés à collecter encore plus de données. « Les grandes entreprises technologiques sont les véritables gagnants dans un monde de données libre et cela pourrait créer un monde plus inégalitaire, à une époque où nous avons besoin d’un capitalisme inclusif », écrit M. Ochoa Ayala.

Il est nécessaire de changer de modèle

Or, des travaux sur la productivité aux États-Unis montrent que ces données gratuites sont un frein pour la croissance de la productivité. Si l’on veut stimuler une croissance qui profite à tous, il faut changer de modèle.

Cela est d’autant plus vrai que l’automatisation, et les destructions d’emplois qu’elle entraîne, génère une frustration qui alimente le rejet de la mondialisation et des institutions. Ces sentiments négatifs favorisent la montée en puissance de partis nationalistes populistes opposés au libre-échange.

La quatrième révolution industrielle, fondée sur l’intelligence artificielle, nécessite des quantités colossales de données pour l’apprentissage des machines. La création d’un revenu de base universel fondé sur les données produites par les individus permettrait de répondre au besoin d’un modèle économique plus inclusif pour aplanir les inégalités de revenus, tout en fournissant aux sociétés des technologies la masse de données dont elles ont besoin pour les développements de ces nouvelles applications.

Une nouvelle source d’emplois bien rémunérés

Dans leur ouvrage « Radical Markets » paru en 2018, Eric Posner et Glen Weyl affirment que la rétribution des individus pour leurs données personnelles permettrait d’augmenter le revenu médian des ménages américains de 20 000 dollars. Il s’agit d’une augmentation plus importante que celle que l’on a constatée pendant la période de l’après-guerre.

« Si cette idée est mise en œuvre, les données, de même que l’intelligence artificielle, seront considérées comme une nouvelle source d’emplois bien rémunérés et de suppléments de revenu, plutôt que comme une menace pour les personnes et les travailleurs. La valeur de l’économie numérique serait partagée entre les producteurs de données citoyens, créant ainsi une économie plus juste pour tous. Une nouvelle ère de croissance économique et de développement technologique pourrait être atteinte », conclut M. Ochoa Ayala.

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