Des officiels russes jugés un jour pour crimes de guerre ? Ce n’est pas gagné

Alors que la guerre en Ukraine entre dans une nouvelle phase, certains pensent déjà au monde d’après le conflit. Or, si les Occidentaux s’accordent pour souhaiter la défaite finale de Moscou, tous ne s’accordent pas sur la suite d’un point de vue diplomatique.

Quelle qu’en soit l’issue, la guerre en Ukraine changera durablement l’équilibre de l’Europe et du monde, que ça soit du point de vue des relations internationales ou de celui de l’équilibre énergétique. Mais certains, Ukraine en tête, réclament la promesse que les dirigeants russes seront traduits en justice, Vladimir Poutine le premier. Une procédure envisageable, sur le papier, mais qui ne suscite pas forcément l’enthousiasme dans les chancelleries.

« Garder une marge de manœuvre diplomatique »

« C’est de la grande politique » estime Andriy Smyrnov, chef adjoint de l’administration présidentielle ukrainienne, qui dirige les efforts du pays pour établir le tribunal international. « D’un côté, les pays condamnent publiquement l’agression, mais de l’autre, ils mettent leur pied dans la porte de fermeture des relations avec la Russie pour qu’elle ne se ferme pas complètement. Ils tentent de garder un certain espace pour des manœuvres diplomatiques. Mais nous savons que les accords avec la Russie ne valent pas le papier sur lequel ils sont écrits. »

La diplomatie ukrainienne considère que, selon le droit international, les dirigeants russes sont susceptibles d’être poursuivis pour agression armée envers un autre pays, crime duquel découlent tous les crimes de guerre commis par l’armée russe sur le sol ukrainiens et qui sont en train d’être documentés. Les autorités du pays ont déjà procédé au procès de soldats russes prisonniers et dont l’implication dans des exactions ou des meurtres de civils avait été démontrée.

La CPI n’est pas compétente

Mais pour s’attaquer aux instances dirigeantes russes, il faut un minimum de consensus international : l’acte d’agression – accepté par les membres des Nations unies comme un crime international – ne peut être jugé par la Cour pénale internationale en raison de l’absence de compétence, rappelle The Guardian. Il faudrait donc mettre sur pied une institution judiciaire spéciale pour l’occasion.

Or, pour l’instant, la Pologne et les républiques baltes sont les seuls pays à suivre Kiev dans ce désir de justice, exprimé dès le mois d’avril. Ailleurs, c’est plus délicat : le président américain Joe Biden a justement déclaré ce lundi que la Russie ne devrait pas être désignée comme un État soutenant le terrorisme, ce que les responsables ukrainiens et certains hommes politiques américains avaient demandé. La Russie avait auparavant déclaré qu’une telle désignation signifierait que Washington avait franchi le point de non-retour. Il s’avère donc peu probable que Washington suive l’idée d’un tribunal mis en place pour juger Poutine ou Choïgou.

Autre poids lourd diplomatique sur cette question : le Royaume-Uni, dont la nouvelle Première ministre Liz Truss vient de prendre ses fonctions. Or, en mai dernier, lorsqu’elle était ministre des Affaires étrangères, elle s’était déclarée en faveur d’une telle mesure, rappelle le quotidien britannique.

Bras de fer en coulisses à Bruxelles

Le Conseil de l’Europe doit discuter du soutien à une telle mesure le 13 septembre prochain, et l’Ukraine et ses alliés font tout leur possible pour faire pencher la balance en leur sens. Ce lundi, à Bruxelles, Andriy Yermak, le conseiller principal du président ukrainien, a estimé publiquement que certains responsables européens semblaient convaincus que la Cour pénale internationale suffisait, alors que celle-ci n’est pas compétente en matière d’agression entre États. Le commissaire européen à la justice, Didier Reynders, s’est dit ouvert à l’idée d’un tribunal spécialement mis sur place pour l’occasion, mais il a surtout évoqué l’aide que l’UE pouvait apporter pour compiler les crimes de guerre susceptibles d’être transmis à la CPI.

La mise en place d’un tribunal spécial risque d’être perçue comme un geste impardonnable à Moscou, craignent les Européens, réticents pour la plupart à brûler tous les ponts diplomatiques, y compris après la guerre, même si la fin du conflit semble encore bien lointaine.

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