Les constructeurs automobiles chinois veulent combler le trou laissé vacant par les Occidentaux en Russie, au risque d’étouffer Moscou

La collaboration entre Pékin et Moscou se renforce et s’élargit désormais au secteur automobile, en tirant profit du départ des entreprises occidentales depuis le début de la guerre en Ukraine. Au risque, pour la Russie, de voir son industrie grignotée progressivement par les Chinois.

L’essentiel : La Chine étend son ombre sur un pan essentiel de l’économie russe.

  • La Moskvich, icône soviétique, renaît de ses cendres grâce à une firme publique russe. Le maire de Moscou y voit un signe de la résistance de l’automobile russe face aux sanctions. Mais les SUV Moskvich 3 sont en fait des JAC Sehol X4 chinois assemblés à Moscou, selon deux sources anonymes de Reuters.
  • Cette marque n’est pas la seule. Les voitures chinoises inondent le marché russe, avec 49% de part en juin, contre 7% avant la guerre en juin 2021, selon un rapport d’Autostat, cité par l’agence de presse. Elles ont atteint 40.000 unités le mois dernier.
  • Entre janvier et mai 2023, les exportations de voitures particulières des constructeurs chinois vers la Russie ont été multipliées par 5,2 par rapport à l’année précédente, pour atteindre près de 3,6 milliards de dollars, selon les données des douanes chinoises.
  • En plus de ces chiffres, les entreprises chinoises accroissent aussi leurs ventes en Russie avec l’assemblage de véhicules dans des usines libérées par des entreprises comme Renault et Nissan.
  • Et c’est aussi une bonne nouvelle pour l’économie russe, alors que celle-ci est en déclin : les experts du secteur automobile pensent que les constructeurs chinois aident la Russie à relancer ses usines et à garder ses emplois.
    • Ce n’est pas du luxe, car le secteur souffre : les voitures fabriquées localement ne représentaient en juin moins de 40% du marché automobile russe seulement, selon le gouvernement, contre 70-75% avant que Moscou n’envahisse l’Ukraine.

Un jeu dangereux pour Moscou

Le contexte : Pékin entend bien profiter de la place laissée vacante par les marques européennes et américaines, qui ont plié bagages sous le coup des sanctions occidentales.

  • Reuters indique que « six usines russes qui appartenaient auparavant à des constructeurs automobiles européens, japonais et américains ou qui assemblaient leurs véhicules produisent désormais des modèles chinois ou prévoient de le faire ».
    • Ce que confirme Autostat : de janvier 2022 à février 2023, la part des marques coréennes est passée de 24% à 9% en un an, celle des marques européennes de 27% à 6%, et celle des marques japonaises de 18% à 6%.
    • De leur côté, les marques nationales russes ont réussi à passer de 20% à 41% des parts du marché, tandis que les marques chinoises sont passées de 10% à 38%.
Source : Autostat
  • Mais il faudra faire attention à ne pas se laisser entièrement grignoter par l’appétit chinois, au risque de voir la part russe diminuer encore davantage. Selon Andrey Olkhovsky, responsable de la chaîne de concessionnaires Avtodom, qui a repris les filiales de Mercedes-Benz en Russie : « Indubitablement, l’expansion des constructeurs automobiles chinois sur le marché russe se poursuivra, il n’y a pas d’alternatives pour l’industrie automobile russe. »
  • Or si les voitures chinoises gagnent en compétitivité sur le plan du prix et de la qualité, cela pourrait entamer la part de marché des constructeurs automobiles russes, ce qui aurait des effets négatifs pour l’économie du pays et l’emploi dans le secteur.
  • Selon Autostat, six des dix marques les plus populaires en Russie en juin sont des constructeurs automobiles chinois. Les plus connues sont Haval, avec une part de marché de 8,3% en juin, Chery (5,1%) et Geely (4,6%)

En parallèle : Moscou a orchestré la mainmise d’actifs étrangers par des entités étatiques pour assurer la continuité de la production. La Russie a ainsi pu récemment mettre la main sur les actifs de Danone et Carlsberg qui n’étaient pas encore parvenus à quitter le pays.

  • Le gouvernement s’en est enorgueilli, soulignant notamment la renaissance de marques russes célèbres grâce à ces reprises.
  • Tout en prenant bien soin de passer (largement) sous silence le rôle crucial de la Chine dans la relance du secteur automobile. En réalité, seule la Banque centrale russe est assez téméraire pour admettre l’influence croissante de Pékin dans le pays.
  • De plus, la Russie est d’autant plus dépendante de son partenaire chinois que les marges et les prix de ces voitures russo-chinoises dépendent du taux de change du yuan. Cela introduit une volatilité supplémentaire dans l’industrie. Les fluctuations du taux de change peuvent affecter les coûts de production, les prix de vente et, en fin de compte, les bénéfices des entreprises automobiles russes. Cela peut rendre difficile la planification à long terme et la stabilité financière de l’industrie automobile du pays.
  • Sans compter la dépendance à la Chine pour les pièces et les kits d’assemblage nécessaires à la production de voitures sur son territoire. L’Empire du Milieu place tout simplement l’industrie automobile russe à sa merci, en cas de changements ou de problèmes dans le commerce sino-russe.
Plus