Comment la propagande russe coûte parfois à son armée des armes bien précieuses sur le terrain

La guerre n’est pas qu’une affaire de gros canons et de nombre de combattants, elle implique aussi communication et renseignements. Or, en mettant le paquet sur le premier aspect pour nourrir la propagande du régime, les Russes oublient parfois qu’en face, on les écoute. Au risque d’y perdre cher.

Navire vu, navire coulé

Depuis l’échec cuisant de leur offensive sur Kiev et l’entrée dans une nouvelle phase de la guerre centrée sur le contrôle du Donbas, les médias d’État de Russie mettent de plus en plus l’accent sur les armes surpuissantes ou novatrices que l’armée du pays peut aligner, peut-être pour compenser les images d’arrivées de matériel OTAN en face. Le problème, c’est que les reporters de terrain ont parfois tendance à révéler des informations qui, côté ukrainien, ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd.

En mars, le navire de débarquement Orsk de classe Alligator était montré, dans un reportage télévisé du journaliste Murad Gazdiev, au mouillage dans le port de la ville occupée de Berdiansk, sur la mer d’Azov, rappelle Korii. Il n’en a pas fallu plus pour que les Ukrainiens livrent un droit de réponse à leur manière, et ciblent le bâtiment, le mettant hors de combat.

Or c’est visiblement d’une histoire similaire qu’a encore été victime l’armée russe. Le reporter de guerre russe Aleksandr Kots, décrit comme « l’un des artisans les plus précieux de la propagande de Poutine » par le site Putin’s List, a présenté à ses téléspectateurs un fleuron de l’industrie russe de l’armement il y a quelques jours. Un 2S4 Tioulpan (« Tulipe »), un mortier automoteur de conception soviétique et qui affiche un calibre de 240 mm.

Artillerie ultralourde

Cette pièce d’artillerie vraiment très lourde n’est pas neuve : elle a été conçue entre 1966 et 1971, pour une mise en service au sein de l’armée à partir de 1972. Un engin qui relève quand même beaucoup de la surenchère : composée d’un véhicule chenillé portant l’énorme mortier, il s’agit du plus gros engin de ce type jamais construit. Le Tioulpan pèse 27,5 tonnes et tire des projectiles de 230 kg qui doivent être placés dans le tube à l’aide d’une grue intégrée et d’un receveur automatique avec une télécommande. Produit à 588 exemplaires, le Tioulpan aligne une capacité de destruction impressionnante et peut porter de 9 à 20 km selon le type de munition – qui peuvent emporter une charge atomique. Le genre de pièce qui peut s’avérer très utile alors que la guerre vire au duel d’artillerie, en particulier pour écraser des positions fortifiées.

Sauf que ça n’a pas manqué : le reportage télévisé d’Aleksandr Kots a été attentivement regardé par les Ukrainiens, qui n’ont pas eu de mal à localiser l’engin montré dans une zone industrielle de Roubijné. Quelques heures après la diffusion du reportage de Kots, les Ukrainiens n’ont eu qu’à survoler la zone avec un drone de reconnaissance pour localiser précisément la précieuse pièce d’artillerie, et la prendre pour cible. On ne sait pas quelle arme a pu faire taire ce mortier géant, mais le résultat est là : la « tulipe » a bien été fauchée.

Le jeu du renseignement

Cette histoire démontre à quel point les Ukrainiens jouent à fond la carte du renseignement pour localiser et détruire des cibles de grande valeur, tant stratégique que symbolique. Mais elle illustre aussi le caractère volontiers fratricide de cette guerre non déclarée, Russes et Ukrainiens partageant une culture commune et une langue fort proche, leur permettant de suivre chacun ce que les autres racontent à la télévision. De nombreux Ukrainiens étant d’ailleurs plutôt russophones. Mais les choses ont cependant changé, les deux pays semblent désormais irréconciliables.

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