Pour la première fois, les deux officiels grecs en charge de la gestion de la dette grecque, Spyros Papanicolaou depuis 2005 et son prédécesseur, Christoforos Sardelis, ont donné des détails à Bloomberg concernant l’accord de prêt qui avait été négocié en 2001 avec Goldman Sachs, et qui leur a permis de masquer une partie des dettes de la Grèce pour satisfaire aux conditions de l’entrée à la zone euro.
En 2001, Goldman Sachs a prêté 2,8 milliards d’euros à la Grèce en effectuant un « swap ». Celui-ci a consisté en un échange entre une partie de la dette souveraine de la Grèce, qui avait été contractée en dollars et en yen, et une dette exprimée en euros. La subtilité, c’est que GS ne s’est pas basée sur le taux de change courant de l’euro, mais elle a employé un taux de change « fictif, historique », qui permettait de réduire la valorisation de la dette exprimée en euros, faisant ainsi disparaitre environ 2% des dettes de la nation grecque.
Pour que le remboursement de la dette permette de récupérer ce montant défalqué, en quelque sorte, « The Firm » a utilisé un autre « swap », de taux d’intérêt cette fois-ci, en prenant pour base un taux différent des taux qui prévalaient à ce moment-là. A l’époque, le taux avait paru extrêmement avantageux aux gestionnaires de la dette hellénique. Mais le montage, beaucoup plus compliqué qu’il ne le semblait de prime abord, s’est retourné contre la Grèce après les attentats du 11/9. Les taux d’intérêts des obligations ont chuté sur les marchés et le swap d’intérêt a accusé des pertes.
Les officiels grecs ont obtienu une renégociation avec Goldman Sachs en 2002, et ont convenu d’utiliser un nouveau produit dérivé pour les remboursements, basé sur le taux de l’inflation. Mais de l’aveu même de Papanicolaou, « C’était un très mauvais pari ». En 2005, le montant de la dette principale avait presque doublé, à 5,1 milliards d’euros au lieu des 2,8 milliards initiaux. Sardelis explique qu’il n’avait pas eu la possibilité de démarcher d’autres banques pour obtenir des contre-propositions et évaluer le montage financier de Goldman Sachs, parce que cette dernière avait menacé de résilier le contrat. L’accord était donc resté secret.
Comme ce montage était très complexe et personnalisé, Goldman Sachs a facturé des commissions de courtage bien supérieures à celles qu’elle facture pour des opérations plus banales. Au moment de la conclusion de l’accord, en 2001, la Grèce devait 600 millions d’euros, en plus des 2,8 milliards d’euros qu’elle avait empruntés à la Banque d’investissement (En 2001, ces gains ont représenté 12% du chiffre d’affaire de la banque pour ses activités de « trading and principal investments »)
Au cours d’une interview, Sardelis avait estimé que ce contrat était « une histoire très sexy entre deux pêcheurs ». Le cas de la Grèce illustre les risques que les institutions prennent lorsqu’elles s’engagent dans des transactions dont la complexité dépassent les compétences des cadres qui sont en charge de les conclure. L’Université d’Harvard, le Comté de Jefferson dans l’Alabama, et plus près de chez nous la ville de Pforzheim se sont aussi retrouvés perdants dans des contrats sur mesure. En septembre 2011, le journal français Libération avait mentionné une liste de 5500 communes ou collectivités françaises ayant souscrit des emprunts « toxiques » auprès de Dexia entre 1995 et 2009, pour un montant de 25 milliards d’euros.
Selon Fiona Laffan, porte-parole de Goldman Sachs à Londres, la Grèce n’est pas la seule à avoir dissimulé des dettes en employant la technique du « cross-currency swap », et plusieurs gouvernements y auraient eu recours pour respecter les clauses du Traité de Maastricht.