Depuis bientôt un an, le gouvernement fédéral éthiopien est en guerre contre les rebelles de la région du Tigré. Ayant déjà causé des milliers de morts dans les deux camps, le conflit est en train de prendre une tournure encore plus grave.
Après plusieurs mois de tensions de plus en plus vives, le gouvernement fédéral éthiopien et les rebelles du Tigré, dirigés par le Front populaire de libération du Tigré (FPTL) sont entrés en guerre en novembre 2020. Un conflit qui a officiellement débuté par l’envoi de troupes du gouvernement fédéral vers la région du Tigré, au nord de l’Ethiopie. L’objectif était de renverser le gouvernement local qui s’y était constitué, accusé de s’être emparé de camps militaires.
Si l’offensive lancée par le Premier ministre Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix en 2019, a dans un premier temps eu l’effet escompté, les rebelles ont fini par reprendre le Tigré en juin dernier. Avant de reprendre leur marche cet été, vers les régions voisines d’Amhara et d’Afar.
Depuis quelques semaines, la situation est plus confuse. Le gouvernement fédéral éthiopien, qui peut notamment compter sur l’aide du dictateur érythréen Isaias Afwerki, assure qu’il est en train de mater les rebelles, leur infligeant des pertes considérables. Ceux-ci répondent que ce n’est pas le cas, et qu’il s’agit d’un discours « faux et risible » destiné à renforcer le moral des troupes gouvernementales.
Les deux camps jouent à une guerre des chiffres. L’armée indique avoir tué plus de 5.600 rebelles, tandis que ces derniers se gargarisent d’avoir tué 3.073 « forces ennemies ». Des annonces très difficiles à confirmer, mais il est clair que des milliers de vies ont déjà été perdues depuis le début du conflit.
Vive escalade
Au-delà de cet affrontement entre forces armées gouvernementales et forces armées tigréennes, il apparaît que des civils sont eux aussi en train de payer un lourd tribut à ce conflit. C’est en tout cas ce qui ressort d’un article publié ce week-end par The Telegraph.
C’est à Humera, une ville de 50.000 habitants de la région du Tigré, que des atrocités semblent être en train de se produire depuis quelques semaines. Se basant sur les témoignages d’une « douzaine de témoins oculaires », le quotidien britannique indique que les forces de l’ethnie Amhara – alliées du gouvernement fédéral éthiopien – soient occupées à faire du « porte à porte » pour débusquer toutes les personnes de l’ethnie Tigréenne.
« Ils sont allés de maison en maison, arrêtant tout le monde. Il ne reste plus aucun Tigréen, sauf ceux qui ont fui au Soudan ou qui ont trouvé une cachette dans la ville. Ils ont une liste des résidents tigréens provenant des bureaux administratifs », a déclaré un témoin. « S’il est écrit sur votre carte d’identité que vous êtes Tigréen, il n’y a pas de pitié », dit un autre.
Quand elles tombent sur les personnes qu’elles recherchent, les forces de l’ethnie Amhara les mutileraient puis les tueraient. Leurs corps seraient ensuite jetés dans des fosses communes, dans le cadre d’une purge ethnique. Ceux qui ne sont pas exécutés sur place seraient emmenés dans des « camps de concentration » de fortune créés dans la ville. C’est là que seraient également emmenés les femmes enceintes, les enfants et les personnes âgées de l’ethnie tigréenne.
« Nous étions 250 détenus. Les forces amhara prennent des détenus chaque nuit et en amènent de nouveaux. Ceux qu’ils prennent ne reviennent jamais », a notamment confié un homme qui dit avoir réussi à quitter un des camps de concentration après avoir convaincu les Amhara qu’il n’était pas d’origine tigréenne.
Est-ce vrai ?
Dans ce type de conflits, il n’est pas rare que chaque faction accuse l’autre des pires atrocités, sans que cela soit vrai pour autant. Les Tigréens ont d’ailleurs eux aussi été accusés d’avoir commis de très graves atrocités, notamment lors du massacre de Maï-Kadra, en novembre 2020.
Certains indices laissent à penser que cette « purge ethnique » organisée par les Amhara envers les Tigréens, sans être interdite par Premier ministre Ahmed, est bien réelle. Du moins en partie. En effet, les images de Vigil Monitor, un organisme de recherche et d’alerte précoce sur les atrocités basé au Royaume-Uni, montrent que les forces de l’ethnie Amhara et les troupes éthiopiennes alliées sont stationnées dans de « nombreux » centres de Humera depuis quelques mois.
Les images satellitaires montrent notamment une fosse de la taille d’une piscine à l’extérieur de l’un des entrepôts, qui s’est progressivement remplie depuis la mi-juillet. Il existe un modèle similaire de fosses suspectes qui se remplissent lentement au cours de la même période sur les autres sites, relate le Telegraph.
« Il y a des trous très suspects dans le sol à côté des camps, dans une zone où aucun autre trou n’est rempli de terre », indiquent les analystes de Vigil Monitor.
Sollicités par le journal britannique, le président de la région Amhara d’Éthiopie, Agegnuh Teshager, et le bureau du Premier ministre éthiopien n’ont pas souhaité commenter ce dossier.
Dans le même temps, les autorités éthiopiennes ont déployé des efforts « pour mieux coordonner et faciliter le déplacement de l’aide humanitaire » vers le Tigré, où des millions de personnes sont menacées de famine. Environ 500 camions sont parvenus dans la région depuis une semaine, dont 152 ces deux derniers jours, a précisé ce samedi le ministère de la Paix dans un communiqué.
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