Blue Origin, la firme spatiale fondée par le patron d’Amazon, Jeff Bezos, a dépassé le stade de simple aventure. Désormais, c’est une entreprise importante, avec une ambition affirmée : gagner de l’argent avec les voyages spatiaux. Et ce, très prochainement.
Bezos n’a d’ailleurs pas lésiné dès sa création : il l’a dotée d’un milliard de dollars de fonds. Aujourd’hui, Blue Origin emploie plus de 2000 personnes sur 5 sites, dont un site de lancement au Texas.
Une ambition personnelle est devenue une firme de 2000 personnes
Le rêve personnel de Bezos, débuté avec quelques chercheurs, est en train de se muer en une grosse entreprise. Cette année, elle devrait débuter les essais de New Glenn, une fusée géante de plus de 95 mètres de haut pour sa plus grande version (3 étages). Prévue pour entrer en service en 2021, elle sera capable transporter jusqu’à 45 tonnes de charge en orbite basse. C’est plus d’un tiers que sa concurrente la plus dangereuse, la Falcon Heavy de SpaceX, la société spatiale d’Elon Musk.
Blue Origin a investi 2,5 milliards de dollars dans cette fusée, et notamment dans une usine d’assemblage à Cap Canaveral, en Floride. Celle-ci servira à entretenir et produire une flotte de ces mégafusées réutilisables.
Selon son CEO, Bob Smith, elle ambitionne également de produire en série ses moteurs de lanceurs BE-3 et BE-4, aussi bien pour elle-même que pour ses clients (également concurrents…) dont la société d’armement Northrop Grumman. Car elle convoite les fonds publics, et souhaite proposer ses services aux gouvernements.
SpaceX a pris une avance décisive
L’année dernière, Washington a annoncé la création d’une force spatiale américaine dès 2020. Le mois dernier, le Vice-président Mike Pence a indiqué que les Etats-Unis souhaitaient également retourner sur la Lune d’ici 2025. Il a suggéré que ces voyages spatiaux pourraient être réalisés avec la collaboration d’entreprises privées. Blue Origin a bien l’intention d’être associée à de tels projets, qui permettent d’augurer des bénéfices futurs.
Mais la société a un handicap : elle a déjà été devancée par SpaceX dans ce domaine, qui enregistre succès après succès. Le 2 mars dernier, son véhicule spatial Crew Dragon a effectué son premier vol de qualification sans équipage, et à s’amarrer à la Station spatiale internationale. Cette réussite implique que les Américains pourront désormais relever leurs équipages dans cette dernière sans l’intervention de l’agence spatiale russe. De son côté, New Glenn ne sera pas prête avant 2 années… Et bien entendu, ce n’est pas le seul projet où Blue Origin est en retard. L’un des responsables de la NASA a déjà proposé de faire appel au lanceur de SpaceX, Falcon Heavy, pour le retour des Américains sur la Lune en 2024.
Les constellations de satellites
Qu’à cela ne tienne : il existe d’autres marchés potentiels pour New Glenn. L’un des plus prometteurs est celui des constellations de satellites pour Internet. Elles visent à déployer des centaines ou des milliers de satellites en orbite basse pour fournir une connexion internet à haut débit pour les utilisateurs. « Un cloud au dessus des nuages », écrit poétiquement le Wall Street Journal (« cloud » se traduit par « nuage »). « La demande pour les données est en croissance et insatiable, et la physique ne change pas. Si vous voulez déplacer des données tout autour du monde, vous avez besoin de beaucoup de satellites », affirme M. Smith.
Au mois de mars, Bezos lui-même a annoncé le lancement du projet Kuiper, visant à placer une constellation de 3236 petits satellites sur orbite terrestre basse pour fournir une connexion internet aux régions du monde mal desservies actuellement.
Sur ce marché, Blue Origin n’est pas seule non plus, et se retrouve concurrencée par un certain nombre de startups. Souvent, celles-ci misent sur les technologies en matière d’impression 3D, ou de composites carbone, pour proposer des lanceurs allégés et plus économiques. L’une des plus prometteuses, la néo-zélandaise Rocket Lab, a déjà lancé 25 satellites en orbite basse.
Mais selon Blue Origin, la grande taille de New Glenn assure des économies d’échelle importantes à ses clients. Ils pourront augmenter la charge à chaque lancement, et donc, réduire le nombre de ceux-ci, pour mettre en place leurs constellations.
L’exploitation touristique de l’espace
Il reste aussi l’exploitation touristique, qui devrait débuter cette année, avec le lanceur New Shepard. Selon ses dirigeants, Blue Origin compte exploiter cette activité un peu à la manière d’un club de parachutisme. Le client sera équipé, il recevra un entraînement sommaire, et il décollera. Une heure plus tard, il sera de retour sur Terre. Selon Bob Smith lui-même, le voyage sera très doux, guère plus éprouvant qu’un grand huit.
Néanmoins, on ne sait pas encore quand ces voyages seront ouverts aux particuliers, ni le prix du billet. Le principal concurrent, sur ce segment d’activité, Virgin Galactic de Richard Branson, devrait débuter cette activité dès cette année, avec un billet à 250 000 dollars.
« Le coût sera inversement proportionnel à l’accès, et l’accès – la démocratisation de l’espace – est la notion que Jeff Bezos, fondateur de Blue Origin, et l’homme le plus riche du monde, a prise comme mandat de l’entreprise. Mais à une ère de concentration historique de la richesse mondiale, New Shepard risque de se solder par une nouvelle inégalité stratosphérique », écrit le WSJ. Et ce coût pourrait baisser, au fil de l’accroissement du nombre de sièges occupés lors de chaque vol… Et un jour peut-être, dans un avenir proche, vous et moi pourrons nous payer un vol dans l’espace sans ruiner…