La course aux élections devient de plus en plus personnelle. À environ 20 semaines des élections, il apparaît clairement qu’il s’agira d’une bataille entre les principaux dirigeants, avec des campagnes hautement personnalisées. Après l’Open Vld, qui centre sa campagne autour d’Alexander De Croo (Open Vld), et le Vlaams Belang qui mise tout sur son président Tom Van Grieken, la N-VA met en avant Bart De Wever (N-VA) comme candidat au poste de Premier ministre. Toutefois, des conditions irréalisables émergent dans les détails : le « gouvernement d’affaires » ou la « petite équipe rapide » que De Wever envisage semble peu réaliste. En réalité, le consensus à la Rue de la Loi est que le gouvernement Vivaldi continuera. Le cd&v a déjà reçu des assurances de la part des Engagés et conclu un accord avec le MR. Cependant, cette approche très personnalisée de la campagne a des conséquences pour l’ensemble du paysage politique : les écologistes et le PTB semblent prêts, mais qui seront les visages de Vooruit et du cd&v ?
Dans l’actualité : Les élections se résument finalement aussi à choisir des figures de proue.
Les détails : Plus que jamais, le N-VA constate dans les sondages que De Wever est leur atout majeur : ils misent tout sur le président, espérant ainsi rester les plus grands. Cela oblige Tom Van Grieken (Vlaams Belang) à clarifier prochainement son rôle en tant que candidat au poste de ministre-président. Mais il y a également le duel persistant avec le PS.
- « Paul Magnette n’est pas apte à diriger le pays », a déclaré Bart De Wever (N-VA) dans une interview accordée à VTM ce week-end. Une remarque qui sera sûrement entendue au Boulevard de l’Empereur. C’est une pique à l’homme qui, en 2020, a vu le poste de Premier ministre lui échapper dans le gouvernement Vivaldi, en partie parce qu’Ecolo et le MR ne le lui ont pas accordé, ce qui a permis à Alexander De Croo (Open Vld) d’émerger.
- Que De Wever attaque Magnette n’est pas surprenant : la semaine dernière, c’est le socialiste qui avait lancé les hostilités lors de la présentation de son dernier livre, « L’autre moitié du monde« , en dirigeant ses flèches vers De Wever. Il a annoncé ne pas vouloir gouverner avec le N-VA, mais a également mis la pression : « Si la N-VA s’allie avec le Vlaams Belang, ils s’excluent de tous les autres partis et risquent l’isolement. »
- Lors de la réception du Nouvel An de la N-VA, très suivie et désormais tenue dans le complexe Nekkerhal à Malines depuis quelques années, De Wever a rendu coup pour coup :
- « Après la Vivaldi, cela ne peut pas être pire ? Eh bien, selon le Premier ministre, le meilleur reste à venir… Mais le véritable dirigeant de ce pays explique sans vergogne à quoi ressemblera ce ‘meilleur’. »
- « Chaque Flamand devrait lire les interviews de Paul Magnette en français. Travailler dur ? Selon lui, c’est une obsession flamande, tandis que les Wallons préféreraient largement profiter de la vie. »
- « Pénaliser les chômeurs qui refusent un emploi ? Cela serait totalement irresponsable et inutile. »
- « Les immigrants illégaux ? Ils devraient tous avoir accès à la sécurité sociale. »
- « Un budget désastreux ? Pas de problème, il suffit de se défaire de l’idée que les dettes et l’inflation sont mauvaises. »
- « Croissance économique ? Nous devrions l’abandonner, il nous suffit de redistribuer la richesse existante. »
- « Le discours du PS est stupéfiant, frôlant la folie criminelle, mais il a l’avantage de la clarté : tant qu’il restera un euro sur un livret d’épargne flamand, le PS s’accrochera au statu quo. »
- « Seule une N-VA forte peut mettre fin à cette décadence, seule une N-VA fort peut stopper le pillage du PS. »
- Il a réitéré que les « partis Vivaldi flamands », en particulier l’Open Vld, le cd&v et Vooruit, « doivent prendre position » : « Allez-vous continuer à trahir les intérêts de vos électeurs en échange de postes ministériels ? » Et il a également exigé de ces formations à ce qu’elles ne forment « jamais plus un gouvernement sans majorité en Flandre ». « Mais cette promesse n’est pas tenue, au contraire, on rêve de Vivaldi II et par extension du Seize. »
- En réponse à cette « Vivaldi II », la N-VA a depuis longtemps proposé un « gouvernement d’affaires » ou « gouvernement restreint » ou « rapide » (le terme varie), qui serait composé de façon extrêmement limitée et se concentrerait surtout dans un premier temps sur le budget. De Wever souhaite en prendre la tête.
- C’est pourquoi il est aussi tête de liste à la Chambre : « Ce n’est pas un choix de cœur, car mon cœur bat pour la Flandre. C’est plutôt un signal. Un signal sur notre objectif : plus jamais de Vivaldi. Plus jamais un gouvernement sans majorité en Flandre. Plus jamais un Premier ministre qui sacrifie la prospérité flamande pour sa carrière.«
Pourquoi c’est important : La question incontournable de la candidature au poste de Premier ministre devient un atout majeur pour le N-VA.
- Alors que l’idée d’un « gouvernement d’affaires » est peu réaliste, cette notion passe finalement inaperçue dans la communication : c’est le statut de candidat au poste de Premier ministre qui reste dans les mémoires. Ainsi, la N-VA et Bart De Wever optent pour une stratégie qu’ils ne pouvaient guère éviter : sans cela, la question de savoir s’ils avaient un candidat pour le 16 rue de la Loi (siège du Premier ministre belge) continuerait d’être posée.
- En 2019, le parti avait résolu cette question en désignant Jan Jambon (N-VA) comme candidat au poste de Premier ministre, tandis que De Wever était proposé comme candidat ministre-président en Flandre. Tout le monde en interne savait déjà que cela n’était pas cohérent, et cette position avait créé des tensions durant la campagne. C’était lié au fait que Geert Bourgeois (N-VA), alors ministre-président, refusait de céder sa place à Jambon, acceptant de le faire uniquement pour De Wever.
- En 2014, De Wever avait déjà été candidat au poste de Premier ministre, bien que de manière timide. Lors des négociations pour le gouvernement suédois, il est rapidement apparu que pour le MR, seul parti francophone impliqué, De Wever n’était pas une option en tant que Premier ministre : c’est finalement Charles Michel (MR) qui avait obtenu le poste.
- En 2020, la question a été soulevée à deux reprises :
- En mars, lors de la crise du coronavirus, Magnette et De Wever avaient envisagé de former un gouvernement d’urgence, De Wever étant alors prudemment candidat à la direction du pays. Finalement, Magnette a rompu cet accord, le PS jugeant inconcevable un gouvernement avec De Wever comme Premier ministre. Sophie Wilmès (MR) a alors poursuivi avec un gouvernement minoritaire atypique.
- Durant l’été 2020, De Wever et Magnette ont de nouveau discuté, mais la question de la candidature au poste de Premier ministre n’a jamais été résolue, faute de majorité pour un gouvernement bourguignon.
- La N-VA scrute attentivement les sondages : bien que De Wever soit président du parti depuis presque 20 ans, il demeure le politicien le plus populaire du pays. Les sondages placent le Vlaams Belang en tête, mais une analyse par province révèle que De Wever, tête de liste dans son bastion anversois, peut toujours devancer le Vlaams Belang. Reste à savoir si la N-VA peut réitérer cet effet sur les autres listes où le nom de De Wever n’apparaît pas en première position.
- Les sondages internes à la N-VA confirment cette tendance : c’est surtout dans les zones rurales, comme la Flandre occidentale et le Limbourg, que le Vlaams Belang menace de grandir significativement. Parallèlement, cela représente un défi interne : la N-VA compte de nombreux poids lourds et ministres, chacun avec son propre égo. Ils ne vont pas facilement s’effacer pour laisser place à une campagne centrée sur un seul visage, comme le fait le Vlaams Belang.
- En mettant l’accent sur la candidature au poste de Premier ministre et en générant délibérément une compétition autour de la question « qui est le candidat Premier ministre ? », le débat se recentre sur De Wever à cinq mois des élections. Après 20 ans de campagnes, c’était prévisible. Mais si De Wever venait à échouer une nouvelle fois, les lieutenants se tiennent déjà prêts pour reprendre le flambeau.
L’essentiel : Dans cette bataille de ténors, certains sont mieux équipés que d’autres.
- Il est clair depuis un moment que cette course sera fortement personnalisée : la politique se concentre en fin de compte sur les individus. Et cela est d’autant plus vrai avec les réseaux sociaux, mais aussi avec la campagne traditionnelle en radio, à la télévision et dans les journaux, qui mettent l’accent sur les personnes.
- Du côté de l’Open Vld, le choix est évident, en partie parce qu’il n’y a pas vraiment d’alternative : tout repose sur De Croo. Il espère, en « continuant à travailler » et en se positionnant au-dessus de la mêlée, bénéficier d’un genre de bonus lié à sa fonction : De Croo continue de briller dans les sondages des personnalités. Cependant, il n’arrive pas encore à transposer cela sur son parti, rendant presque absurde son ambition de retourner au 16 rue de la Loi au vu des résultats désastreux actuels dans les sondages. « Restons calmes, ça viendra », est le leitmotiv utilisé en interne pour calmer les esprits. Ce sera aussi le message ce soir lors de la réception du Nouvel An de l’Open Vld.
- Magnette, quant à lui, rend ses ambitions moins évidentes, mais tout aussi claires : il se déclare « disponible » pour le 16 rue de la Loi et a délibérément choisi de mener la liste pour la Chambre plutôt que pour l’Europe. Après avoir manqué l’opportunité avec la Vivaldi, il souhaite prendre les commandes pour Vivaldi II. Cependant, le PS ne va pas construire une campagne « présidentielle » autour de son président : ce n’est pas leur manière de fonctionner. D’un autre côté, Magnette, en confrontant De Wever et à travers un débat inévitable entre eux, finira par y parvenir : cette lutte s’avère très bénéfique pour le PS.
- Le Vlaams Belang, comme mentionné précédemment, a déjà joué ses cartes : une pré-campagne entièrement centrée autour de Van Grieken, qui est promu dans toute la Flandre. Mais cela soulève inévitablement une question à laquelle il n’a pas encore répondu : est-il candidat au poste de ministre-président, et comment envisage-t-il de le faire ?
- Au PTB, tout semble tourner autour de Raoul Hedebouw, qui se lance dans une tournée nationale. Dans les sondages, il gagne en popularité, tout comme Van Grieken : en particulier lorsque la question est posée de manière spécifique et non générale. Dans ce cas, le membre du PTB se classe dans le top cinq.
- Chez Groen, on ne tourne pas autour du pot : il n’y a pas de candidat officiel au poste de Premier ministre, mais il est évident que la vice-Première ministre Petra De Sutter (Groen) est la leadeure derrière laquelle tout le monde se range, malgré la présence de deux co-présidents. Elle vise à revenir au gouvernement en tant que chef de parti, si possible. Même en cas de défaite électorale, l’engagement est clair pour la Vivaldi II. Du côté d’Ecolo, on la joue collectif, comme toujours, sans mettre personne en avant de manière particulière.
- Chez Vooruit, l’absence de Conner Rousseau (Vooruit) est particulièrement sensible dans ce genre de débat. Rousseau était le seul à rivaliser dans les sondages avec De Wever et De Croo, voire à les dépasser. Aujourd’hui, les socialistes flamands n’ont pas de figure de proue pour le 16 rue de la Loi, et la présidente Melissa Depraetere (Vooruit) ne l’évoque pas explicitement. Mais sans grand nom capable de se hisser au premier rang, la course s’annonce difficile. Et même si Rousseau revenait, ce qui reste une question ouverte, il ne serait pas évident de le remettre pleinement en avant.
Entre les lignes : Sammy Mahdi (cd&v) se tient loin de la N-VA et des réformes de l’État, lors de sa réception du Nouvel An.
- C’est à Tour & Taxis, où le cd&v a désormais ses bureaux, loin du centre politique de Bruxelles, que s’est tenue la réception du Nouvel An. Là-bas, un président Mahdi particulièrement combattif a fait pas mal de sous-entendus :
- « Notre parti est de retour, the beast is back! », a-t-il suggéré en faisant allusion à l’intelligence artificielle avec laquelle il a fait apparaître l’ancien ténor Jean-Luc Dehaene (cd&v) dans une vidéo de campagne. « Je vous avais promis l’année dernière que nous allions à nouveau nous battre les uns pour les autres et pour nos convictions. Et c’est ce que nous avons fait. »
- « Nous avons élaboré des plans ambitieux, nous avons fermement tenu bon, parfois surpris. Je pense aussi à feu Jean-Luc Dehaene, qui a délivré un message plus pertinent que jamais et que seul notre parti peut porter de manière crédible », faisant aussi allusion à sa participation en tant que drag queen dans une émission télévisée.
- « Ce qui change, c’est notre poids, mon poids en kilos, comme notre poids politique », a-t-il ajouté avec auto-dérision.
- Il a terminé de manière dynamique : « Nous serons la surprise des élections, car nous connaissons la Flandre mieux que quiconque. De Herstappe à Anvers, de la Grand-Place à la rue du village. Nos troupes savent ce qui se passe. »
- Les piques envers De Wever ont également été remarquées : « On ne gouverne pas un pays avec du vinaigre », a-t-il déclaré. Mais surtout, concernant une éventuelle réforme de l’État : « Allons-nous vraiment laisser notre prospérité flamande aux mains de partis qui veulent s’enterrer dans les tranchées pendant des centaines de jours, avec pour seul objectif de diviser le pays ? », a déclaré Mahdi.
- Le mot « réforme de l’État » n’a pas franchi les lèvres de Mahdi : c’est notable pour un parti qui a si souvent mené la charge sur ce sujet par le passé. Mais cela n’est pas surprenant : Mahdi a déjà clairement indiqué à son propre groupe parlementaire que les démarches dans cette direction ne seront pas appréciées. Ce n’est pas un sujet sur lequel le cd&v souhaite encore beaucoup communiquer, sauf pour demander « l’absence de stagnation ».
- C’est un changement crucial par rapport à 2019 : à l’époque, des leaders cd&v tels que Hilde Crevits (cd&v) et Koen Geens (cd&v) avaient conclu qu’une réforme de l’État était absolument nécessaire. Cela avait abouti à une alliance avec le N-VA, bloquant longtemps la situation au niveau fédéral. Cette fois, Mahdi s’est surtout ouvertement rattaché aux Engagés, où c’est « ensemble dans la victoire, ensemble dans la défaite ». Ce choix a des conséquences importantes : Maxime Prévot (Les Engagés) n’attend pas un scénario avec le N-VA et une réforme de l’État.
- Les piques envers l’Open Vld et Vooruit étaient également présentes : « Les gens veulent des politiciens qui font simplement leur travail. Sans bavardages de soulards ou air guitar« , a lancé Mahdi en visant Conner Rousseau (Vooruit) et Vincent Van Quickenborne (Open Vld). « Sans jeux ni stratégies. Sans vouloir détruire tout et tout le monde. Les gens en ont assez de ces discours politiques écœurants. »
- En même temps, on entend du côté du MR qu’ils ont également conclu un accord avec le président du cd&v : continuer ensemble, si possible, au niveau fédéral. Cela semble donc mener vers une continuation de ce qui existe déjà : une Vivaldi II. Les jeux et stratégies font apparemment partie intégrante du rôle de président de parti dans le jeu politique belge, comme le montre la pratique.