“Trop de stimulus” : Les marchés critiquent les politiques accommodantes des banques centrales

Les investisseurs témoignent d’une défiance de plus en plus grande à l’égard des politiques monétaires ultra-accommodantes des banques centrales. Certains notent leur incapacité à ranimer l’inflation, et se demandent s’ils n’ont pas épuisé leur arsenal, et si nous ne sommes pas entrés dans des cercles vicieux qui risquent de déclencher une récession mondiale.

Le ralentissement toujours plus marqué de la hausse des indices des prix à la consommation, la chute des taux obligataires et l’aplatissement des courbes de rendement sont autant de facteurs qui suggèrent en effet que les politiques expansionnistes menées depuis plusieurs années par les grandes banques centrales ne parviennent plus à atteindre leurs objectifs.

L’inflation n’est jamais repartie depuis la crise de 2008

Au cours de la dernière décennie, les banques centrales ont procédé à plus de 700 baisses de taux d’intérêt et ont consacré des milliers de milliards de dollars au rachat d’obligations pour injecter des liquidités dans l’économie. Ces efforts ont sans aucun doute permis de sortir de la crise financière de 2008, et possiblement évité un effondrement de la zone euro. Mais ils ont largement échoué à relancer l’inflation.

Au Japon, par exemple, l’inflation peine à décoler des 0,6 %. L’introduction de taux d’intérêt négatifs par la banque centrale en 2016 n’y a rien fait. En Corée du Sud, la hausse de l’indice des prix à la consommation a été nulle en août, une première pour le pays. Et récemment, le FMI a revu ses prévisions de progression de l’inflation dans les pays développés pour l’année prochaine à la baisse, la fixant à seulement 2 %.

Les swaps d’inflation, un indicateur révélateur des prévisions des investisseurs en matière d’inflation, n’ont jamais été aussi peu prisés aux Etats-Unis et dans la zone euro.

Des taux d’intérêt inhabituels

Cela explique aussi probablement pour partie l’inversion de la courbe des taux que l’on a pu observer récemment. Ce phénomène relativement rare se manifeste lorsque des obligations de long terme ont des taux d’intérêt plus faibles que des obligations de plus court terme. Il signifie en général que les investisseurs anticipent que des événements ayant une influence à la baisse sur les taux d’intérêt sont susceptibles de se produire. En général, ces événements sont associés à des récessions, ce qui explique pourquoi les inversions de courbes des taux sont considérées comme des signes avant-coureurs de récession.

Dans le cas présent, cela est certainement induit par le fait que les investisseurs n’exigent pratiquement aucune prime supplémentaire pour le risque d’inflation induit par les obligations à plus long terme, par rapport à celles ayant des échéances plus courtes. Le spread de taux, c’est à dire l’écart de taux d’intérêt que l’on observe entre les bons du Trésor à deux ans et ceux à 30 ans est tombé à 52 points de base, contre 232 points de base en moyenne au cours de la dernière décennie. L’Etat suisse fait maintenant payer les investisseurs prêts à lui prêter de l’argent pour une durée de… 50 ans.

Les marchés commencent à se plaindre des politiques monétaires

Le taux directeur de la Fed a été coupé de moitié depuis la dernière récession ; ceux de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Banque du Japon sont déjà négatifs. On s’attend à ce que ces 3 grandes banques centrales prennent de nouvelles mesures dès ce mois-ci pour assouplir encore davantage leur politique monétaire, afin de tenter de juguler une possible récession.

Mais les marchés commencent à critiquer ces politiques, qu’ils trouvent exagérées dans un contexte géopolitique de plus en plus incertain. « Il y a beaucoup de phénomènes sur le marché qui indiquent qu’on fait trop de stimulus, que ça s’inverse et qu’on n’en tire aucun bénéfice », explique Steven Englander, qui dirige la recherche sur les opérations de change du G-10 à la Standard Chartered Bank.

Selon certains, il est temps de prendre des mesures de relance économiques basées sur des dépenses publiques, et de cesser de trop compter sur les taux d’intérêt. Ils redoutent que de nouvelles baisses de taux d’intérêt ne fassent que développer de nouvelles bulles d’actifs déjà omniprésentes sur les marchés.

Un environnement économique perverti

Car ces politiques pervertissent l’environnement économique à plus d’un titre. Elles favorisent aussi la formation de mastodontes monopolistiques, parce que les grandes entreprises peuvent emprunter plus facilement et accroître leur position dominante et leur valeur de marché par le biais d’acquisitions. D’un autre côté, elles ruinent les efforts des banques et des épargnants, dont les liquidités ne rapportent plus rien, et permettent à des entreprises zombies (des sociétés faibles qui devraient disparaitre du marché dans des circonstances normales) de survivre, et de perturber les marchés sur lesquels elles sont opérationnelles, en accroissant dangereusement la concurrence. « S’il y a une chose qui m’empêche de dormir la nuit, c’est le risque que les taux ultra bas deviennent un cercle vicieux », affirme Roelof Salomons, stratégiste en chef chez Kempen Capital Management à Amsterdam.

Des facteurs structurels favorisant une inflation faible

La dette colossale des ménages et des entreprises à travers le monde, qui culmine à 225 % du PIB mondial, laisse également penser qu’une nouvelle baisse de taux d’intérêt n’inciterait guère les agents économiques à s’endetter encore davantage. Enfin, certains facteurs structurels poussent également vers une baisse de l’inflation : le déclin démographique couplé à de nouvelles valeurs de la génération du millénaire (écologie, choix de consommation d’expériences au détriment de la propriété, économie partagée,…), impliquant une baisse de la demande, et donc une « déconsommation », le ralentissement de la productivité des économies émergentes et la révolution technologique (IA). Cette dernière dernière est la première révolution technologique de l’histoire mondiale qui détruit des emplois sans en créer massivement.

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