Avant de lutter contre les paradis fiscaux, il faut s’attaquer aux enfers fiscaux

Les scandales des Paradise Papers et des Panama Papers ont scandalisé l’opinion. Mais personne ne soulève jamais les causes profondes de l’évasion fiscale. Il est pourtant nécessaire de s’attaquer à ses causes pour pouvoir y mettre fin.

C’est l’opinion du Français Bernard Monassier, notaire honoraire et vice-président du Cercle des fiscalistes.

Les 3 causes de l’évasion fiscale

Il explique que ces scandales d’évasion fiscale ont 3 causes :

  • La désynchronisation fiscale : le fait que les taux d’imposition soient très hétérogènes au sein des différents pays membres de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economiques (OCDE). Si les taux d’imposition étaient harmonisés entre ces pays, aucune entreprise n’aurait intérêt à recourir aux montages de type « double Irish » et « Dutch sandwich ».

Il est donc nécessaire d’harmoniser ces taux d’imposition pour dissuader les entreprises à faire appel à ce type de montages complexes pour exploiter les écarts de taxation entre les différents pays. Dans ce domaine, l’Europe doit agir rapidement, car les réformes décidées par le président américain Donald Trump vont convertir les États-Unis en paradis fiscal.

  • Des taux d’imposition confiscatoires : la conception de montages fiscaux est coûteuse, et les entreprises qui pratiquent ces optimisations fiscales ne le font que parce que le jeu en vaut la chandelle. Les politiciens doivent comprendre qu’au-delà d’un certain niveau de taxation, les impôts sont confiscatoires, et les contribuables ont la perception  que l’État les vole. Ils doivent donc réfléchir à des réductions d’impôts, car des niveaux de taxation raisonnables sont mieux acceptés.
  • Le 3e facteur d’évasion fiscale est la taxe sur la valeur ajoutée. Les scandales les plus récents ont mis en exergue le rôle de l’île de Man dans ce domaine. Les oligarques russes y ont enregistré un certain nombre d’entreprises, et s’en justifient en expliquant qu’ils ne font pas confiance à la règle de droit en Russie. La question mérite d’être investiguée. De même, l’hétérogénéité des règles d’application de la TVA favorise les fraudes.

Et Bernard Monassier de conclure : « les scandales fiscaux qui se succèdent résultent d’une fiscalité mondiale hétérogène et de taux d’imposition parfois trop importants. Pour lutter contre la fraude et l’optimisation fiscale, l’harmonisation fiscale est la seule solution au plan mondial ».

Les enfers fiscaux

La justification de l’évasion fiscale par l’existence d’”enfers fiscaux” est un thème récurrent pour les tenants des philosophies libérales. Ces enfers fiscaux sont les nations qui se caractérisent par “des impôts excessivement élevés, complexes et instables”, et par “l’arbitraire de l’État et de l’administration fiscale”, selon la définition du think tank Iref-Europe.

Dans ce domaine, la France serait la championne mondiale, tandis que la Belgique se classerait 3e. C’est ce qui ressortait d’un classement établi par Forbes Asia en 2009. Malgré l’ancienneté de ce palmarès, il n’est pas douteux que ces deux champions soient parvenus à conserver leur titres.

L’UE planche sur une harmonisation fiscale

L’Europe semble être consciente de ce phénomène. Le 15 mars dernier, les eurodéputés ont adopté la directive ACCIS (pour « assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés »), une proposition de la Commission européenne visant à instaurer une harmonisation de l’assiette fiscale au sein des différents Etats membres. L’objectif serait d’imposer un périmètre fiscal identique pour l’ensemble du bloc, et d’éliminer en conséquence les niches fiscales, exemptions diverses et avantages fiscaux de toutes sortes prévus dans les codes des impôts des différents Etats membres.

Pour Alain Lamassoure du Parti populaire européen, cette directive permettrait de mettre définitivement fin aux pratiques d’évasion fiscale : « Si le conseil adoptait cette directive prochainement, elle simplifierait la vie des entreprises, en leur permettant de ne s’adresser qu’à une seule administration fiscale en Europe, et elle mettrait définitivement fin aux pratiques d’évasion et d’optimisation fiscales ».

L’hétérogénéité des taux demeurera

Vincent Drezet, du syndicat Solidaires finances publiques, ne partage guère son enthousiasme. Il souligne que l’impôt dépend de 2 variables : l’assiette fiscale, et le taux d’imposition. Si l’on n’harmonise que l’assiette fiscale, les Etats auront toujours la possibilité d’offrir des taux d’imposition plus faibles pour attirer les entreprises.

Actuellement, le taux d’imposition varie du simple au triple au sein de l’Union Européenne. La Bulgarie (10 %), l’Irlande et Chypre (12,5 %) sont les pays qui offrent les taux d’impôt sur les sociétés les plus favorables au sein de l’Union Européenne. De l’autre côté du spectre, Malte (35 %), la France (33 % ?) et l’Allemagne (30,2 %) sont les pays qui pratiquent les plus fortes taxations, si l’on exclut les régimes particuliers et les exemptions dont peuvent bénéficier certaines entreprises.

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