Au sein de l’UE aussi, on assassine des journalistes d’investigation

En Slovaquie, le journaliste d’investigation Ján Kuciak, âgé de 27 ans, et sa fiancée Martina Kušnírova, ont été retrouvés morts dimanche, abattus à bout portant dans leur maison située à 65 km de Bratislava.

Kuciak travaillait pour le site d’actualités Aktuality.sk, un titre du groupe de médias germano-suisse Axel Springer. Il enquêtait sur des soupçons de fraude fiscale orchestrée par la Ndrangheta, la mafia calabraise. Des résidents slovaques, complices de cette dernière, auraient détourné des subventions européennes à son profit. Précédemment, il avait écrit des rapports sur des affaires de fraude fiscale impliquant des hommes d’affaires liés au parti Smer du Premier ministre slovaque Robert Fico.

Kuciak s’était entre autres intéressé à Ladislav Bašternák, un homme d’affaires controversé qui possède le complexe immobilier dans lequel réside le Premier ministre slovaque.

Les « sales prostitués antislovaques » du Premier ministre

“S’il s’avère que la mort du journaliste d’investigation était liée à son travail, cela signifierait qu’il s’agit d’une attaque sans précédent sur la liberté de la presse et la démocratie en Slovaquie”, a déclaré Fico dans un communiqué. 

Son gouvernement a promis le versement d’une prime de 1 million d’euros à toute personne susceptible de fournir des informations pertinentes sur ces meurtres.

Mais Fico n’a pas toujours manifesté de la sympathie à l’égard des journalistes. En 2016, il avait qualifié les reporters présents lors d’une conférence de presse de “sales prostitués antislovaques”.

C’est le deuxième meurtre récent d’un journaliste au sein de l’UE

Le meurtre a été fermement condamné par divers groupes politiques et journalistiques européens. Les journaux slovaques ont publié des éditoriaux dans lesquels ils demandent au gouvernement non seulement de retrouver les assassins, mais aussi de protéger la liberté d’expression.

C’est le deuxième meurtre récent d’un journaliste enquêtant sur des affaires de corruption dans un État membre de l’UE. En octobre dernier, Daphne Caruana Galizia a été tuée à Malte lors de l’explosion de sa voiture qui avait été piégée. Elle avait notamment travaillé sur le dossier des Panama Papers.

“Même durant la décennie anarchique et turbulente qui a fait suite à la fin du communisme en 1989, aucun journaliste n’a été tué en Slovaquie. [Certains ont été] Battus et menacés, oui, en de multiples occasions. Mais jamais exécutés d’une balle dans le cœur ou dans la tête”, écrit Tom Nicholson dans un article d’hommage publié par Politico.

Un terreau propice

Le journal slovaque Niviny accuse le Premier ministre Fico d’avoir créé le terreau propice à ce genre de meurtres :

“Robert Fico est pour partie responsable d’un climat dans lequel on tente simplement de tuer des journalistes. Quand le chef de gouvernement décrit un groupe professionnel entier de “prostitués”, cela envoie un signal clair que la saison de chasse est ouverte pour ses membres. (…). Le Premier ministre ne pourra se soustraire à sa responsabilité morale sur cette affaire”.

“C’est la liberté du monde qui a été attaquée”, pour SME, un autre journal slovaque. “Le but était non seulement de faire taire une personne, mais aussi d’effrayer tout le monde. Le meurtre d’un journaliste est aussi une attaque sur le grand public; après tout, les journalistes sont les yeux, les oreilles et les bouches du peuple”.

Un dernier pavé dans le marécage

L’organisation du journalisme d’investigation OCCRP a décidé de publier mercredi le dernier article inachevé de Kuciak. Celui-relate le recrutement comme assistante par Robert Fico de Maria Troskova, une ex-candidate de Miss Univers qui a co-fondé une entreprise avec un Italien résidant en Slovaquie et soupçonné d’avoir des liens avec la Ndrangheta.

© EPA

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