Attentat en Irlande du Nord : le Brexit rouvre-t-il une plaie profonde?

Une voiture piégée a explosé devant le tribunal de la ville de Derry (aussi appelée Londonderry par les unionistes), en Irlande du Nord, dans la nuit de samedi à dimanche. Selon les informations de la police, il pourrait avoir été orchestré par l’organisation clandestine New IRA (Nouvelle IRA). L’attentat n’a pas fait de victimes, mais a causé d’importants dégâts. Les observateurs s’inquiètent, et beaucoup se demandent si le Brexit n’est pas en train de menacer la paix si durement acquise en Irlande. 

« C’est une image que les habitants de Derry n’ont plus l’habitude de voir », écrit l’Irish Times en introduction de son rapport de l’événement. Les images de vidéosurveillance montrent une voiture qui s’arrête devant le Palais de Justice de Bishop Street. Son conducteur en sort et se met à courir, et le véhicule piégé explose sans faire de victime.  Fort heureusement, la police avait été prévenue. Elle avait donc pu faire évacuer les lieux, et adresser un message d’alerte à la population.

« Nous pensions que cette époque était révolue »

« Vous entendez ces mots, «voiture piégée», et cela vous ramène en arrière. Il y a longtemps que je ne m’étais pas retrouvé derrière de la rubalise comme celle-ci un samedi soir. Nous pensions que cette époque était révolue », commente un journaliste présent sur la scène de l’attentat, cité par le journal irlandais.

Les détails de cette attaque ne sont pas sans rappeler le mode opératoire des attentats perpétrés par les républicains catholiques nord-irlandais de l’IRA dans les années septante à nonante du siècel dernier. De toute évidence, les habitants sont en état de choc ; l’Irish Times lui-même a titré « la voiture piégée de Derry nous rappelle des temps avec lesquels la ville veut définitivement rompre ».

La police soupçonne le groupuscule New IRA, et une vaste enquête policière est en cours.  Quatre jeunes hommes – ils seraient tous âgés de moins de 30 ans – ont été arrêtés dimanche.

Une centaine d’individus militent toujours pour la réunification de l’Irlande

Ce n’est pas non plus une première. Le groupe New IRA est responsable de plusieurs attentats survenus à Derry au cours de ces dernières années. Il aurait notamment tenté d’assassiner un policier en plaçant une bombe sous sa voiture devant son domicile en 2017. Il a également revendiqué des tirs et des lancers de grenades durant l’été dernier. Le groupe rejette les accords de Belfast et recourt à la violence pour atteindre son objectif : la réunification de l’Irlande.

Le groupuscule n’est pas seul à partager cet objectif. Selon la police nord-irlandaise, une centaine de personnes seraient actives dans d’autres groupes dissidents, dont Continuity IRA, Irish Republican Movement (IRM), ONH ou Arm na Poblachta. Mais contrairement à ce qui se passait autrefois avec l’IRA, aucun ne recueille le soutien de la population.

Quel lien avec le Brexit ?

Néanmoins, de nombreux observateurs ne peuvent s’empêcher de faire le lien avec le Brexit. La frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande est en effet la principale pierre d’achoppement qui a privé Theresa May de la majorité dont elle avait besoin à la Chambre des Communes pour valider l’accord qu’elle avait âprement négocié avec l’Union européenne. Un grand nombre de politiciens britanniques, dont les membres du DUP, les unionistes d’Irlande du Nord, redoutent les conséquences de l’instauration d’une frontière physique entre les deux Irlande. Mais en cas de sortie du marché unique du Royaume-Uni le 29 mars 2019, il sera nécessaire de rétablir les contrôles douaniers entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord.

La question est si sensible, que Theresa May a clairement indiqué qu’elle en ferait le point central de son plan B. La Première ministre britannique a également envisagé la possibilité de revoir « l’Accord du Vendredi Saint » (« Good Friday Agreement », l’accord signé en 1998 qui a rétabli la paix en Irlande). Elle a évoqué la possibilité de réécrire l’accord de manière à assurer à l’Irlande que le Royaume-Uni s’engage à ne pas instituer de frontière physique sur l’île après le départ de ce dernier de l’Union européenne en mars.

Une sensibilité qui n’a plus lieu d’être

Mais dans l’Irish Times, l’écrivain Michael O’Loughlin explique que tous ces débats sont dépassés, d’une certaine manière :

« La réalité, c’est qu’il y a presque un siècle, la majorité d’entre nous avons accepté la partition, décidant ainsi que conserver l’Irlande du Nord pour de bon, plutôt que sur le papier, était un prix trop élevé à payer en échange d’une sorte de liberté, aussi imparfaite et minime soit-elle. (…) Le point crucial, c’est que les frontières ne marquent pas uniquement une ligne sur le sol, elles séparent aussi les gens et leur culture.

Depuis les années 1920, l’Irlande du Nord s’est éloignée, politiquement et culturellement, de la République, et son destin est toujours lié à celui de la Grande-Bretagne. Quelle que soit la potion que les politiciens pourront trouver, (….) cette divergence va s’accentuer, au fur à mesure que nous deviendrons plus européens et que le Royaume-Uni deviendra plus… eh bien, pour l’instant, personne ne sait exactement quoi. (…) La frontière avec le Nord est réelle, et dure, parce qu’elle traverse l’esprit des habitants de cette île. Après la partition, tels des enfants séparés à la naissance et élevés dans familles différentes, nous avons évolué dans des directions distinctes. Les deux systèmes éducatifs ont formé les esprits de leurs enfants de différentes manières. Mais plus important encore, le fait d’avoir un État indépendant, aussi imparfait et destructeur qu’il l’a finalement été pour beaucoup de personnes qui y sont nées, a conduit à une certaine maturité en ce qui concerne notre identité irlandaise. »

Plus