L’Arabie saoudite veut améliorer ses performances énergétiques et cherche à investir dans de nouvelles technologies pour réduire sa dépendance aux combustibles fossiles. Le régime saoudien ambitionne donc de passer au nucléaire civil, une décision qui suscite l’inquiétude dans la région.
C’est ce qu’affirme Nick Butler dans une tribune du Financial Times. M. Butler préside le King’s Policy Institute au King’s College de Londres.
Une ambition assez ancienne
Selon lui, ces plans ne sont pas nouveaux, et cela fait un certain temps que l’Arabie saoudite envisage de passer au nucléaire. En 2010, le pays avait annoncé la construction de 16 réacteurs sur les 20 années suivantes. Ces déclarations d’intention ont été renouvelées depuis, et désormais, le royaume vise une capacité de 17 gigawatts d’ici 2032 ou 2040. Il a entamé des négociations avec un certain nombre de pays et d’entreprises détenteurs de cette technologie, dont les États-Unis, la Corée du Sud, la Russie, la France et la Chine.
Mais jusqu’à présent, aucun chantier n’a débuté et les besoins énergétiques croissants du pays sont donc encore presque intégralement assurés par le pétrole et le gaz naturel. L’Arabie saoudite puise donc près d’un quart des dix millions de barils de pétrole qu’elle produit chaque jour pour assurer ses propres besoins. Un tel prélèvement entame les recettes pétrolières à l’exportation, dans un contexte de recettes en berne en raison de prix assez bas actuellement.
Cela motive le pays à envisager la construction d’une grande centrale nucléaire d’une capacité de 1 200 à 1 600 mégawatts. Elle serait complémentée par de plus petits réacteurs pour les besoins de désalinistation de l’eau.
Nucléaire civil et nucléaire militaire, les « deux frères siamois »
Mais ces projets sont contrecarrés par les inquiétudes qu’ils suscitent au plan international. Le nucléaire civil et le nucléaire militaire sont considérés comme des « frères siamois », selon la formule du lauréat du Prix Nobel Hannes Alfvén. Autrement dit, ils sont les deux faces d’une même médaille. Lorsque l’on dispose de l’un, il est assez facile de se doter de l’autre.
Or, au mois de mars, le prince Mohammed Ben Salmane a déclaré que bien que son pays n’avait aucun désir de se doter de l’arme nucléaire a priori, il n’hésiterait pas à le faire si l’Iran venait à développer une bombe atomique.
Une possible épidémie de nucléaire au Moyen-Orient
Certains redoutent donc que l’Arabie saoudite ne décide de se doter de l’arme nucléaire après avoir acquis la technologie du nucléaire civil. Une crise diplomatique pourrrait inciter le royaume à se tourner vers le Pakistan, un allié qui dispose lui-même de la bombe atomique. Mais une telle initiative pourrait déclencher une épidémie au Moyen-Orient : elle pourrait en effet inciter d’autres pays de la région, inquiets pour leur sécurité, à faire de même sous couvert de légitime défense.
Les Etats-Unis, le grand allié du royaume, connait ce danger. Récemment, deux sénateurs américains se sont prononcés contre une possible vente de la technologie nucléaire américaine à l’Arabie saoudite. Le président des États-Unis, Donald Trump, pourrait y voir une opportunité de donner un nouvel essor à une industrie nucléaire américaine en plein marasme. Mais il risque de se heurter à une forte opposition du Congrès américain. Celui-ci pourrait décider de bloquer toute vente de technologie nucléaire tant que le prince héritier est aux commandes du pays.
L’Arabie Saoudite ne manque pas d’options
Mais l’Arabie saoudite a établi de bonnes relations avec Kepco, une firme nucléaire sud-coréenne. De même, la Russie pourrait aussi se montrer moins regardante que les Etats-Unis. La firme russe Rosatom gère actuellement 36 projets de centrales dans le monde, ce qui en fait l’un des fleurons mondiaux de cette technologie. Un accord conclu avec Riyad permettrait de consolider le dégel des relations entre la Russie et l’Arabie saoudite. Rosatom a déjà proposé de livrer du combustible nucléaire et de développer une expertise locale.
« Le fait que Riyad puisse envisager un tel choix montre à quel point les choses ont changé dans un pays autrefois déterminé à éviter coûte que coûte tous les risques, et à promouvoir la stabilité dans une région instable », conclut M. Butler.