Le président russe se tient fermement à son siège, et aucun indice d’une révolution de palais imminente ne nous parvient, mais il n’empêche que les pays de l’OTAN se tiennent prêt en cas de changement de régime à Moscou. Car ce genre de retournement de situation peut se produire très vite, et probablement pas dans la sérénité: « Cela pourrait devenir très shakespearien, pensez au Roi Lear, ou à l’Empire romain, comme Moi, Claudius, ou Games of Thrones » estime William Alberque, ancien directeur du centre de contrôle des armements de l’OTAN. Or, il ne faut pas perdre de vue que le président russe a déjà 70 ans, et que sa santé pose question.
Transition en petit comité
Le scénario le plus probable semble être une passation de pouvoir au sein même des cercles proches de Vladimir Poutine. C’est en tout cas ce que le président russe envisage lui-même, bien qu’il considère probablement qu’elle ne pourrait s’exécuter qu’avec son bon vouloir. Sauf que la situation a changé depuis son aventure militaire catastrophique en Ukraine. « Pour gérer une succession stable le moment venu – qui sera, dans l’esprit de Poutine, le moment de son choix – vous avez besoin d’un haut degré de consensus de l’élite », estime auprès de Politico Laurie Bristow, ancien ambassadeur britannique en Russie. « Ce qu’ils ont fait maintenant, c’est briser ce consensus. » L’ancien ambassadeur estime par ailleurs que la transition ne se fera pas sans heurts, et que l’OTAN doit se préparer à toute éventualité, d’autant que le processus ne sera certainement pas démocratique.
Un nouveau « temps des troubles » ?
La Russie impériale a traversé une longue histoire de conflits de succession, de luttes de pouvoir et de guerres civiles. Selon certains analystes, dans un régime aussi centré sur le pouvoir d’une seule figure national, il n’est pas exclu que ça se reproduise, et que la succession de Poutine ressemble à celle de certains tsars : une lutte à mort entre les prétendants. « Il pourrait y avoir une instabilité interne », envisage Alexander Vershbow, ancien haut fonctionnaire des États-Unis et de l’OTAN. « Et les choses deviennent très imprévisibles dans les systèmes autoritaires, dans les dictatures personnalistes. » On sait déjà que différentes factions se dessinent au sein même du Kremlin parmi les « siloviks » pour reprendre le surnom consacré des carriéristes de l’appareil répressif post-soviétique. Certains plutôt radicaux sur le conflit, d’autres moins ; dans l’entourage de Poutine, il y a des gens encore plus jusqu’au-boutistes que lui sur les sujets de l’Ukraine ou de l’OTAN.
Une dislocation de l’empire ?
Il ne faut pas perdre de vue que la Fédération de Russie, comme l’URSS avant elle, tient plus de l’empire multiethnique que de l’État-nation, même si les Russes restent majoritaires au niveau des institutions étatiques – le ministre de la Défense Sergueï Choïgou, né d’un père touvain, étant une exception. Or les régions périphériques, où vivent les minorités, sont surreprésentées parmi les troupes, et c’est d’autant plus le cas après la mobilisation orchestrée par le gouvernement. De quoi faire monter le mécontentement dans des régions parfois déjà traversées de volontés indépendantistes, comme le Daghestan. Certaines de ces républiques ont déjà été le théâtre de violences contre les mobilisations. Le gouvernement russe craint depuis longtemps une fragmentation, mais il pourrait être en train de la provoquer. On peut penser à Ramzan Kadyrov, président d’une Tchétchénie quasi indépendante et qui a déjà défié Moscou par deux fois ; si ce dernier compte parmi les fidèles de Poutine, il pourrait très bien opter pour un changement dans son agenda.
Le rôle de l’OTAN
La question, pour l’Alliance, est de décider s’il faudra éventuellement aider cette transition ou non, sachant qu’il y a un risque de faire pire que mieux et de mettre au pouvoir quelqu’un de pire que Poutine. La Russie reste une puissance nucléaire, ce qui y rend tout trouble interne potentiellement catastrophique. Certains pays seraient sans doute enclins à faire table rase du passé et à envisager une nouvelle relation avec la Russie, en particulier en Europe occidentale. D’autres, plus à l’est, y verraient la preuve qu’il ne faut pas tenter de s’associer avec ce pays : « La Russie dans sa version avec un tsar comme leader était la même que la Russie avec un secrétaire général du parti communiste comme leader, et maintenant, c’est la même chose avec Vladimir Poutine comme leader » a ainsi martelé le ministre polonais de la Défense nationale, Mariusz Błaszczak, auprès de Politico.