Après Ecolo, place à Groen : De Sutter en grande difficulté, l’un des deux employés payés par Bpost a travaillé sur le contrat de distribution de journaux

La ministre des Entreprises publiques et vice-première ministre Petra De Sutter (Groen) reste en eaux troubles. Elle risque de payer le prix politique de tout le scandale autour de Bpost, qui fait rage depuis des semaines. En effet, au compte-gouttes, l’ancien CEO Dirk Tirez laisse filtrer des informations qui l’entraînent dans le bourbier. Après avoir appris que Bpost continuait à payer deux employés du bureau de De Sutter, y compris des primes, la ministre a déclaré qu’il n’y avait « aucun conflit d’intérêts ». Les deux experts seront toutefois désormais payés par le cabinet, afin d’éviter toute apparence de partialité. Mais De Sutter s’est-elle trop avancée ou a-t-elle menti quand elle déclarait encore hier matin que ses deux collaborateurs « ne travaillaient que sur l’accord de gestion, et non sur les contrats publics litigieux » ? Des échanges WhatsApp ont fait surface, montrant qu’au moins un des deux experts du cabinet a également travaillé sur le contrat de distribution de journaux.

Dans l’actu : Dirk Tirez, l’ex-patron de Bpost, divulgue des échanges de SMS avec le cabinet De Sutter.

Les détails : Tout d’abord, cela montre à quel point les lignes étaient directes pour parler de centaines de millions d’euros d’aides d’État. « La ministre fera de son mieux pour l’entreprise lors du kern de demain », a assuré le chef de cabinet de De Sutter au PDG de Bpost.

  • « Je verrai les syndicats demain. Est-il vrai que le montant de la concession annuelle des journaux passerait de 170 millions à 110 millions d’euros ? », envoie Dirk Tirez au chef de cabinet de De Sutter, Kurt Van Raemdonck, via Whatsapp, le 24 mars 2021.
  • Dans la balance, Tirez met subtilement les « 4.500 personnes qui travaillent à la distribution de journaux et de magazines » : une exagération considérable, même selon les chiffres du syndicat de l’entreprise.
  • Le fait qu’il s’agisse de l’attribution d’une concession, qui devrait donc en principe se dérouler dans une offre de marché public, entre différents acteurs, semble totalement exclu de la conversation. Avec le recul, il s’avérera que c’est précisément là que réside le problème : il y a eu collusion entre Bpost et les éditeurs de journaux, afin d’écarter tout autre soumissionnaire potentiel.
  • Sans hésiter, le chef de cabinet répond au PDG de la société cotée en bourse : « Il y a effectivement une discussion à ce sujet demain au kern, je transmettrai votre préoccupation à la ministre. C.W. a suivi l’affaire, je vérifie, il y a eu des appels de la part des libéraux pour une réduction du budget de 10 % ainsi qu’une dégressivité d’une manière ou d’une autre, quoi que cela signifie, je me renseignerai, Kurt. »
  • Quelques instants plus tard, deux autres messages de l’administration De Sutter ont suivi, adressés au PDG :
    • « La ministre va faire de son mieux au kern demain, K. »
    • « Les 110 millions ne sont en fait qu’une proposition du VLD, qui n’a initialement fait aucune concession, ils sont quelque peu isolés, je ne pense pas que le budget baissera beaucoup, K. »

Pourquoi les conversations fuitent : Dirk Tirez est sur le pied de guerre.

  • L’ensemble de la conversation est apparu jeudi après-midi, à peu près au même moment dans De Standaard et De Tijd. La source est plutôt claire : l’ancien patron mécontent Dirk Tirez. Il est le seul à disposer des Whatsapp. Et il est de plus en plus en désaccord avec la direction actuelle de Bpost et la ministre De Sutter. Auparavant, il avait déjà fait connaître à la presse que les deux membres du cabinet qui travaillaient pour le gouvernement au sein du cabinet De Sutter étaient toujours payés par Bpost.
  • Le fait que Tirez confirme une fois de plus les liens étroits qui existaient entre l’entreprise cotée en bourse et le gouvernement, ainsi que la désinvolture avec laquelle les règles d’attribution d’un marché public étaient traitées, ne semble pas trop le déranger.
  • En effet, avec ses messages WhatsApp, l’ex-PDG apporte une fois de plus la preuve d’un imbroglio profond et malsain avec le gouvernement et, au bout du compte, d’un court-circuitage des normes au sommet de Bpost. Mais dans cette conversation, il n’est question que d’un seul nom : C.W.
    • Elle est l’un des deux experts détachés de Bpost et, à la demande de Tirez, elle est toujours restée sur le payroll de la société cotée en bourse.
    • Le fait que De Sutter ait affirmé « que les deux experts n’ont travaillé sur aucun des contrats litigieux » s’avère donc inexact. Le porte-parole de De Sutter maintient toutefois la version de la ministre dans De Tijd : « Les WhatsApps illustrent le lien professionnel entre le Cabinet tutélaire et Bpost, où les questions de clarification et d’information sont normales. Les échanges n’indiquent pas une relation suspecte entre le cabinet et Bpost. »

L’essentiel : De Sutter risque de subir de lourds dommages.

  • Il ne fait aucun doute que le dossier donne des sueurs froides au sein du gouvernement : cette semaine, des analyses financières plutôt sombres ont déjà été faites sur l’avenir de l’entreprise cotée en bourse, bien qu’un peu plus de la moitié de celle-ci soit encore entre les mains du gouvernement.
  • Le jeu consistant à déterminer qui devra bientôt assumer la responsabilité politique de l’ensemble du scandale dure depuis bien trop longtemps.
  • Bien qu’il existe un cadre juridique, avec un AR de 2001, pour le détachement de collaborateurs, et que cette pratique soit courante dans d’autres cabinets, l’ensemble du tableau va à l’encontre de l’image de « bonne gouvernance » que Groen aime se donner. « Je me demande toujours ce que Kristof Calvo (Groen) a à dire à propos de tout cela maintenant », a déclaré un dirigeant de parti de la Vivaldi en début de semaine.
  • Mais avec la dernière saillie de Tirez, De Sutter a dû se mettre sur la défensive jeudi soir. En effet, l’opposition sentait déjà l’odeur du sang :
    • « Une ministre et son cabinet qui font activement pression pour injecter le plus d’argent possible dans une entreprise publique (contre l’intérêt public) ne devrait plus être autorisée à rester en fonction », a immédiatement réagi Michael Freilich (N-VA).
    • Plus important peut-être, même au sein de la majorité, le mécontentement gronde chez plusieurs partenaires de la coalition. « Encore des mensonges des verts. Parce qu’il a été dit que les deux collaborateurs n’ont jamais travaillé sur le dossier controversé. Et voilà que des messages prouvent le contraire ».
  • Enfin, De Sutter s’est expliquée via Belga.
    • « Je répondrai à toutes les questions la semaine prochaine au Parlement. Il n’y a pas de conflit d’intérêts. »
    • Ce faisant, elle a souligné que le contrat du journal relève du ministre de l’Economie Pierre-Yves Dermagne (PS) et non de son cabinet. « C’est son cabinet qui est en charge et qui fait ensuite le point au sein d’un groupe de travail inter-cabinets. »
    • À l’intérieur de ce groupe de travail, un membre du cabinet De Sutter représentait bien la vice-première ministre, et négociait pour elle, précise le porte-parole. Mais il ne s’agissait pas de la conseillère payée par Bpost.

Plus