Analyse
Le Royaume vient de vivre un week-end pour le moins agité. Si cela vous avait échappé, la Belgique est en crise comme jamais. Et les pistes de sortie sont parsemées d’embûches. Si les analyses diffèrent souvent au nord et au sud, c’est bien l’avenir du pays qui est en jeu. Que va faire le roi ?
Le contexte: Le PS, via son président Paul Magnette, a mis à mort la mission de Koen Geens (CD&V). Il est vrai que cette dernière avait déjà été bien torpillée par son propre parti, le CD&V, ne lui donnant qu’une possibilité de négociation: la fameuse alliance PS/N-VA. La blessure est profonde entre les socialistes francophones et les démocrates-chrétiens flamands.
Depuis le 26 mai, le PS a répété à longueur de temps qu’un accord avec la N-VA était impossible. Pourtant, il y a bien eu des négociations entre les deux partis que tout oppose. Et même une sorte de deal: des mesures sociales contre de la régionalisation. Est-ce que tout cela n’était qu’une pièce de théâtre ? Le sud du pays n’y a jamais vraiment cru contrairement au nord. Chaque Région pensait sans doute que l’un des deux partis clés de ces négociations – le PS et le CD&V donc – allait finir par craquer.
Il n’en est rien. Et maintenant chacun tente d’éviter de porter le poids de la crise. Qu’on se le dise: on est pour l’instant aussi éloigné d’une Vivaldi (sans la N-VA) que d’une coalition qui regroupe les deux plus grands partis de chaque Communauté.
Pour le CD&V, mettre PS et N-VA ensemble était une assurance de sauver le pays, mais aussi ses propres fesses. Pour le PS, s’allier avec l’ennemi tant diabolisé aurait été une aubaine pour un PTB qui n’attend que ça. Le PS n’a jamais communiqué avec son électorat sur un éventuel rapprochement depuis j+1 après les élections. Situation inextricable quand on a tant tapé sur le MR pour sa ‘trahison’ en 2014 sous le gouvernement Charles Michel (MR).
L’actualité: La Belgique se réveille ce lundi avec une sacrée gueule de bois. Et comme toujours quand les politiques se chamaillent, on s’en remet au roi. Il doit consulter les dix présidents de parti concernés de près ou de loin par les négociations (pas de PTB et de VB donc). Il se donne jusqu’à mercredi pour dégager une piste de sortie.
Quels noms circulent en coulisses? La presse francophone voudrait bien voir Bart De Wever sortir du bois. D’abord, car il n’a jamais été au centre du jeu. Ensuite, sans doute, pour qu’il échoue à son tour et qu’on puisse enfin négocier une Vivaldi. Rappelons qu’à ce stade, il faudra faire opérer un virage à 180 degrés au CD&V et à une partie de l’Open VLD.
En attendant, le président de la N-VA tente de former, comme depuis le départ, un front flamand pour se présenter en force devant les francophones et leur mettre la pression. L’Open VLD, via sa toujours présidente Gwendolyn Rutten, a répété qu’il n’en voulait pas. Le CD&V a enchainé. Bart De Wever a de nouveau brandi la menace d’élections anticipées.
Les noms du jeune Conner Rousseau (S.PA) et d’Alexander De Croo (Open VLD) circulent au nord du pays. Le premier pourrait détenir la clé d’une coalition sans son parti ‘frère’ francophone. On notera que lors de l’émission dominicale De 7de Dag en Flandre, le jeune homme de 27 ans s’est montré particulièrement calme et mature. Il se dit que le président des socialistes flamands est aussi plus favorable à intégrer la N-VA que la rejeter. Rappelons que dans une Vivaldi le SP.A n’est pas incontournable, tout comme Ecolo par ailleurs. Mais il faudrait pour cela que le SP.A se déscotche du PS et accepte de gouverner dans un exécutif à droite toute.
Concernant Alexander De Croo (Open VLD), on sait qu’il est apprécié de part et d’autre de la frontière linguistique. Gwendolyn Rutten, sur le départ et donc affaiblie, il est plus logique de mettre cet homme politique expérimenté sur le devant de la scène (son étiquette de débrancheur de prise ne lui colle plus trop à la peau). Il est aussi celui qui peut mettre en place une Vivaldi ou en tout cas la tester. Rappelons que le favori pour reprendre les rênes de l’Open VLD, Egbert Lachaert, a fait une petite ouverture également pour la Vivaldi dans De Afspraak ce week-end.
Le nom de la Première ministre Sophie Wilmès (MR) circule aussi pour quelque part prolonger le gouvernement en affaires courantes vers un gouvernement d’urgence. La situation budgétaire de la Belgique se dégrade de semaine en semaine. Rappelons qu’il faut aussi une majorité pour mettre un tel gouvernement en place.
Reste la coalition 77 proposée par François De Smet (DéFI) qui nous parait complètement improbable, car elle mettrait les trois premiers partis de Flandre sur le carreau. Pas de meilleur moyen pour sonner le glas de la Belgique lors des prochaines élections.
L’avenir du pays
Car c’est bien de cela qu’il s’agit. De l’avenir du pays sous sa forme actuelle. De nombreux présidents de parti francophones agissent encore parfois comme s’ils avaient la main. C’est tout le contraire: pour éviter une séparation – réelle ou symbolique – de la Belgique, les partis francophones devront selon nous trahir leur programme, quitte à compenser par des mesures plus proches de leur idéologie à d’autres niveaux de pouvoir.
Quel autre choix ont-ils ? Pour l’heure la solidarité se fait à sens unique (la disparité existe aussi entre provinces pour être complètement juste). Face aux velléités indépendantistes et à la supériorité économique indéniable de la Flandre sur la Wallonie et Bruxelles, les francophones sont en position de faiblesse, c’est une réalité.
De quoi accepter n’importe quoi ? Bien sûr que non. C’est un jeu de concessions et de compromis comme la Belgique l’a toujours fait. Or, d’élection en élection, la situation devient de plus en plus compliquée. Quand bien même les francophones trouvaient un accord avec le CD&V autour d’une Vivaldi, que se passera-t-il dans 5 ans ?
Dans tous les cas, la Belgique fédérale est amenée une nouvelle fois à se réformer. Tâchons de le faire pour que la Belgique dure 200 ans de plus.
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