Alors que les pays de UE se préparent à un grand affrontement sur l’énergie, la Vivaldi doit aussi s’attendre à un choc avec Engie

Le sommet de l’UE promet d’être un combat : l’énergie est toujours à l’ordre du jour. Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, avec derrière lui son « Club Med », fait pression : il veut que l’UE intervienne sur le marché. La Belgique suit entièrement cette voie, qui est à l’opposé du bloc représenté par les Pays-Bas et l’Allemagne, qui ne veulent rien savoir des « mesures de distorsion du marché ». Sánchez menace de prendre le sommet en otage et d’imposer un veto si rien n’est décidé. Il veut au moins pouvoir intervenir seul, avec son Espagne. Le Portugal suit la même piste. La Belgique a ses propres problèmes sur le plan intérieur avec Engie sur la prolongation du nucléaire.

Dans l’actualité : Ce matin à 10 heures, le sommet de l’UE a repris, sur l’énergie.

Les détails : La discussion promet d’être passionnante. Avec de vieilles contradictions mises brutalement sur la table.

  • Qu’il s’agisse ou non d’un tournant historique pour l’UE, les divisions classiques de la politique européenne refont surface : le nord contre le sud, une vision libérale du « libre marché » contre une vision dirigiste de « l’intervention de l’État », les fourmis contre les cigales, les « frugaux » contre le « Club Med ».
  • Aujourd’hui, ce sont principalement les Pays-Bas et l’Allemagne qui font face à un groupe mené par l’Espagne, en compagnie du Portugal, de l’Italie et de la Grèce. La Belgique fait aussi partie de ce groupe, et ce n’est pas la première fois.
  • Tout tourne autour de l’approche du marché européen de l’énergie, et en particulier de la flambée des prix. « La Commission décrit les prix élevés de l’énergie sur le long terme comme ayant un impact de plus en plus négatif sur les citoyens et les entreprises. Des prix qui ont encore été alimentés par l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine ». La flambée des prix figurera dans le texte final, selon Euractiv, qui a déjà pu inspecter une version préliminaire du texte.
  • L’UE s’interroge sur la manière de mettre fin à « l’effet de contagion du prix du gaz sur le marché de l’électricité » et souhaite « rechercher des solutions plus détaillées pour faire face à l’urgence ».
  • En même temps, certains essaient de repousser un peu l’accord : la Commission européenne ne pourrait « prendre toutes les initiatives nécessaires » qu’après avoir reçu un rapport final de l’ACER, l’Agence européenne de coopération des régulateurs de l’énergie. Et cela ne serait prêt qu’en avril.

L’essentiel: l’Europe du Sud veut de l’action. Maintenant.

  • Au début de la réunion, il était clair que les pays d’Europe du Sud n’accepteraient pas un texte final aussi vague. Le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, réclame depuis septembre une intervention sur le marché et le découplage du prix européen de l’électricité et du prix du gaz. C’est le fameux « effet de contagion ». Il souhaite également un plafonnement du prix de l’électricité, des capacités de stockage communes et des achats groupés au niveau européen.
  • Ces trois demandes ont été pleinement approuvées par la Belgique, qui joue un rôle étonnant par l’intermédiaire du Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) : il est libéral, et idéologiquement donc fondamentalement dans le camp du Néerlandais Mark Rutte, ainsi que des États baltes qui ont tous un Premier ministre libéral. Mais dans cette discussion, il a répété « que les marchés sont devenus irrationnels », et « quand le marché ne fonctionne plus, il faut intervenir ».
  • Ce matin, De Croo a réitéré ses demandes au micro de la VRT. Ces mesures feraient du bien à la Belgique: « Il faut prendre des mesures maintenant », a souligné le Premier ministre. « Nous devons aller vers des achats communs. »
  • La Belgique est donc sur la même longueur d’onde que l’Espagne, même si elle n’est pas vraiment membre du Club Med. L’Espagne, le Portugal, l’Italie et la Grèce ont tenu ce matin une « réunion méditerranéenne » distincte, afin d’affiner leur point de vue. Ils jouent la carte de la fermeté : si l’UE ne veut ou ne peut pas prendre de mesures communes pour intervenir sur le marché de l’énergie, l’Espagne et le Portugal veulent pouvoir le faire eux-mêmes. Mais c’est très délicat : le mécanisme d’uniformité au sein de l’UE serait brisé.
  • Dans le même temps, la Commission européenne met en garde : « Il n’existe pas de réponse simple et facile pour lutter contre les prix élevés, étant donné les situations très différentes de chaque État membre ».
  • Les Pays-Bas et l’Allemagne sont diamétralement opposés à l’Espagne. Ils sont absolument contre un plafonnement des prix de l’énergie : cela pourrait avoir pour effet secondaire que plus personne ne veuille vendre à l’UE.
  • De plus, le gouvernement allemand, avec les Verts en son sein, considère qu’il est important que le prix ne soit pas plafonné, afin de ne pas mettre en danger la transition verte. Après tout, lorsque les prix sont élevés, la pression pour se tourner vers les sources d’énergie verte est beaucoup plus forte. Et pour baisser sa consommation aussi.
  • L’affrontement promet d’être rude : le Premier ministre espagnol Sanchez a beaucoup misé sur le sommet et menace en coulisses d’opposer son veto aux conclusions finales s’il n’y a pas de percée, selon Politico.

Hier : Joe Biden a passé une heure et demie au Conseil européen. Huit pays de l’UE ont été autorisés à s’exprimer, la Belgique n’en faisait pas partie.

  • Il a été difficile de décider qui pouvait et ne pouvait pas prendre la parole lors de la visite exceptionnelle de M. Biden au Conseil européen. Si les 27 Premiers ministres et présidents de l’UE avaient voulu s’y exprimer, la séance aurait été bien trop longue pour Sleepy Joe.
  • Au final, huit pays ont été sélectionnés pour recevoir la « place d’orateur ». Parmi ceux-ci figuraient un certain nombre de pays qui n’avaient jamais participé à un sommet de l’OTAN auparavant (l’Autriche et la Suède, entre autres, ne sont pas membres de l’OTAN), et un équilibre géographique et politique était également nécessaire. Ainsi, des pays comme la Lettonie, le Luxembourg et Chypre ont eu leur moment de gloire, mais pas la Belgique.
  • Peu de choses ont été décidées sur le fond : pour l’instant, il n’y aura pas de nouvelles sanctions contre la Russie, et certainement pas sur l’énergie. Cependant, l’UE a préparé un gros bâton : si la Russie devait recourir aux armes chimiques, ou pire, il y aura un cinquième paquet de sanctions.
  • Dans ce contexte, Alexander De Croo (Open Vld) a également répété hier soir que fermer le robinet du gaz n’était pas une option: « La règle de base des sanctions est qu’elles doivent avoir un impact beaucoup plus important du côté russe que du côté européen. Nous ne faisons pas la guerre contre nous-mêmes. Agir maintenant sur l’énergie aurait un impact énorme sur notre économie », a-t-il déclaré à la presse.
  • La question est de savoir si l’UE peut maintenir cette position encore longtemps : le président russe Vladimir Poutine pousse les choses à leur paroxysme en exigeant le paiement du gaz russe en roubles. Immédiatement, la valeur de la monnaie russe, qui s’était effondrée ces dernières semaines, a de nouveau augmenté de 8 %.
  • Mas l’Union européenne acceptera-t-elle de le faire ? Le Premier ministre italien Mario Draghi a déjà parlé de « rupture de contrat », tout comme le gouvernement allemand. Mais la Russie rend les choses de plus en plus difficiles, et tôt ou tard, les approvisionnements s’arrêteront. C’est le sentiment général.
  • Biden est prêt à aider : il veut « offrir » un gigantesque approvisionnement en gaz américain, 15 milliards de mètres cubes de gaz supplémentaires, dans un « pipeline virtuel » via des méthaniers traversant l’Atlantique. Il l’a annoncé en grande pompe lors d’une conférence de presse ce matin avec la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen.
  • Cela pourrait éventuellement réduire la pression sur les prix du gaz en Europe. Mais l’offre de gaz américain tourne déjà à plein régime en raison des prix élevés. La question est donc de savoir si les États-Unis pourront vraiment faire quelque chose pour réduire la pression financière sur les consommateurs européens et l’économie européenne.

Pendant ce temps, en Belgique: Engie met la pression dans les négociations sur le nucléaire.

  • Si l’on observe le langage corporel et la posture de Thierry Saegeman, le PDG d’Engie en Belgique, lors d’un débat organisé par De Tijd mercredi, on pourrait presque croire qu’il prend un certain plaisir dans son argumentaire : « Cela fait plus de deux ans que nous disons que la décision est trop tardive ».
  • Pour Saegeman, la prolongation de Doel 4 et Tihange 3 prendra 5 ans. Ce délai avait déjà été avancé en 2020, date à laquelle le gouvernement aurait dû décider. Ce qui porterait désormais le délai à 2027 et nous rendrait orphelins de centrales nucléaires durant 2 ans.
  • Le PDG d’Electrabel-Engie évoque un tas de raisons : il n’est pas seulement question de travaux, mais de procédures, allant de la modification de la législation à l’étude d’incidence sur l’environnement, en passant par la consultation publique transfrontalière, sans oublier par la commande d’uranium qui doit être faite en amont. Saegeman met aussi en avant la question du démantèlement sur la table: « Les travaux pour la prolongation doivent correspondre au démantèlement des cinq premières centrales. Je me fais de gros soucis sur la façon dont on va procéder. Avons-nous assez de profils compétents ? »
  • De son côté, l’AFCN, l’Agence fédérale de contrôle de l’énergie nucléaire, estimait en janvier que la prolongation de deux réacteurs était de l’ordre du possible. À une condition toutefois: l’Agence conseillait de distinguer les travaux « indispensables » à la prolongation, de ceux qui pourraient se faire dans un second temps, après 2025. Le tout permettrait à Engie d’avancer dans son calendrier.
  • À la rue de la Loi, les propos du patron d’Engie en Belgique sont rejetés comme une « position de négociation », le géant énergétique jouerait le jeu de manière très cynique. Selon la CREG, Engie va enregistrer plus de 3 milliards de surprofits dans les années à venir, avec les prix actuels de l’énergie. Une mine d’or menacée d’être lourdement taxée : le gouvernement belge veut instaurer octroyées « une taxe nucléaire » supplémentaire sur les surprofits d’Engie.
  • La ministre de l’Énergie compte en effet toujours taxer les surprofits d’Engie. La question est de savoir avec quel levier ? Lors de la prolongation pour dix ans de Doel 1 et 2, les réacteurs de première génération, le gouvernement Michel a renégocié la taxe sur le nucléaire. Or, il est stipulé dans le contrat qu’un gouvernement ne peut contraindre à lui seul de modifier cette taxe.
  • Et ce n’est pas tout. Car il s’agit en fait d’un jeu à plusieurs bandes. Les centrales au gaz sont également une variable des négociations. Pour faire face à une éventuelle fermeture du nucléaire, la ministre de l’Énergie a lancé le fameux CRM, un mécanisme accepté par l’Union européenne qui visait à compenser la sortie de l’atome via des subventions octroyées à d’autres unités de production.
    • Suite à la décision de prolonger, devant l’incertitude d’avoir des réacteurs prêts à temps, la Vivaldi a décidé de conserver ce mécanisme. Il est donc prévu de construire deux centrales au gaz en plus des deux réacteurs nucléaires.
    • Ça devient complexe, mais la date de (re)fonctionnement des Doel 4 et Tihange 3 a son importance. Si les réacteurs démarraient à temps en 2025, il faudrait relancer les CRM, car ce mécanisme de subventions approuvé par l’UE était prévu sans les centrales nucléaires. L’inconnue est alors le délai de construction de ces centrales au gaz. La ministre a donc intérêt à faire redémarrer les réacteurs en 2026.
    • Par contre, si les deux centrales ne sont prêtes qu’en 2027, la possibilité de construire une centrale au gaz supplémentaire n’est pas exclue pour assurer l’approvisionnement. Avec le problème de devoir à nouveau allonger des subventions pour des unités de production fossiles.
    • Du côté d’Engie, on est tenté de pousser pour un redémarrage en 2027. Pourquoi ? Engie était ressorti grand vainqueur de la première enchère, avec des centrales au gaz à Vilvorde et aux Awirs. Mais la première s’est vu refuser son permis par les autorités flamandes. Tout profit pour les perdants de la première enchère qui sont Luminus (Seraing) et Eneco (Manage). Engie a entretemps déposé un recours pour sa centrale de Vilvorde et ne désespère pas de gagner sur les deux tableaux : les réacteurs nucléaires rentables et les centrales au gaz subventionnées. Si Engie gagne son permis, il pourra reparticiper au CRM valant pour 2026-2027.
    • Mais si les réacteurs redémarrent en 2026, il n’y aurait peut-être pas besoin de cette centrale au gaz supplémentaire, et donc Engie ne sera pas repêché. Vous avez tout suivi ?
  • Bref, on comprend qu’il y a d’énormes enjeux derrière cette négociation. Sans compter le coût du démantèlement de 5 centrales déclassées, évalué à plusieurs dizaines de milliards d’euros. Même si ce sera sans doute une ligne rouge pour la Vivaldi.
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