Une affaire de plus éclabousse la gestion publique wallonne. Elle n’a sans doute pas l’ampleur de l’affaire Publifin, mais elle montre avec quelle rigueur les deniers publics sont gérés dans le sud du pays. La crédibilité du monde politique tout entier prend à nouveau un coup, et le PTB n’a même plus à faire d’effort pour taper sur la majorité wallonne. La responsabilité politique du président du parlement wallon est-elle engagée ? Apparemment pas. Le greffier aurait « abusé de sa confiance », estime Paul Magnette (PS). Comme souvent, après des révélations de cette ampleur, le monde politique tombe des nues.
L’actu : le voyage à 19.000 euros du président du parlement wallon et de son greffier à Dubaï.
- C’est l’histoire d’un greffier qui a tous les aspects de la rigueur et du professionnalisme. Présent depuis 2009 dans les enceintes du parlement, ce dernier a joui d’une autonomie et d’un pouvoir ahurissant.
- Son nom, Frédéric Janssens, apparait dans la presse il y a quelques mois. Il est accusé de comportement toxique et de harcèlement envers le personnel du parlement. La presse creuse et trouve : un double chantier, ceux de la nouvelle Maison des parlementaires et d’un tunnel de quelques dizaines de mètres, reliant le parlement wallon au parking des députés et ministres. Manque total de contrôle et pratiques douteuses sur les marchés publics : le budget a presque quintuplé pour aboutir à près de 50 millions d’euros, avec le greffier à la manœuvre.
- Le greffier, étiqueté MR, est suspendu pour 6 mois, mais tout le monde se gratte la tête au parlement wallon : il n’y a pas de base juridique pour le sanctionner plus sévèrement.
- Mercredi soir et jeudi matin, la RTBF et Le Soir en remettent une couche. Il est question d’un voyage à Dubaï, en 2021, dans le cadre de l’exposition universelle. Une somme de 35.000 euros avait été budgétisée pour une délégation de 6 députés. Mais un à un, les députés de la majorité remettent en cause le bienfondé du voyage et se retirent. Un mail du Bureau du parlement, qui est censé chapeauter la greffe, et qui est composé de Jean-Claude Marcourt (PS), de Jacqueline Galant (MR), Manu Dibasato (Ecolo), Sophie Pecriaux (PS) et de Sybille de Coter-Bauchau, semble indiquer que le voyage est annulé.
- Mais qui décide de partir quand même : Jean-Claude Marcourt, président du parlement wallon, et le greffier, Frédéric Janssens. À partir de là, c’est open-bar : 19.000 euros de dépenses pour quelques jours, dont 4.000 euros pour des vols en classe business, 500 euros la nuit dans des hôtels de luxe, et une mystérieuse guide à plus de 3.000 euros.
- En tout, une dizaine des voyages du greffier, parfois seul, parfois accompagné, pose question : États-Unis, Royaume-Uni, France, Italie, Maroc, Autriche… le greffier privilégie la classe business et les très beaux hôtels. Mais aucun petit profit n’est superflu, comme en atteste un guide Hachette « Que faire pendant un week-end à Milan », mis en note de frais à 8,95 euros, une tradition, apparemment, dans les usages des missions wallonnes à l’étranger. Le parlement règle les notes sans rechigner. Sans contrôle.
Les réactions : le monde politique tombe de nues, comme à chaque fois…
- Interrogée par LN24, Jacqueline Galant, membre du bureau politique du parlement, sort les poncifs habituels : « ces chiffres sont choquants, surtout en pleine crise énergétique », mais « il ne faut pas généraliser ».
- Mais comment les parlementaires n’ont-ils rien vu venir ? « Nous avons fait trop confiance, tous partis confondus. Nous devons tous prendre nos responsabilités (…). On a laissé trop faire, on a laissé passer trop de choses » et donc « c’est pour ça qu’aujourd’hui, nous prenons nos responsabilités. »
- Sur le même plateau, le député de l’opposition, Germain Mugemangango (PTB), n’a même pas à se baisser pour taper sur la majorité « C’est scandaleux. Ce qui pose question, c’est cette culture, ces privilèges qui sont accordés à la classe politique, notamment au parlement wallon. Paul Magnette, qui a écrit un livre sur la « Vie large » et l’éco-socialisme, aujourd’hui, c’est Jean-Claude Marcout qui mène la vie large ».
- Pour le président du PS, justement, présent jeudi soir sur le plateau de Jeudi en Prime, sur la RTBF, cette impression d’entendre les mêmes excuses, d’affaire en affaire : « c’est lamentable », « on dépense trop d’argent public ». Et vous savez quoi ? C’est partout pareil : « Faites le même exercice à d’autres niveaux de pouvoir, vous allez découvrir les mêmes chiffres« , renchérit Paul Magnette. Responsable Jean-Claude Marcourt ? « Ce n’est pas une question d’homme. Il y a une responsabilité collective. » Le socialiste défend clairement ses troupes.
- Au niveau du MR, pas une réaction officielle du président du MR sur les réseaux sociaux, lui qui est pourtant prompt à tweeter plus vite que son ombre. Uniquement une réponse a un tweet qui demandait des comptes sur le sort du greffier : « Sans se prononcer sur le fond, pouvez-vous m’expliquer comment un président de parti peut démettre un fonctionnaire qui a été désigné au terme de la réussite d’une procédure de recrutement avec examen ? J’attends vraiment l’analyse juridique. » Georges-Louis Bouchez soulève un point, mais dire qu’il n’a pas d’influence, alors qu’il est capable d’enterrer le décret d’un ministre, de le faire démissionner dans la foulée (Jean-Luc Crucke), c’est peu défendable.
- Du côté de la coprésidence d’Ecolo, pas davantage de réactions. Il est évident que les présidents de parti ne peuvent contrôler la popote interne du parlement wallon, mais leur silence reste assourdissant.
L’essentiel : la responsabilité politique de Jean-Claude Marcourt est-elle engagée ?
- Le Bureau élargi du parlement de Wallonie s’est réuni, hier, en présence des chefs de groupes de la majorité et de l’opposition. À aucun moment, Jean-Claude Marcourt n’a été mis en difficulté ou remis en cause. L’ancien ministre de l’Économie continue d’affirmer qu’il ignorait tout des montants.
- Ce détail troublant toutefois, révélé par Le Soir. Le règlement du parlement stipule que « sauf dérogation dûment motivée, les trajets en avion se font en classe économique ». Or, aucune trace de cette dérogation. Le Bureau répond : « Un usage, confirmé récemment par le Bureau, permet le recours pour toute mission du parlement et sous réserve de disponibilité, à la classe affaires pour un vol de plus de cinq heures ou comportant trois heures de décalage au moins. » Cet usage a été proposé par le président Marcourt… la semaine dernière.
- Majorité et opposition se questionnent sur la validation de ce voyage : a-t-il été approuvé ? Pourquoi Marcourt a-t-il pris le greffier avec lui ? Mais la tendance va bien au-delà de ce voyage à Dubaï.
- Si seulement le nom du socialiste n’était pas déjà largement apparu dans l’affaire Publifin / Nethys. Si seulement, en 2007 déjà, Elio Di Rupo, le prédécesseur de Paul Magnette à la présidence du PS, n’avait pas annoncé son intention de se débarrasser « des parvenus »…
- En ressort une impression de système en vase clos, sans contrôle, d’une impression de « on a toujours fait comme ça », et que les affaires se multiplient sans profondément remettre en cause cette culture de la mauvaise gestion de l’argent public. Tous nos élus devraient faire un examen critique. Ils seront les premiers à se plaindre de la montée des extrêmes qui les empêche de former des majorités cohérentes.