VUE D’AMÉRIQUE – J’adore déconstruire les mythes. Et en voilà un qui vole facilement en éclat si l’on se donne la peine d’analyser des statistiques. Ce n’est pas la France qui a une relation économique privilégiée avec le Québec et le reste du Canada, mais plutôt la Belgique, et de loin devant l’hexagone.
— Chronique signée François Normand
Oui, oui, vous avez bien lu: la Belgique, un pays de 11,5 millions d’habitants, a une relation économique beaucoup plus riche avec le Canada que la France, dont la population est pourtant six fois plus importante (67,1 millions).
La Belgique ne domine certes pas la France en termes absolus. Sa domination est plutôt relative, toute proportion gardée, bien que certains indicateurs ne soient pas très éloignés – même en termes absolus.
Bref, si les deux pays avaient la même population, la France serait très très loin dans le sillage de la Belgique.
Or, faites un petit sondage maison et non scientifique dans votre entourage, et demandez à des amis, des collègues qui, de la France ou de la Belgique, a une relation économique privilégiée avec le Canada.
Je vous parie qu’on vous répondra la plupart du temps, voire dans tous les cas, la France.
Battons maintenant en brèche ce lieu commun, en commençant par le commerce.
J’exclus ici volontairement l’année 2020 afin d’éviter l’effet perturbateur de la pandémie de COVID-19 sur les comptes nationaux des deux côtés de l’Atlantique.
Le 12e partenaire commercial du Canada
En 2019, les exportations de marchandises de la Belgique au Canada ont totalisé 5 milliards de dollars canadiens (3,4 milliards d’euros), selon Statistique Canada, l’équivalent de StatBel, en Belgique.
Les principaux produits vendus au Canada étaient des huiles et des combustibles minéraux, des produits chimiques organiques, des produits pharmaceutiques, des véhicules (incluant des pièces) ainsi que de la machinerie.
De leur côté, les exportations de la France sur le marché canadien se sont certes élevées à 8,7 milliards de dollars canadiens (5,9 milliards d’euros), mais avec une population six fois plus importante, précisons-le.
Faisons une petite règle de trois pour tenir compte de la démographie.
Ainsi, si les entreprises françaises avaient le même dynamisme commercial que leurs concurrentes belges, leurs expéditions de marchandises au Canada avoisineraient en fait 29,2 milliards de dollars canadiens (19,7 milliards €).
On est loin du compte, vous en conviendrez.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la France est le 9e partenaire commercial du Canada, mais que la petite Belgique – en tout respect – arrive malgré tout au 12e rang…
La Belgique se démarque aussi au chapitre des investissements directs étrangers (IDE). En 2019, les stocks cumulatifs des IDE de la Belgique au Canada totalisaient 5,6 milliards $CA (3,8 milliards €), avec plus de 80 filiales belges établies dans le pays.
Les investissements cumulatifs de la France dans l’économie canadienne s’élevaient quant à eux à 14,8 milliards $CA (10,1 milliards €).
Faisons à nouveau une petite règle de trois en considérant la population.
Appliquons le même raisonnement: si les investisseurs français avaient eu au fil des ans la même soif d’investir que ceux de la Belgique, leurs IDE au Canada afficheraient plutôt des stocks cumulatifs de 32,7 milliards $CA (22,2 milliards €).
Au risque de me répéter, on est loin du compte.
La Belgique profite du CETA
Le dynamisme des entreprises belges se manifeste aussi dans sa relation bilatérale avec le Canada. En 2019, la Belgique affichait d’ailleurs un surplus commercial de 1,7 G$CA (1,2 G€) avec le Canada (un pays de 37,6 millions d’habitants).
En fait, les entreprises belges ont profité du CETA (l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, entré en vigueur en septembre 2017), car la Belgique affiche un solde commercial positif avec le marché canadien depuis 2018.
Entre 2007 et 2017, la Belgique avait toujours enregistré un déficit commercial avec le Canada.
Et dire que la Wallonie avait des réserves sur cet accord de libre-échange en 2016 (alors que le ministre-président était Paul Magnette), et ce, sur la question des services publics, de l’agriculture et du mécanisme de règlement des différends.
On peut difficilement faire un lien avec le CETA en ce qui a trait aux investissements directs de la Belgique au Canada, car les stocks sont cumulatifs et que le traité n’est en vigueur que depuis près de quatre ans.
Par contre, les statistiques sont impressionnantes.
En 2019, les IDE cumulatifs du Canada en Belgique ne totalisaient que 1,4 milliard $CA (951 millions d’euros), soit quatre fois moins que ceux des investisseurs belges dans l’économie canadienne.
D’aucuns pourraient certes dire qu’il n’y a peut-être pas assez d’occasions d’affaires en Belgique.
Cela dit, la vérité réside sans doute dans le fait que la Belgique est l’un des pays les plus actifs, entreprenants et dynamiques sur le marché canadien au chapitre de l’investissement et du commerce.
Une réalité méconnue à coup sûr au Canada.
Et en Belgique.
Chronique signée François Normand
Dans son analyse géopolitique mensuelle ‘Vue d’Amérique’, le journaliste québécois François Normand traite d’enjeux nord-américains qui sont d’intérêt pour les gens d’affaires et les investisseurs belges. François travaille au magazine économique Les Affaires de Montréal. Historien de formation et étudiant au MBA, il cumule 25 ans d’expérience, et s’est notamment spécialisé en commerce international et dans l’analyse du risque géopolitique. Au fil des ans, il a réalisé plusieurs reportages en Europe, en plus d’avoir déjà réalisé un stage auprès des institutions de l’Union européenne, à Bruxelles.
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