« Dans tous les pays riches, les emplois de la classe moyenne disparaissent et sont absorbés par des emplois bien rémunérés et faiblement rémunérés, ce qui est à l’origine de la peur qui domine désormais la classe moyenne. »
Le mouvement français des «Gilets jaunes» perd de la vigueur. Les chiffres sont manipulés pour mieux convenir à certaines personnes, mais les chiffres qui ont été révélés le week-end dernier étaient peu encourageants par rapport à il y a huit semaines, lorsque les premières manifestations ont été organisées. Certains pensent également que Macron, avec son « Grand Débat », a réussi à couper l’élan des « Gilets jaunes ». En posant 32 questions aux Français, il leur impose de s’organiser désormais et de mettre cartes sur tables. Le président français a défini quatre domaines (fiscalité, organisation de l’État, transition écologique et citoyenneté) et demande aux Français de réfléchir à l’avenir.
Si la plupart des Français sont toujours en désaccord sur la cause et l’essence de la manifestation de rue qui dure depuis des semaines, une pièce importante du puzzle est manquante, écrit Jean-Marc Vittori dans le journal économique français Les Echos :
La grande peur d’avoir de moins en moins
« La grande peur du toujours moins. Une peur qui se retrouve dans tous les pays avancés, qui explique sans doute largement la montée de ce que l’on qualifie souvent de populisme… ».
Cette crainte est plus grande en France que chez nous, ce qui apparaît dans le graphique d’Eurostat ci-dessous. Celui-ci montre que nos voisins du sud ont presque deux fois plus de «travailleurs pauvres» que notre pays. Peut-être l’une des raisons pour lesquelles les «gilets jaunes» n’ont jamais vraiment démarré en Belgique. [Le terme «travailleurs pauvres» n’existait même pas au 20ème siècle.]
Les protégés et les non protégés
Dès Février 2016, neuf mois avant l’élection de Donald Trump, la chroniqueuse américaine Peggy Noonan avait décrit la révolution silencieuse (à l’ époque) de ceux qu’elle appelait les «non-protégés, abandonnés par la politique dans une colonne du Wall Street Journal (« Trump and the Rise of the Unprotected« ) :
« Nous vivons un moment amusant. Ceux qui font de la politique pour vivre – certains d’entre eux sont vraiment des gens brillants – ont du mal à comprendre ce qui se passe dans la course aux primaires républicaines [américaines], alors que l’homme de la rue a déjà assimilé ce qui s’est passé et ce qui se produit actuellement. Aux Etats Unis, seuls les gens ordinaires sont capables de voir ce qui est évident. (…) Il y a les protégés et non protégés. Les protégés sont ceux qui font la politique. Les non protégés sont ceux qui en subissent les conséquences. Ce dernier groupe est maintenant en train de se rebiffer, de façon très dure. (…)
Ce qui marque ce moment politique, en Europe et aux États-Unis, c’est la montée des non protégés. C’est l’émergence de personnes qui n’ont pas beaucoup en comparaison de ceux qui ont toutes les bénédictions et qui semblent croire qu’ils les ont non pas parce qu’ils ont eu plus de chance, mais parce qu’ils sont meilleurs. »
Noonan recevra plus tard le prix Pulitzer pour cette contribution.
Le 20ème siècle était le siècle du « toujours plus »
L’analyse de Vittori est légèrement plus large :
« Il faut remonter dans le temps pour comprendre ce qui est en jeu. Le XXe siècle fut le siècle du toujours plus. Le niveau de vie a progressé plus vite que jamais dans l’histoire. Les classes moyennes ont émergé en Amérique et en Europe, devenant le groupe dominant de la société. Hommes et femmes de ce groupe étaient persuadés que demain serait meilleur qu’aujourd’hui, que leurs enfants vivraient mieux qu’eux. (…)
« Mais deux ruptures ont changé la donne. D’abord, l’épuisement des gains de productivité qui alimentaient la hausse des revenus. Ensuite, l’avènement des technologies de l’information qui favorisent non plus les emplois moyennement qualifiés mais les emplois très qualifiés (ceux qui savent exploiter les possibilités du numérique) et les emplois peu qualifiés (notamment ceux qui sont « ubérisés »). C’est « l’effet sablier » (ou polarisation des emplois), amplifié par une concurrence internationale plus forte. Dans tous les pays avancés, les emplois moyennement payés disparaissent au profit des emplois peu ou bien payés.
Une crainte pour eux-mêmes et pour leurs enfants
« C’est là que naît l’angoisse. Les classes moyennes redoutent désormais l’avenir. En particulier les femmes et les hommes les moins bien formés qui avaient réussi à accéder à un certain confort. Ils craignent pour eux, et plus encore pour leurs enfants. Leur horizon s’abaisse. »