Kim Jong-un, le dirigeant de la Corée du Nord, est souvent présenté comme un dictateur caricatural. Nikki Haley, l’ambassadrice des Etats-Unis auprès des Nations unies, s’est même demandé publiquement s’il n’était pas fou. Mais l’examen objectif de son comportement plaide au contraire pour une grande lucidité. La stratégie de Kim Jong-un consistant à développer un arsenal nucléaire pour dissuader l’étranger de manœuvrer pour renverser son régime n’est pas si folle, écrit Joshua Keating sur Slate.com :« Comme son grand-père et son père avant lui, Kim s’est généralement comporté d’une manière prévisible et rationnelle pour un leader d’un petit pays pauvre, qui cherche à perpétuer son pouvoir face à des rivaux bien plus puissants que lui.Après avoir vu comment Saddam Hussein (dont nous savons qu’il n’a jamais été en possession d’armes de destruction massive en réalité) et Mouammar Kadhafi (qui a renoncé aux siennes) ont été tués lors d’interventions militaires occidentales, la Corée du Nord a apparemment décidé que la meilleure chose à faire était de développer son propre arsenal nucléaire de dissuasion. Une décision, qui, si elle est regrettable, est tout à fait compréhensible ».
Un patron avisé
David Kang de Foreign Affairs pense non seulement que Kim Jong-un n’est pas fou, mais de plus, que son comportement est très comparable à celui du patron avisé d’une jeune entreprise. Kim agit comme un CEO qui tente de s’imposer auprès de ses employés, de les motiver en leur donnant sa vision et en guidant la mise en œuvre de cette vision, tout en éliminant les récalcitrants.Cela fait maintenant 6 ans que Kim dirige la Corée du Nord, et il est très clair qu’il a donné sa vision à ce pays, et qu’il a conforté son pouvoir. Cette vision, c’est celle de la ligne byungjin, adoptée par le Comité central du Parti des Travailleurs de Corée en avril 2013, qui met l’accent à la fois sur le développement économique du pays, mais aussi le développement de son arsenal nucléaire.Sous la gouvernance du père (Kim Jong Il) et du grand-père de Kim (Kim Il Sung) qui l’avaient précédé au pouvoir, la priorité était donnée à la volonté de se sacrifier pour la patrie. Les Nord-Coréens devaient faire don de leur force de travail et travailler 18 heures par jour. Beaucoup ont souffert de la famine.A cet égard, la ligne ligne byungjin marque une rupture, en promettant le confort matériel, plutôt que la souffrance. Kim a déclaré que les Nord-Coréens ne devaient plus être affamés. Même s’il ne s’agit que de promesses, elles n’en sont pas moins efficaces, car elles élèvent les attentes de son peuple. « Byungjin ne signifie pas que Kim a décidé de réformer massivement le pays sur le plan économique, loin de là. Mais elle signifie que Kim a explicitement lié sa légitimité à sa capacité de faire le bien en promettant à la fois le développement économique, et la conception d’armes nucléaires », écrit Kang.
Pas de purge
De fait, il a augmenté l’autonomie des usines du pays et des ouvriers agricoles du pays pour les autoriser à vendre la production excédentaire sur les objectifs planifiés. Et cette tactique semble produire des effets bénéfiques, puisque en dépit des sanctions internationales, l’économie nord-coréenne a progressé de 3,9 % par rapport à l’année précédente en 2016. La famine a été éradiquée, et le risque d’une possible crise politique semble écarté.Comme tout bon patron d’entreprise, Kim a aussi su s’entourer des collaborateurs les plus fiables. Il a limogé certains officiels, et en a nommés d’autres. En décembre 2013, il a fameusement fait exécuter son oncle Jang Song Thaek. Cet événement a laissé penser qu’il s’agissait de l’ultime démonstration de force d’un dirigeant menacé de perdre le pouvoir. On a supputé qu’une purge était en cours, et que d’autres officiels avaient été eux aussi exécutés, parce qu’on ne les voyait plus sur les photos officielles.Mais le vice-président du Parti des Travailleurs de Corée Marshal Choe Ryong Hae, comme l’ancien chef d’État-major de l’armée nord-coréenne Ri Yong Gil, ont ressuscité pour réapparaître sur les clichés officiels. Désormais, il semble acquis que cette purge n’a jamais eu lieu.Il ne s’agit pas de dédouaner le dictateur des violations des droits de l’homme commises par son pays, de sa rhétorique agressive, et de son programme nucléaire. Mais c’est le méjuger que de croire que Kim Jong-un est fou, conclut Kang :
« Le juger comme un CEO fournit une manière bien plus précise de juger de sa capacité à commander, et selon cette mesure, il semble fermement en contrôle, ayant institué une vision et s’étant entouré des gens dont il a besoin pour réussir ».