Discuter des défaillances de Facebook? L’audition de Mark Zuckerberg a surtout révélé les défaillances de l’UE

« Le format de la réunion était une farce », a résumé Udo Bullman, le dirigeant du groupe des Socialistes et Démocrates au Parlement européen, après la rencontre entre Mark Zuckerberg, le fondateur et propriétaire de Facebook, et les dirigeants de cette Institution qui l’avaient invité à répondre à leurs questions mardi. « Zuckerberg n’a pas répondu à beaucoup des questions directes qui lui ont été posées, et les quelques réponses que nous avons entendues étaient décevantes », explique Bullman.

A l’origine, cette rencontre devait avoir lieu à huis clos, mais suite à de nombreuses protestations pour réclamer plus de transparence, elle a finalement été filmée et diffusée en direct.

Un exercice bien huilé désormais pour le patron de Facebook

L’exercice est maintenant bien rodé, et comme on s’y attendait, Zuckerberg a parfaitement joué son rôle: faire amende honorable, dire une fois de plus « Je suis désolé », et admettre que sa firme n’avait pas eu “une vision assez étendue de ses responsabilités”. Ensuite, répéter que l’on priorise le bien des utilisateurs, avant les bénéfices. “Garder les gens en sécurité est plus important pour nous que de maximiser nos profits”, a-t-il assuré.

Le patron de Facebook a promis de doubler les effectifs des équipes chargées de la sécurité d’ici la fin de l’année, de réaliser des investissements pour protéger l’intégrité des élections, et de collaborer avec les gouvernements et d’autres entreprises technologiques pour partager des informations sur les menaces en temps réel. Il a affirmé que son entreprise allait se conformer au RGPD, le règlement européen sur les données personnelles qui entre en vigueur ce vendredi.

Il a expliqué que depuis le scandale Cambridge Analytica, Facebook avait suspendu 200 applications et la firme poursuit son examen des applications tierces disposant d’un accès à de grandes quantités de données d’utilisateur. Il compte également sur l’intelligence artificielle pour filtrer les messages haineux ou mensongers, et éliminer les faux-comptes. 

Les eurodéputés frustrés

Mais la plupart des parlementaires n’ont pas été convaincus. Tout d’abord, la durée de l’échange était bien trop limitée. Le patron de Facebook n’a accordé qu’un créneau de 75 minutes à ses interlocuteurs, expliquant qu’il était attendu à Paris pour une réunion avec le président français Emmanuel Macron. Aux États-Unis, il avait été passé sur le gril pendant 10 heures devant le Congrès américain…

Mais c’est surtout le format de cette audition qui a suscité la frustration. Les législateurs européens ont posé toutes leurs questions avant que le patron de Facebook ne leur réponde. De ce fait, et compte tenu de la limitation de la durée de la rencontre, Zuckerberg a pu choisir les questions auxquelles il souhaitait répondre, s’en tenant à des généralités, et promettant de fournir des réponses plus précises à une date ultérieure.

Les questions épineuses portant sur la plupart des sujets, et notamment la protection des données aux fake news, et la sécurité des élections, ont donc été éludées. Le patron du réseau social s’est abstenu d’évoquer une possible indemnisation des utilisateurs dont les données ont fait l’objet d’abus, ou de donner la possibilité aux internautes d’éviter les publicités politiques, par exemple.

Quelques questions mordantes…

Résultat : même si quelques eurodéputés se sont montrés plus mordants, il est sorti totalement indemne de cet exercice.

Plusieurs législateurs, dont le Belge Guy Verhofstadt, président du groupe ALDE (libéraux), se sont demandé si Facebook ne formait pas un quasi-monopole avec les applications de ses filiales  Instagram, Messenger et WhatsApp. Ils ont évoqué un possible démantèlement de Facebook, que des groupes militants réclament également aux États-Unis. Zuckerberg a rétorqué qu’il ne voyait pas les choses ainsi : « Je vois arriver de nouveaux concurrents tous les jours ». Il a fait valoir que Facebook était confronté à une forte concurrence à la fois sur le marché des outils de communication grand public mais aussi sur celui de la publicité.

Un autre Belge, le chef de file des Verts au Parlement européen, Philippe Lamberts, a tenté d’aborder la question de l’optimisation fiscale agressive de Facebook, rappelant que l’entreprise avait fixé son siège social en Irlande. Mais tous les eurodéputés n’ont pas été aussi chicaniers avec le patron de Facebook. A peine la réunion avait été déclarée close par le président Tajani que l’eurodéputée suédoise Cecilia Wikström s’est précipitée au côté de l’Américain pour obtenir un selfie, qu’elle a immédiatement posté sur Twitter. Etait-ce le bon moment ?

L’UE dans une impasse

“Les réponses que nous avons reçues aujourd’hui de M. Zuckerberg, et en fait le format restreint de l’audience, étaient totalement inadéquats », a déploré Guy Verhofstadt dans un communiqué. « Je ne doute pas que M. Zuckerberg soit un génie, mais ce qu’il risque de laisser derrière lui, c’est la création d’une firme comparable au monstre de Frankenstein, et qui a échappé à son contrôle », a-t-il ajouté.

“Le refrain des frustrations [exprimées par de nombreux eurodéputés à l’issue de la rencontre] souligne les pouvoirs limités du Parlement européen et exacerbe l’impasse entre l’UE et le plus grand réseau social du monde sur les pratiques en matière de collecte de données à l’origine d’un scandale mondial portant sur les atteintes présumées à la vie privée”, analyse Politico.

Finalement, c’est peut-être Philippe Lamberts, président du groupe des Verts au Parlement européen, qui a le mieux résumé la situation : “Je pense que le Parlement ne s’est pas donné toutes les chances d’obtenir des réponses satisfaisantes”.

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