Les géants des technologies profitent de législations sur les monopoles obsolètes, qui leur ont permis d’absorber tous leurs concurrents avant même que ceux-ci aient pu poser une menace pour eux. Au cours des 10 dernières années, Microsoft, Google, Facebook et Amazon ont racheté plus de 500 PME rivales.
Google s’accapare 92 % des parts de marché de la recherche sur Internet ; de son côté, Facebook a récupéré 70 % des parts de marché des réseaux sociaux. Ce duopole cannibalise la quasi-totalité des recettes publicitaires et aucune entreprise ne semble pouvoir lui faire concurrence dans ce domaine. Quant à la législation, elle est impuissante. De son côté, le géant du e-commerce Amazon étouffe le commerce de détail, et s’est imposé comme une plate-forme incontournable pour les revendeurs souhaitant disposer d’une présence sur le net, ce qui fait poindre le risque de conflits d’intérêts. Enfin, le marché des applications pour Smartphones est totalement dominé par Apple et Android. Ces deux firmes peuvent imposer leurs conditions aux développeurs, et déterminent seules le degré de contact que leurs applications auront avec les utilisateurs.
Une référence au prix qui ne tient plus
Pourquoi les législateurs des pays occidentaux n’y ont-ils pas mis bon ordre ? Selon Denise Hearn de Quartz, cela s’explique par l’obsolescence des lois antitrust dans ces pays. Pendant des années, on évaluait la nécessité de démanteler les monopoles à l’aune du « bien-être du consommateur ». Celui-ci se cantonnait bien souvent à l’examen des prix. Lorsque les entreprises pouvaient démontrer qu’une fusion ou une acquisition n’aurait finalement pas d’impact sur leurs prix de vente et qu’elle permettrait de les maintenir relativement bas, elles recueillaient l’approbation des législateurs pour ces opérations.
Mais dans le monde des entreprises technologiques, qui proposent souvent des plates-formes « gratuites » à leurs utilisateurs, et qui gagnent leur vie en revendant l’attention de ceux-ci à des entreprises, la référence au prix n’est plus pertinente.
Des firmes gloutonnes qui phagocytent tous leurs concurrents
Cette année, les législateurs du monde entier ont approuvé plus de 90 % des fusions proposées. En conséquence, on a enregistré une valorisation cumulée record pour les fusions et acquisitions de 3300 milliards de dollars à la fin du mois de septembre.
D’après Hearn, ce n’est pas la technologie qui a été déterminante pour la réussite des GAFA, mais les lacunes de la législation antitrust. Amazon a pu racheter des dizaines d’entrepris e-commerce concurrentes et des librairies en ligne, ce qui lui a conféré une position de monopsone [une situation dans laquelle une entreprise, Amazon en l’occurrence, se retrouve comme étant l’unique acheteur en position de contrôler tout un marché et d’en faire baisser les prix] dans le secteur du livre. Google a racheté son principal, DoubleClick, quant à Facebook, elle a acquis Instagram et Whatsapp sans encombre.
Microsoft, Google, Amazon, Apple et Facebook ont racheté à elles seules plus de 500 entreprises au cours de la dernière décennie. Beaucoup de ces petites entreprises n’ont jamais pu dépasser ce stade, car elles ont été absorbées au moment où les innovations dont elles étaient à l’origine commençaient à porter leurs fruits.
Des effets pervers sur l’économie en général et les salaires en particulier
Mais ce n’est pas l’unique problème posé par cette situation. Il devient de plus en plus évident que la concentration croissante issue de ces fusions mène à une productivité plus faible, des salaires plus bas, et qu’elle détruit le dynamisme économique. En outre, contrairement à l’idée reçue selon laquelle elles ont contribué à maintenir les prix bas, les monopoles augmentent les prix.
De plus en plus d’économistes soupçonnent que la suprématie de grandes firmes technologiques sur leur marché a également mené à une stagnation des salaires. Plus précisément, ils se demandent si la “monopsonie” du marché du travail américain, c’est à dire l’existence d’un nombre restreint d’employeurs dans certains secteurs économiques, n’est pas à l’origine du phénomène de la stagnation des salaires et de la faiblesse des dépenses d’investissements.
En conclusion, les législations antitrust sont devenues obsolètes et doivent être actualisées pour s’adapter aux réalités de notre époque, et offrir un contrepoids efficace contre l’énorme pouvoir des géants de la technologie.