Alors que les pourparlers de paix ukrainiens se poursuivent, une violation majeure du traité de l’UE s’est produite vendredi. Le Conseil des États membres de l’UE a approuvé la proposition de la Commission européenne de décider de la prolongation du gel des avoirs russes détenus dans l’UE par vote à la majorité qualifiée (VMQ), au lieu de l’unanimité, comme c’était le cas auparavant pour les décisions relatives aux sanctions. En conséquence, la Hongrie et la Slovaquie ont été mises en minorité, et le Parlement européen a également été privé de son droit de regard.
Le débat autour de la Belgique, qui détient la plupart des avoirs par l’intermédiaire du dépositaire Euroclear basé à Bruxelles, et qui s’oppose au projet de la Commission européenne de saisir effectivement ces avoirs, n’est même pas au cœur du problème ici.
« Rechtsbruch à Bruxelles »
La question clé en jeu est le mépris absolu de la lettre du traité de l’UE, non seulement de la part de la Commission européenne, mais aussi des États membres qui l’ont suivie.
Pour permettre le vote à la majorité qualifiée, la Commission européenne a affirmé qu’il existait une sorte d’« urgence » qui justifiait l’activation de l’article 122 du traité de l’UE, afin de geler indéfiniment les actifs russes, à condition qu’un certain nombre de conditions soient remplies.
Cet article du traité prévoit ce qui suit :
« (…) le Conseil, sur proposition de la Commission, peut décider, dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique, notamment si de graves difficultés surviennent dans l’approvisionnement de certains produits, en particulier dans le domaine de l’énergie. »
La Commission européenne a justifié le recours à cet article en affirmant que « il est urgent d’empêcher le transfert de fonds vers la Russie afin de limiter les dommages causés à l’économie de l’Union ».
Indépendamment du bien-fondé du gel de ces avoirs ou même de la question de savoir s’il y aurait une urgence économique, Cristina Vanberghen, professeure de droit européen, souligne : « L’article 122 est un outil de politique économique, et non un instrument de politique étrangère ou de sanctions. Le gel des réserves souveraines d’un pays tiers est, par définition, une mesure restrictive régie par l’article 215 du TFUE, qui exige l’unanimité dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). »
L’article 122 est extrêmement controversé et ils le savent. Pourtant, ils ont décidé de passer outre. La Belgique a finalement suivi le mouvement, car sinon, des pays comme la Hongrie auraient pu à l’avenir faire peser des risques considérables sur la Belgique, en opposant simplement leur veto à une prolongation du gel des avoirs russes, au cas où la Commission européenne parviendrait à faire adopter son projet d’utiliser ces avoirs. Auparavant, le Premier ministre belge De Wever avait souligné les risques juridiques liés à l’utilisation de l’article 122.
En 2022, la Cour constitutionnelle allemande a mis en garde contre la légalité de l’utilisation de l’article 122 comme base pour le Fonds de relance Covid, qui a ensuite été vivement critiqué par la Cour des comptes européenne.
Rien de tout cela ne semble avoir d’importance. « Quand les choses deviennent sérieuses, il faut mentir », a déclaré un jour l’ancien président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, pendant la crise de l’euro, alors que les accusations de violations juridiques (« Rechtsbruch ») dans le contexte des plans de sauvetage de la zone euro, principalement en provenance d’Allemagne, étaient purement et simplement ignorées. Il n’est pas surprenant que la plus haute juridiction de l’UE, foyer d’activisme judiciaire, ait été la moins préoccupée de toutes.
L’attention s’est désormais déplacée vers la question de savoir si la Belgique pourrait être mise en minorité lors du vote sur le plan de « prêt de réparation » de la Commission européenne pour l’Ukraine, dans le cadre duquel les avoirs russes gelés seraient utilisés comme garantie, non pas sur la base de l’article 122 du traité UE, mais sur la base de l’article 212, qui est juridiquement plus clair. Les diplomates affirment toutefois que cela est politiquement intenable. La Belgique est ouverte à ce plan, mais elle exige des garanties bilatérales de la part des États membres de l’UE. À l’exception de l’Allemagne, peu d’États membres semblent disposés à accorder ces garanties. L’alternative proposée par la Belgique – laisser l’UE emprunter de l’argent sur les marchés financiers pour financer l’Ukraine, en garantie des fonds non alloués (marge de manœuvre) du budget de l’UE – sera probablement rejetée par au moins un gouvernement.
Le débat porte sur la manière d’aider l’Ukraine, et non sur l’opportunité de l’aider
L’Italie soutenant désormais également la position belge, l’ensemble du projet pourrait échouer cette semaine. Il ne reste alors qu’une seule option : qu’une coalition de démocraties européennes volontaires envoie à l’Ukraine les ressources financières qu’elles sont prêtes à lui fournir. Les démocraties européennes affirment vouloir aider l’Ukraine, donc si elles le pensent vraiment, elles devraient le faire.
Cette solution est beaucoup plus claire que de compromettre le soutien à l’État de droit en Europe par la confiscation des actifs d’Euroclear, qui expose également la Belgique à des risques juridiques et représente une menace à long terme pour le placement d’actifs en Europe. Ce n’est pas un hasard si les banques centrales non occidentales font le plein d’or depuis le gel des actifs russes en 2022.
Il est désormais prouvé que le soutien financier à l’Ukraine aide réellement le pays, car il a permis de tenir la Russie à distance dans une certaine mesure. Jusqu’à présent, l’Occident a pu lui fournir des armes tout en évitant un conflit direct avec la Russie. À cet égard, la meilleure option est de poursuivre cette stratégie, tout en essayant de parvenir à un accord de cessez-le-feu avec la Russie. Le fait que les pays les plus proches de la Russie soient également ceux qui contribuent le plus à cet égard n’est que le reflet du soutien démocratique dont bénéficient les gouvernements pour soutenir l’Ukraine. Personne ne peut nier que ce soutien démocratique est plus important en Finlande qu’en Espagne, ce qui n’est évidemment que le reflet de l’histoire et de la géographie.
Échec des sanctions
Contrairement au soutien financier et militaire, les sanctions, en revanche, n’ont absolument pas aidé l’Ukraine. Le fait que le rouble russe ait gagné 48,7 pour cent par rapport au dollar américain cette année et qu’il se situe à son plus haut niveau depuis trois ans n’est qu’un indicateur parmi d’autres. Le fait que nous en soyons déjà au 19e paquet de sanctions de l’UE contre la Russie devrait également inciter les grands partisans de cet instrument politique à faire une pause.
Même si le budget de l’État russe est affecté par les sanctions, la guerre reste tout simplement une priorité pour le président russe Poutine, qui se trouve peut-être dans une mauvaise posture après son invasion, même s’il tente de la présenter comme une victoire. Des questions pourraient enfin être posées à Moscou. Poutine considérera donc très certainement les dépenses liées à la guerre comme une priorité absolue.
Il a été largement documenté comment des pays comme le Kirghizistan, le Kazakhstan, la Biélorussie et l’Ouzbékistan sont effectivement devenus des plaques tournantes pour la Russie. Après la Chine et l’Inde, la Turquie, membre de l’OTAN, est le troisième importateur de combustibles fossiles russes depuis janvier 2023. On peut se demander pourquoi l’Occident se nuit à lui-même avec des sanctions inutiles, qui n’ont pas non plus apporté beaucoup d’avantages géopolitiques dans toutes sortes d’autres contextes géopolitiques, de Cuba et de l’Iran à l’Irak de Saddam Hussein en passant par la Corée du Nord. Oui, les sanctions parviennent à appauvrir la population, mais en fin de compte, elles profitent au régime.
Dans son livre intitulé « Backfire », l’analyste politique française Agathe Demarais examine de plus près les sanctions en tant qu’instrument politique. Elle donne un aperçu des effets secondaires involontaires des sanctions et des contrôles à l’exportation modernes – américains – et décrit les techniques innovantes utilisées par les régimes pour contourner ces sanctions.
En résumé, contrairement aux livraisons d’armes à l’Ukraine, les sanctions contre la Russie n’ont jusqu’à présent pas réussi à contenir Poutine, mais malgré cela, les politiciens continuent de miser sur les premières tout en hésitant sur les secondes.
Le cas des engrais
Ceux qui soutiennent des sanctions toujours plus sévères ont la charge de prouver que celles-ci aideront en fin de compte l’Ukraine, mais ils expliquent rarement pourquoi cela fonctionnera cette fois-ci. L’UE continue simplement à renforcer les sanctions, faisant en fait la même chose et s’attendant à des résultats différents. Le 3 décembre, l’UE s’est engagée à mettre fin à toutes les importations de gaz naturel russe d’ici septembre 2027, en particulier le GNL russe, dont 15 pour cent proviennent encore de Russie. The Economist note toutefois que l’UE continue d’acheter des engrais russes fabriqués à partir de gaz naturel. Elle en achète même « davantage, pour certains types, qu’avant la guerre ».
L’explication est simple. Avant l’invasion russe de l’Ukraine, l’Europe disposait d’environ 120 usines d’engrais qui couvraient 70 pour cent de ses besoins en azote, dont beaucoup utilisaient du gaz ou de l’ammoniac russe. Lorsque l’approvisionnement en gaz par gazoduc a cessé et que les prix ont grimpé en flèche, la production de l’UE a chuté d’environ 70 pour cent. Aujourd’hui, peut-être la moitié de cette capacité est de nouveau opérationnelle.
C’est un bon exemple qui montre comment les sanctions peuvent se retourner contre leurs auteurs. Pour produire des engrais, il faut une énergie bon marché. Sans le vouloir, en augmentant les prix de l’énergie en raison de la baisse des importations d’énergie russe, l’UE est devenue plus dépendante de la Russie pour les produits à forte intensité énergétique, comme les engrais.
Sanctionner les engrais russes, comme certains l’ont demandé, en plus de l’augmentation des droits de douane sur ce produit, pourrait avoir des conséquences imprévues. En effet, dès mars 2022, l’incertitude entourant cette question a contraint EuroChem Group, l’un des plus grands producteurs mondiaux d’engrais, à fermer son usine d’Anvers, entraînant également l’arrêt des livraisons de matières premières du géant de la chimie BASF. En conséquence, près de 400 employés se sont retrouvés sans travail, et il a fallu plusieurs mois aux autorités belges pour confirmer que l’entreprise n’était pas soumise aux sanctions de l’UE, permettant ainsi la reprise des activités.
En dehors du secteur industriel, dans l’agriculture, les effets pourraient être considérables. The Economist note que la raison pour laquelle l’UE n’a pas encore imposé de sanctions sur les importations d’engrais est « en grande partie due à ses agriculteurs en difficulté. Les engrais représentent 15 à 30 pour cent de leurs coûts de production. Ces coûts ont considérablement augmenté entre 2020 et 2025 en raison de la pandémie de Covid et des guerres en Ukraine et au Moyen-Orient. Dans le même temps, les prix des céréales et des produits agricoles ont chuté. En 2024, des agriculteurs en colère ont conduit des convois de tracteurs dans plusieurs capitales européennes, dont Bruxelles. L’UE craint que la perturbation de l’approvisionnement en engrais ne l’expose à nouveau à leur colère. »
Cette semaine, jeudi, une grande manifestation d’agriculteurs est à nouveau prévue à Bruxelles. Plus de 10 000 agriculteurs devraient se rassembler pour protester contre la politique agricole de l’UE, des réformes proposées aux dépenses de l’UE en passant par l’accord commercial avec le bloc commercial latino-américain Mercosur. Des sanctions supplémentaires sur les engrais ne les rendront pas vraiment plus heureux, d’autant plus que l’UE s’engagerait dans cette voie sans permettre la production européenne d’engrais. Pour cela, il est non seulement nécessaire de réduire considérablement les prix de l’énergie dans l’UE, ce qui implique de supprimer une grande partie de la politique climatique de l’UE, en particulier le système de taxation climatique ETS. The Economist note qu’à l’heure actuelle, « les investisseurs sont réticents à soutenir une production européenne accrue, en partie à cause des règles environnementales coûteuses de l’UE ». Il est donc absolument indispensable de recourir à la déréglementation pour agir de manière responsable.
Il convient de noter que l’importation d’engrais provenant d’autres fournisseurs, comme l’Égypte et l’Algérie, est également délicate. Les importations d’engrais en provenance de ces pays devraient devenir plus coûteuses à partir du 1er janvier, date à laquelle entrera en vigueur le « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » (CBAM) protectionniste de l’UE, qui impose de nouveaux droits de douane climatiques sur certaines importations à forte intensité énergétique dans l’UE. Les lobbies agricoles ont déploré que « l’introduction du mécanisme CBAM en 2026 exercera une pression sur le secteur agricole européen en raison de la hausse des coûts et de l’incertitude ». D’une certaine manière, le bras politique de l’UE chargé du climat fait obstacle au bras chargé des sanctions.
Ce serait drôle si ce n’était pas aussi tragique.

