Le paradoxe de la fertilité en Chine

Pour encourager la natalité, l’économie chinoise doit croître assez vite pour générer davantage d’emplois bien rémunérés. Mais pour que l’économie prospère, il faut que les familles aient suffisamment d’enfants afin d’élargir la population active. L’avenir économique de la Chine dépend de sa capacité à résoudre ce cercle vicieux.

En été, on pourrait s’attendre à ce que les mères d’élèves entrant en sixième cherchent à rendre le temps passé avec leurs enfants aussi agréable et détendu que possible. Malheureusement, ce n’est pas le cas en Chine, où les mères de futurs collégiens — ainsi que les enfants eux-mêmes — s’épuisent pendant les vacances estivales à préparer la rentrée scolaire à venir.

Il ne s’agit pas d’une pratique optionnelle réservée aux plus ambitieux. C’est un fardeau qui pèse sur presque toutes les familles, car seule la moitié des élèves sortant du collège sont admis dans un lycée généraliste, condition préalable pour accéder à l’université. Cette pression et cette compétition sont ressenties jusque chez les élèves de l’école primaire. Les enseignants et les établissements scolaires sont eux-mêmes sous pression pour obtenir un taux élevé d’admissions en lycée généraliste. Pour maximiser les chances de réussite à un examen qui n’aura lieu qu’en troisième, de nombreux établissements fournissent, dès l’entrée en sixième, l’intégralité des supports du programme du collège afin que les familles puissent les étudier durant l’été.

La responsabilité d’enseigner et d’encourager les enfants à travailler plusieurs heures par jour repose en grande partie sur les mères, déjà sollicitées par leur travail. Traditionnellement, les pères chinois s’impliquent peu dans la garde d’enfants, et le niveau de difficulté des matières demeure inaccessible à la plupart des grands-parents ou autres aidants. Beaucoup de mères suivent même des cours en ligne recommandés par l’école pour apprendre à enseigner le programme. Qu’elles soient PDG ou épicière travaillant déjà 60 heures par semaine, elles passeront probablement leurs soirées d’été à s’acharner sur la géométrie du collège.

Il n’est donc guère étonnant que le taux de fécondité en Chine ait atteint un niveau historiquement bas — un enfant par femme en 2023 —, ni qu’une proportion croissante de jeunes femmes n’envisage plus de devenir mères. Dans un sondage en ligne populaire, plus de 60 pour cent des répondants (pour la plupart des femmes de 18 à 35 ans) ont affirmé ne pas vouloir avoir d’enfants, citant le coût élevé de l’éducation, l’incertitude concernant l’avenir économique de leurs enfants, et la douleur physique liée à l’accouchement.

Cette aversion à la maternité risque fort d’engendrer des problèmes macroéconomiques, car une faible natalité réduit la part de la population active. Lorsque ce phénomène a touché le Japon, son économie est restée atone pendant au moins une génération.

Sans surprise, les décideurs chinois mobilisent tous les leviers possibles pour raviver l’envie de devenir parent chez les futures mères. La question de la douleur physique liée à l’accouchement est la plus simple à traiter. L’anesthésie péridurale est jugée par les professionnels de santé comme la méthode la plus efficace pour soulager la douleur. Actuellement, elle n’est utilisée que dans 30 pour cent des accouchements en Chine, contre environ 67 pour cent aux États-Unis et au Canada, et 82 pour cent en France. Pour réduire la peur de l’accouchement, la Commission nationale de la santé chinoise a annoncé que tous les hôpitaux de plus de 500 lits devront proposer la péridurale d’ici la fin de l’année, ceux de plus de 100 lits d’ici 2027.

Mais toutes les inquiétudes des futures mères n’ont pas de solution évidente. Les coûts élevés de l’éducation et le manque de perspectives économiques pour les enfants sont des problèmes particulièrement ardus. Selon le sondage cité plus haut, 72 pour cent des interrogés estiment qu’un foyer doit gagner entre 4 000 et 7 000 dollars (3400-6000 euros) par mois pour pouvoir élever un seul enfant. Pourtant, en 2024, le revenu médian disponible des ménages chinois s’élevait à seulement 572 dollars (488 euros) en zone urbaine et 228 dollars (195 euros) en zone rurale.

Pour soulager la charge financière liée à l’éducation des enfants, le gouvernement chinois a multiplié les initiatives. Outre l’allongement des congés maternité et paternité, il a instauré récemment une allocation annuelle d’environ 500 dollars (427 euros) par enfant de moins de trois ans. Les autorités locales proposent d’autres incitations, comme des aides au logement et des allègements fiscaux, tout en diffusant une propagande nataliste.

Cependant, ces aides financières n’allègent en rien l’angoisse quotidienne des mères chinoises pour l’avenir de leurs enfants. Même si la distinction entre lycée généraliste et lycée professionnel disparaissait, ouvrant ainsi l’accès à l’université à tous les bacheliers, la compétition demeurerait pour les établissements les plus prestigieux et les emplois les mieux rémunérés.

La racine du problème réside dans le nombre relativement faible d’emplois en Chine garantissant une vie confortable et dans le grand nombre de candidats à ces postes. Si la réussite scolaire est souvent un préalable pour y accéder, elle ne les assure pas pour autant. Si la hausse du chômage des diplômés universitaires se confirme, alors les inquiétudes des futurs parents sont fondées : leurs enfants devront se battre âprement pour atteindre un niveau de vie moyen.

Les subventions à la garde d’enfants n’augmenteront pas le nombre d’emplois, et il est peu probable qu’elles entraînent une hausse significative de la natalité. Les familles qui dépensent déjà toutes leurs ressources dans l’éducation de leurs enfants utiliseront probablement ces aides pour ces mêmes frais. C’est la compétition pour l’emploi qui crée du stress chez les familles et, au bout du compte, fait baisser la natalité.

La Chine se retrouve face à un paradoxe. Pour encourager la natalité, il faut que l’économie génère rapidement plus d’emplois bien rémunérés. Mais une croissance rapide nécessite aussi assez de naissances pour maintenir l’équilibre entre population active et population retraitée. L’avenir économique de la Chine, tout comme le bien-être de ses familles, repose sur sa capacité à résoudre ce dilemme.

Droits d’auteur : Project Syndicate, 2025.
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par Nancy Qian

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