La baby-boom s’effondre: gouvernements échouent à relancer la natalité

Des études montrent que d’ici 2050, la population de nombreux pays dans le monde va diminuer. Pour contrer ce déclin démographique, une liste croissante de pays met en place des politiques pour encourager les femmes à avoir des enfants, mais ces mesures n’ont jamais vraiment d’effet.

Le choix des mots était digne d’un appel napoléonien: réarmement démographique. Lorsque le président français Emmanuel Macron a annoncé l’an dernier la nécessité d’un « réarmement démographique », il a souligné l’enjeu crucial qu’il perçoit dans la lutte contre la baisse de la natalité.

Dans son discours, Macron a mis en garde contre le « fléau » d’une nation qui ne fait pas assez d’enfants, et la nécessité de le combattre avec un congé parental mieux rémunéré et d’autres programmes sociaux similaires.

La question démographique n’est pas nouvelle. Le taux de natalité en France baisse depuis 2014 et l’âge de la grossesse ne cesse d’augmenter, porté par l’essor des carrières féminines et des techniques contraceptives.

L’un des taux de natalité le plus élevé d’Europe

Le ton alarmiste de Macron est d’autant plus notable que la France affiche encore l’un des taux de natalité les plus élevés d’Europe, avec environ 1,66 enfant par femme. Les données publiées en mars 2024 en Allemagne montrent que le taux est tombé à 1,36 enfant par femme en moyenne, son plus bas niveau depuis 2009.

Mais partout dans le monde, les pays font face à un déclin démographique, une population vieillissante ralentissant la richesse et la productivité globales. En Asie de l’Est, le problème est particulièrement aigu. Ces dernières années, la Corée du Sud et le Japon ont enregistré des taux de natalité historiquement bas. La Corée du Sud a compté 230 000 naissances en 2023, son taux chutant de 8 pour cent à 0,72, tandis que le nombre de naissances au Japon a baissé de 5,1 pour cent à 758 631.

La publication d’un sondage d’État en Iran a révélé la réticence à avoir des enfants malgré les encouragements appuyés des autorités religieuses. La sociologue Shahla Kazemipur a expliqué au journal Ham Mihan de Téhéran que la baisse des naissances s’explique par des changements comme « les réseaux sociaux, l’alphabétisation, les femmes au travail… même les femmes au foyer ne veulent pas plus de deux enfants ».

Le déclin démographique est bel et bien un enjeu mondial, la moitié des pays étant déjà sous le seuil de renouvellement de leur population, selon The Lancet. Des recherches publiées par l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME) estiment que les trois quarts des pays verront leur population diminuer d’ici 2050. La lutte contre ce phénomène est devenue une priorité mondiale, les gouvernements multipliant les mesures pour stimuler la natalité, directes ou indirectes. Pourtant, ces actions s’avèrent de plus en plus inefficaces et parfois produisent même l’effet inverse de celui recherché.

Payer pour faire des bébés?

L’ancien gouvernement en Pologne a tenté d’inverser la tendance avec des lois visant à « payer les femmes » pour avoir des enfants. Mais comme l’a rapporté la Gazeta Wyborcza de Varsovie, la distribution d’une allocation mensuelle aux familles a coïncidé avec une loi anti-avortement drastique entrée en vigueur en 2020.

Résultat: une natalité encore plus basse, que certains expliquent comme une forme de protestation féminine: ne pas avoir d’enfants devient un acte de résistance pour celles qui refusent le rôle de genre imposé. Les femmes ne se sentent pas en sécurité pour enfanter dans un pays patriarcal avec de telles lois, une réalité que l’aide financière ne compense pas.

Des cas similaires se sont produits en Asie. Les Sud-Coréennes évitent d’avoir des enfants en signe de protestation contre les normes sociales, maintenant le taux de natalité sous la barre des 1,3 depuis 2001.

Le gouvernement de Séoul a mis en place des mesures comme l’attribution de pensions aux parents pour inciter à procréer. Au total, l’État sud-coréen a investi 379.000 milliards de wons (236,25 milliards d’euros) sur 16 ans dans des initiatives pour relancer la natalité, dont des paiements directs aux familles. Là encore, la manœuvre a échoué: la Corée du Sud affiche le taux de natalité le plus bas au monde, franchissant le « croisement mortel » avec plus de décès que de naissances dès 2020.

La Corée du Sud s’est d’ailleurs retrouvée à nouveau dernière du classement mondial de la fécondité en 2023, alors que le pays continue de se demander pourquoi les femmes n’ont pas d’enfants. Un sentiment partagé chez les Sud-Coréennes: le gouvernement n’écoute pas leurs besoins, mais jette de l’argent par les fenêtres sans s’attaquer aux causes structurelles.

Plus concrètement, les femmes choisissent de ne pas avoir d’enfants pour rechercher un meilleur équilibre vie professionnelle-vie privée face à l’inégalité de genre et à la compétition parentale dans la société coréenne, réclamant des solutions plus globales que de simples incitations financières.

Contrôle politique du corps des femmes

Juste quelques places devant la Corée du Sud dans le classement de la fécondité, on trouve la Chine. Dans l’ère post-planification familiale, la Chine est passée de la « politique de l’enfant unique » à la « politique des trois enfants », réduisant l’éducation et le financement de la contraception tout en encourageant la fertilité via des aides sociales. Mais la possibilité d’avoir jusqu’à trois enfants et le manque d’éducation sexuelle ont entraîné un nombre élevé de grossesses et donc d’avortements chez les adolescentes, comme le souligne le média chinois The Initium. L’incitation gouvernementale n’a pas inversé la tendance au déclin démographique et, en 2024, la population chinoise a diminué pour la troisième année consécutive, selon les chiffres officiels.

Tout récemment, la Chine a annoncé sa première subvention nationale pour relancer la natalité le 28 juillet 2025. Avec cette mesure, les parents reçoivent 3 600 yuans (438 d’euros) pour chaque enfant de moins de trois ans afin d’aider à couvrir les frais d’éducation.

L’Iran, lui, ne s’inquiétait pas des grossesses adolescentes, l’État ayant commencé à encourager les jeunes étudiants à devenir parents en mai 2023. Le média persanophone Kayhan-London rapportait que les étudiantes enceintes pouvaient espérer de meilleures notes et que leurs enseignants seraient récompensés, dans le cadre d’un diktat démographique imposé à la population.

Les taux de croissance sont une priorité absolue

Selon le rapport de ce mois-ci, les hommes iraniens, toujours désireux de voir les femmes gérer le foyer, ont le gouvernement de leur côté. Celui-ci dépense des sommes importantes pour encourager la natalité chez les couples mariés. Le régime ferme même les yeux lorsque des familles vendent effectivement leurs filles mineures pour le mariage. Cette pratique est socialement mal vue, à peine plus de 3 pour cent des sondés estimant qu’entre 9 et 15 ans est un âge approprié pour marier une fille.

La croissance démographique est une priorité pour le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, mais elle s’inscrit dans un contexte de fortes restrictions sur le corps des femmes, du port obligatoire du voile à la guerre contre le droit à l’avortement. Un politicien conservateur, Gholamhossein Haddad-Adel, ancien président du Parlement, a récemment appelé à la création d’un ministère de la croissance démographique pour donner un nouvel élan à ce dossier cher au cœur du Guide suprême. Le principal obstacle reste l’argent: des millions d’Iraniens vivant dans des logements exigus et peinant à joindre les deux bouts ne peuvent pas se permettre d’élever un enfant jusqu’à ce qu’il commence à travailler.

Qu’elles soient religieuses ou économiques, les interventions gouvernementales se poursuivent. Tandis qu’en France on parle de « réarmement », les dirigeants sud-coréens déclarent « l’état d’urgence nationale » et leurs homologues japonais prévoient des « mesures sans précédent » alors que le nombre de naissances atteint un record à la baisse pour la huitième année consécutive.

Pourtant, Philip Cohen, professeur de sociologie à l’Université du Maryland et spécialiste des tendances démographiques, estime que la « planification familiale » par les gouvernements est au mieux inefficace. « Toute action pour influencer la natalité aura probablement des effets secondaires négatifs », explique-t-il. « Et les bénéfices seront sans doute très faibles. »

Le facteur immigration

L’Amérique latine a connu sa propre trajectoire démographique ces dernières décennies. Au milieu du vingtième siècle, de nombreux pays affichaient des taux de fécondité élevés, les familles nombreuses étant la norme. Parmi les facteurs: normes culturelles, accès limité à la contraception et programmes de planification familiale peu développés.

Des programmes offrant des contraceptifs gratuits ou à bas coût, comme les implants sous-cutanés, ont ensuite contribué à une forte baisse des grossesses en Argentine, au Chili et en Uruguay. C’est un signe positif de développement social, mais cela a aussi entraîné des défis démographiques similaires à ceux de l’Europe et de l’Asie, avec une main-d’œuvre en diminution et une pression accrue sur les systèmes de retraite.

En septembre, l’Uruguay a annoncé la création d’une Commission d’experts en politique démographique (Comisión de Expertos en Política Poblacional) pour répondre à la baisse, évoquant une nouvelle vague migratoire à promouvoir par l’État. Même si cela n’a pas suffi à sortir du seuil de « très faible fécondité » de 1,3 enfant par femme, le pays a vu sa population augmenter avec l’arrivée de migrants fin 2023.

Le taux de natalité le plus bas depuis dix ans

Au Chili, le gouvernement a déjà constaté que la population migrante renouvelle les rangs de la jeunesse nationale et stimule la natalité. Reconnaissant l’impact positif de la migration sur la jeunesse et la natalité, le gouvernement chilien a adapté sa stratégie pour faciliter l’intégration des nouveaux arrivants, avec des programmes éducatifs inclusifs, la promotion de l’emploi et l’accès aux soins pour les migrants et leurs familles.

Mais ces dernières années, le durcissement des politiques migratoires pour réguler l’immigration illégale pourrait expliquer pourquoi le Chili a enregistré le taux de natalité le plus bas de la décennie en 2023. Ce taux aurait été encore plus bas sans les précédentes vagues migratoires qui ont renforcé la population active et en âge de procréer, représentant plus de 33 pour cent de la croissance démographique entre 2010 et 2020.

En France aussi, l’immigration est un sujet très débattu, qui se superpose à l’annonce de Macron sur la fertilité. Les lois visant à durcir les conditions d’immigration semblent contredire la « guerre » contre le déclin démographique.

Pour certains, la France s’engage sur une voie qui constitue un recul des avancées politiques et sociales. Les organisations féministes françaises n’ont pas tardé à crier « laissez nos utérus tranquilles » après la présentation du plan de fertilité de Macron, perçu comme un clin d’œil à l’électorat de droite.

Ce qui semble clair, c’est que ce nouveau « réarmement » relève davantage de la politique économique que de la réalité sociale, et que les Français restent loin d’être convaincus.

© Worldcrunch

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