La Vivaldi se trouve dans une impasse concernant la « concession presse » : accorder ce contrat à bpost parait maintenant invraisemblable, mais le confier aux acteurs privés reviendrait à porter un coup fatal à ce contrat

La Vivaldi se trouve dans une impasse concernant la « concession presse » : accorder ce contrat à bpost parait maintenant invraisemblable, mais le confier aux acteurs privés reviendrait à porter un coup fatal à ce contrat
Pierre-Yves Dermagne (PS) – NICOLAS MAETERLINCK/BELGA MAG/AFP via Getty Images

Une forte tension règne au sein du gouvernement fédéral autour de la controversée « contrat presse « concession presse ». Bpost risque de perdre les 125 millions d’euros de soutien public prévus pour la distribution des journaux et des magazines : les acteurs privés PPP et Proximy ont remporté le contrat, suivant les recommandations de l’administration. Le kern n’a pas souhaité « prendre une décision en 20 minutes » hier, car Ecolo, Groen et le CD&V avaient des questions complémentaires. Un groupe de travail technique est maintenant chargé de répondre en détail à ces questions, mais d’un point de vue politique, la situation est un véritable dilemme : le gouvernement est confronté à un choix paradoxal. Attribuer maintenant le contrat à bpost constituerait une violation d’un appel d’offres public, ce qui entraînerait d’importants problèmes avec l’Europe et compliquerait encore davantage ce dossier. Mais l’attribuer aux deux acteurs privés signifierait que l’État devrait verser des millions d’euros de subventions chaque année, en concurrence directe avec son propre service public, Bpost. Cela remettrait en question toute la structure du contrat. « C’est absurde, quel que soit l’angle sous lequel on examine la situation », confirme un vice-premier ministre.

L’actualité : Dès demain, bpost pourrait être définitivement écarté, au plus tard la semaine prochaine. « Quoi qu’il en soit, il faut agir rapidement », indique une source au sein du kern.

Le détail : En raison de l’impact négatif de cette information sur bpost, et face aux questions supplémentaires des Verts et du CD&V, le kern a reporté sa décision sur le contrat de distribution de journaux. Mais les répercussions s’annoncent considérables.

  • Un lobbying particulièrement intense a permis de repousser la décision concernant bpost. Le conseil des ministres restreint ne souhaitait pas attribuer définitivement le contrat pour la distribution des journaux et magazines, ce lundi après-midi. Cela aurait pourtant été logique, après les recommandations du SPF Économie. Ce dernier a porté son choix sur deux concurrents de l’entreprise publique. Mais la course n’est donc pas encore terminée, bien que plusieurs sources gouvernementales confirment « qu’en réalité, il n’y a légalement pas d’autre option ».
  • La décision du SPF Économie repose sur les offres soumises par les trois candidats. Le prix joue un rôle important dans cette décision, à hauteur de 60 %. Pour ce contrat, PPP a proposé une offre bien plus avantageuse et donc moins coûteuse que celle de bpost. La subvention, que bpost recevait toujours, avait été fixée à 125 millions d’euros par an suite à un âpre conflit entre le PS et l’Open Vld en octobre 2020. Mais, comme le démontre la situation actuelle, il est possible de réaliser cette opération pour un coût inférieur sur un marché libre.
  • Les 25 % relatifs à la « qualité », sur lesquels bpost insistait, et les 15 % concernant la « livraison à temps » des journaux, n’ont pas suffi à faire pencher la balance en faveur de l’entreprise publique.
  • Hier, tant les syndicats de bpost que les éditeurs francophones ont vivement critiqué cet aspect de « qualité », avertissant que ni le petit acteur bruxellois PPP ni le français Proximy ne seraient capables de la garantir.
  • De plus, les syndicats ont signalé que la perte de ce contrat pourrait mettre en danger jusqu’à 4.500 emplois chez bpost. Une partie de ces employés, notamment les contractuels, pourraient être repris par les acteurs privés. Cependant, pour les postiers syndiqués bénéficiant d’un statut de fonctionnaire, la situation deviendrait problématique, ce qui représente un véritable casse-tête pour le PS et Ecolo.
  • Enfin, l’idée que bpost puisse théoriquement agir en tant que sous-traitant de PPP n’a pas apaisé les tensions : l’action de l’entreprise a chuté de 10 % en bourse. L’entreprise elle-même a publié un communiqué hier soir, après que le gouvernement a reporté sa décision.
  • Chris Peeters, CEO de bpost, y déclare : « L’incertitude actuelle pèse lourdement sur les employés concernés et leurs familles, surtout en cette fin d’année. Nous sommes prêts à répondre aux questions du SPF Économie. bpost insiste pour obtenir le plus rapidement possible des clarifications sur le calendrier et les prochaines étapes du processus. »

L’essentiel : le gouvernement Vivaldi face à un choix cornélien.

  • C’est Vincent Van Quickenborne, ancien vice-premier ministre pour l’Open Vld, qui a eu des échanges houleux avec le PS sur ce dossier par le passé, qui le résume parfaitement ce matin pour Business AM : « Le gouvernement a deux options : continuer à subventionner et ainsi favoriser un concurrent étranger de bpost, ou arrêter les subventions pour limiter les dommages pour bpost. Cette dernière option est préférable, y compris pour le contribuable. »
  • Ce dilemme est également reconnu par les autres partis de la coalition fédérale. Il est souligné qu’Ecolo n’était pas le seul parti à avoir des interrogations : Georges Gilkinet, le vice-premier ministre, n’était même pas présent au kern, hier. Du côté de chez Groen et Petra De Sutter, ministre de tutelle de bpost, et du côté du vice-premier ministre Vincent Van Peteghem (CD&V), on avait aussi des questions.
  • Le kern n’a reçu la recommandation finale du SPF Économie qu’une heure avant la réunion. Pierre-Yves Dermagne (PS), vice-premier ministre, ne veut prendre aucun risque dans ce dossier controversé, surtout après tout ce qui s’est passé jusqu’ici concernant ce contrat de distribution des journaux. Le socialiste est mal pris, car il peut difficilement aller à l’encontre de sa propre administration. De l’autre côté, le PS a toujours défendu bec et ongles ce contrat et les emplois qui en dépendent.
  • « Il est normal que nous souhaitions étudier attentivement les conséquences et revoir en détail le prix et la qualité lors d’une réunion intercabinets des techniciens », explique un vice-premier ministre. « Mais nous sommes tous conscients que le temps presse. La décision doit être prise demain, ou au plus tard la semaine prochaine. »
  • Cependant, même parmi les défenseurs de bpost, le PS et les verts, il semble de plus en plus difficile d’intervenir. « Cette situation est absurde, sous tous les angles », observent-ils.
  • « Outrepasser l’appel d’offres n’est pas réaliste. Le supprimer pourrait être une option, mais cela reste impensable, car nous tenons à garantir la distribution nationale des journaux et magazines », soupire un autre vice-premier ministre. Un autre membre du kern commente : « La situation est complètement inattendue… donc tout est encore possible. »
  • À ce stade, les libéraux adoptent une position plutôt attentiste : « Les concurrents étrangers qui emploient des étudiants et des retraités vont maintenant recevoir des millions de fonds publics ? Je suis curieux de voir ce qu’Ecolo et le PS en pensent. » Ce dilemme est également reconnu ailleurs dans le gouvernement, notamment à gauche : « Il sera difficile de justifier cette décision plus tard. » Ainsi, l’ensemble du contrat est en péril : il pourrait disparaître plus rapidement que prévu.
  • Une possible échappatoire pourrait être un obstacle technique dans le dossier, permettant de suspendre la procédure : il faut examiner attentivement comment PPP sera précisément payé, et surtout quand. Normalement, l’État verse d’abord une avance de 40 % du montant total. Mais PPP ne commencerait que dans six mois, n’assurant ainsi que la moitié de l’année 2024 : doivent-ils quand même recevoir 40 % du montant total ?
  • Les libéraux s’empressent de préciser que cela ne peut pas être une raison technique suffisante pour reporter la décision. « Cela ne pèse pas assez lourd. »

L’enjeu : Une catastrophe (sociale) majeure pour bpost et le PS.

  • « Si bpost ne parvient pas à conserver le contrat, cela aura un impact considérable sur l’emploi, car des postes seront alors supprimés, ce qui me préoccupe grandement. La distribution des journaux est un service essentiel, actuellement assuré avec une grande qualité », a affirmé De Sutter ce matin sur Radio 2.
  • Cette préoccupation est partagée au sein du gouvernement : « La question dépasse le simple cadre du contrat. Il faut également envisager les répercussions si bpost ne l’emporte pas. Cela nécessite une réflexion interne chez bpost pour trouver des solutions adaptées. Il convient aussi d’étudier la possibilité de reclasser des salariés de bpost au sein de l’administration fédérale. »
  • La situation est d’autant plus complexe que l’ancien CEO, Jos Donvil, qui a occupé le poste de manière intérimaire et qui occupe toujours le poste de numéro 2 chez bpost, a affirmé publiquement au Parlement qu’« il n’y aurait pas de plan social ni de licenciements forcés cette année ». Ce scénario paraît irréaliste dans le cas où bpost perdrait le contrat.
  • Pour le PS, c’est un scénario cauchemardesque. Avec Audrey Hanard à la présidence du conseil d’administration, le parti s’est retrouvé malgré lui au cœur de la tourmente, Hanard devenant le visage de l’entreprise par la force des circonstances. Toutefois, ni elle ni le ministre compétent Dermagne du PS n’auront réussi à préserver les emplois essentiels chez bpost si le scénario redouté se concrétise.
  • La perspective de perdre des milliers d’emplois chez Bpost est un sujet politiquement très délicat, particulièrement à gauche où la pression du PTB se fait sentir. Le parti d’opposition jouit d’un soutien non négligeable parmi les employés de Bpost. À la Chambre, Maria Vindevoghel (PTB/Pvda) a déjà exprimé son indignation face à cette situation.
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