La ministre wallonne de l’Environnement, Céline Tellier (Ecolo), s’est présentée ce mardi en commission devant le Parlement wallon. Face aux multiples interrogations des députés, la ministre est revenue point par point sur la ligne du temps des évènements liés au dossier PFAS, dont les tous premiers éléments remontent à 2017, sur la base américaine de Chièvres. Mais la commission s’est surtout attardée sur le cas précis des 12.000 habitants de 12 villages de cette commune du Hainaut, qui ont bu une eau contaminée aux PFAS, dépassant de 5 fois la dose tolérable fixée par l’Autorité européenne de la sécurité des aliments. Les députés voulaient comprendre pourquoi les habitants de cette commune n’avaient pas été prévenus entre octobre 2021 et mars 2023, avant que des mesures ne soient finalement prises par la SWDE pour décontaminer l’eau. Malgré la gravité des faits, la ministre n’a pas semblé déstabilisée et s’est défendue avec vigueur. Elle dit ne pas avoir été mise au courant d’un quelconque « danger imminent » qui aurait dû alors mener « à une phase d’alerte ». Par contre, sa réponse concernant les raisons qui l’ont poussé à débarquer hier un collaborateur détaché de l’administration, « car la confiance était rompue », n’a sans doute pas convaincu les députés de l’opposition. Du côté de la majorité, non plus, le partenaire MR n’a fait aucun cadeau à la ministre écologiste.
Dans l’actu : Céline Tellier sur le gril, en commission Environnement, au Parlement wallon.
En détails : Il est à ce stade encore difficile de dire si la ministre a réussi son examen devant les députés. Ces derniers appellent déjà à voir d’autres intervenants. À commencer par la ministre de la Santé, Christie Morreale (PS), la SWDE (Société wallonne des eaux), ou le fameux collaborateur de la ministre, qui a été prié de faire ses cartons, ce lundi.
- Mais la ministre ne démissionnera pas. C’est ce qu’elle a fait comprendre en fin d’audition, avec un tremolo dans la voix : « Je ne suis pas attachée au pouvoir. Mais je me suis engagée pour changer les choses en profondeur. Et parfois, ça prend du temps et on peut manquer de vigilance. Mais je ne cesserai de me battre pour offrir de meilleures conditions de vie aux Wallons et aux Wallonnes. Et je respecterai cet engagement jusqu’à la dernière heure de cette législature. Sur ce dossier et sur tous les autres qui nous occupent. »
- Sur la forme, il s’agissait de l’unique petite « faiblesse » de la ministre, qui jusque-là s’était montrée confiante, claire et méticuleuse dans son explication de plus d’une heure aux députés. Bien sûr, la véracité de ses réponses doit encore être analysée et vérifiée. Et dans un dossier pareil, on sait quand commence l’affaire, mais on ne sait jamais quand elle se termine. Toutefois, on peut déjà dire que la ministre n’a éludé aucune question, même si elle a choisi ses réponses.
- Sur le fond, la ministre dit n’avoir reçu « à aucun moment une information de menace éminente« . Or, « selon le Code de l’environnement », cette information doit précéder une phase d’alerte à la population. La ministre a montré un e-mail, qui a été reçu par son administration en janvier 2022, l’origine du couac. Mais ce mail ne serait pas remonté jusqu’à son cabinet, concernant les niveaux de PFAS dans l’eau des villages concernés.
- En outre, ce mail ne contient pas de mise en garde particulière, soutient la ministre. Il s’agit d’un « email brut », « comme il y en a des centaines tous les mois », décrit Céline Tellier, auquel était joint un fichier Excel que personne n’a vraiment su déchiffrer, apparemment. Dans ce tableau Excel, figuraient des chiffres de relevés non-problématiques, selon la ministre, à l’exception d’une valeur finale qui dépassait le seuil, a tenté d’expliquer la ministre, en agitant son long document. Le problème, c’est que personne parmi les députés n’a compris non plus de quoi il retournait vraiment dans ce tableau. Le député MR, Olivier Maroy, a exigé par la suite que la ministre livre le document pour plus de clarté.
- Mais la ministre est de toute façon formelle : ce mail qui ne lui est pas parvenu ne contenait aucune analyse ou approfondissement, et aucun signal d’alerte n’y figurait. Mais alors, pourquoi avoir évincé le fonctionnaire détaché par l’administration qui a reçu ce mail de la SWDE ? La réponse n’aura pas convaincu grand-monde : « Ma vision est de respecter la légalité mais aussi d’aller plus loin en matière de vigilance. Mon conseiller n’a pas été alerté d’un risque d’une menace imminente pour la santé. Mais lorsqu’on travaille dans un cabinet ministériel, on doit aller plus loin que l’approche légaliste. On doit être doté d’une vigilance politique. Suite à cet épisode, j’ai considéré ne plus avoir confiance dans les capacités de vigilance politique de mon conseiller. »
- Un dernier point important concernait ses échanges de mails avec la ministre du Climat, Zuhal Démir, à propos d’une contamination des eaux à Halle, une commune flamande qui puise son eau en Wallonie, via Vivaqua et distribuée par la SWDE. Les deux dossiers ne sont pas directement liés, mais il s’agissait, dans la ligne du temps des évènements, de nouveaux signaux qui auraient pu mettre la puce à l’oreille de la ministre, pour faire preuve d’une plus grande précaution et d’une meilleure communication.
- Mais là non plus, la ministre ne s’est pas démontée en commission. Elle a fait référence à plusieurs échanges depuis l’éclatement du scandale de l’entreprise chimique 3M, qui a agité la Flandre en 2021. Sur le cas spécifique de la contamination des eaux à Halle, la ministre a confirmé la réception d’un mail en janvier 2023.
- Après en avoir été informée, la ministre a demandé à la SWDE de s’adresser à Vivaqua pour effectuer des relevés. Le 10 février, il est ressorti des échantillons que les taux étaient inférieurs à la norme européenne 100 ng/l qui n’entrera en vigueur qu’en 2026. Et selon la ministre wallonne, c’est bien cette norme qui s’appliquait déjà en Flandre. Pas un mot par contre sur la première alerte, qui date de mars 2022.
- À l’adresse des députés, la ministre a néanmoins relevé que dès 2021, la question de cette norme européenne avait été discutée au Parlement wallon, pour sa transposition dans un décret, et « qu’aucun député, d’aucun parti » n’avait alors manifesté une quelconque interrogation sur le niveau de cette norme, ou sur une éventuelle anticipation dans son application, avant 2026.
L’essentiel : Ecolo a voulu détourner le débat vers une question qui met le parti écologiste en confrontation directe avec le MR.
- Il est de coutume de dire que l’ambiance est meilleure qu’ailleurs entre les partis de la majorité, en Wallonie. C’est peut-être vrai au niveau de l’exécutif, mais ça ne se ressent pas vraiment au niveau des députés. On le sent, depuis le départ de la polémique, le MR ne veut pas faire de cadeau à Ecolo. Aucune démission n’a été demandée ou formulée, mais les libéraux ne veulent rien laisser passer aux écologistes. Tout le monde se souvient de la précédente campagne électorale, qui avait été un combat permanent entre les deux formations politiques.
- Ce genre de commissions, quand un scandale éclate, met en lumière les députés et le rôle peu visible qu’ils jouent au Parlement. Dans cet exercice, l’ancien journaliste de la RTBF et actuel député wallon du MR, Olivier Maroy, excelle. Dès la phase des interpellations, le député a montré qu’il ne prendrait aucune pincette, parlant de « failed state« , se demandant « s’il y avait un pilote dans l’avion » et voyant dans les manœuvres de la ministre qui ont précédé l’audition « une dilution des responsabilités ».
- Depuis quelques jours, il est vrai que l’on entend, ici et là, de la part de responsables écologistes, que cette affaire PFAS nous détourne des réels enjeux : la non-interdiction des PFAS au niveau européen et le lobbying de l’industrie chimique. Céline Tellier a matérialisé cette petite musique dans sa réponse, parlant d’une « lutte de David contre Goliath avec l’industrie chimique, qui met sur notre territoire 5.000 substances potentiellement toxiques (…). Il est urgent que le secteur chimique se réinvente. Il faut passer d’une chimie d’après-guerre à une chimie verte. »
- Le sang d’Olivier Maroy n’a fait qu’un tour : « Évidemment que ce sont des réels enjeux, mais ce n’est pas la question qui nous préoccupe ici, aujourd’hui. Comment se fait-il que 12.000 personnes aient bu de l’eau contaminée sans avoir reçu la moindre information, Madame la ministre ? »
- Les libéraux, via la voix de leur président, Georges-Louis Bouchez, avaient déjà remis en cause cette vision des choses : « Il faut arrêter avec cette histoire de lobbys. Aujourd’hui, tout le monde profite du niveau de vie de l’Europe et des pays occidentaux et ce niveau de vie est amené grâce à la technologie, grâce à l’industrie. Il faut plutôt faciliter la recherche d’alternatives. »
- Et d’ajouter, sur La Première : « Il faut trouver des alternatives crédibles au niveau de l’industrie pour préserver des activités, des emplois… Si demain, on interdit ce genre de produit, il y a toute une série de produits que vous ne trouverez plus, que vous ne pourrez plus acheter ou que vous allez payer beaucoup plus cher. »
- Un discours qui n’est pas très éloigné de celui du Premier ministre Alexander De Croo, qui plaidait il y a quelques mois, pour une pause dans les normes environnementales, et plus tard pour un Pacte industriel, au niveau européen. Ce dernier point sera d’ailleurs l’un des points centraux de la présidence de l’UE, que mènera la Belgique début 2024.
Et maintenant : un cadastre et un monitoring, de toute urgence.
- La ministre a répété à plusieurs reprise la notion de « zone grise », pour expliquer ce qui n’a pas fonctionné dans ce dossier. La norme, en effet, ne sera appliquée dans l’UE qu’en 2026. Il est donc difficile de mettre en place un cadre, de prévoir une communication adaptée et même d’éventuelles sanctions pour ceux qui ne respecteraient pas les niveaux de contamination. Il est toutefois à noter que certaines entités ont déjà anticipé, comme la Flandre donc, ou comme le Danemark, qui ne tolère que des taux bien inférieurs aux 100 ng/l.
- Céline Tellier reconnait qu’une « approche légaliste ne suffit plus » et que même en l’absence de normes, il faut prendre « des mesures préventives » et adopter une « meilleure communication ».
- Le problème est qu’encore aujourd’hui, certaines communes se sentent livrées à elles-mêmes et entreprennent à leur initiative des relevés. Des relevés qui ont mené la commune de Braine-Le-Comte à déconseiller la consommation d’eau dans le village de Ronquières.
- La ministre a promis un cadastre et un monitoring des sites à risques avec l’établissement d’une carte. Ce cadastre a déjà commencé au mois de septembre mais semble prendre trop de temps. « Aujourd’hui, on ne sait pas répondre à une question aussi simple que celle-ci », a fustigé le député Jori Dupont (PTB) : « Peut-on boire l’eau du robinet ? »
- Dans les villages visés par l’enquête de la RTBF, la qualité de l’eau a depuis été rétablie, mais des analyses environnementales sont en cours. C’est pourquoi il est toujours déconseillé d’y consommer des légumes de jardin ou des oeufs. C’est aussi vrai pour le site pétrochimique de Feluy. Ces analyses seront suivies par des prises de sang de la population, a assuré la ministre.
- Celine Tellier a également établi que 27% des 657 sources d’eau ont été examinées pour le moment, et que 99,5% ne présentaient pas de niveaux problématiques par rapport à la norme européenne.