1000 milliards de dollars : c’est le montant record consacré aux rachat de leurs propres actions par « Corporate America », les firmes américaines, en d’autres termes. Rien que cette semaine, ce sont les géants Oracle, Johnson&Johnson, et Boeing qui se sont livrés à cet exercice.
Le géant du logiciel Oracle a annoncé qu’il venait de boucler une nouvelle opération de ce type pour 10 millions de dollars au cours du dernier trimestre ; trois mois auparavant, il avait déjà fait la même chose, pour le même montant. La multinationale des soins et de l’hygiène Johnson & Johnson a de son côté indiqué qu’elle avait racheté pour 5 milliards de dollars de ses propres actions ; quant à Boeing, elle affirme dans un communiqué qu’elle va effectuer un nouveau rachat de titres propres pour un montant de 20 milliards de dollars, à la suite de celui qu’elle avait orchestré à la même époque en 2017 pour 18 milliards de dollars.
La réforme fiscale de Trump décisive
Cette vague de rachats de leurs propres titres a été alimentée par plusieurs facteurs : d’abord, la forte croissance économique américaine, mais aussi les faibles taux d’intérêt. Mais selon David Santschi, directeur de recherche dans le domaine des liquidités chez TrimTabs, c’est surtout la réforme fiscale introduite par le président Donald Trump à la fin de l’année dernière qui a été décisive : « Une grande partie de ces rachats sont dus à la loi fiscale. Les entreprises ont plus d’argent pour gonfler le cours de leurs actions », explique-t-il. La réforme fiscale incluait une forte réduction de l’impôt sur les sociétés, qui est passé de 35 % à 21 %, et des mesures pour faciliter le rapatriement des liquidités que les grands groupes détenaient à l’étranger.
Une partie des entreprises qui ont effectué des rachats d’actions ont donc utilisé leurs propres liquidités, dans certains cas rapatriées de l’étranger ; d’autres, comme Oracle, ont eu recours à l’emprunt, et ont tiré parti des taux d’intérêt relativement encore faibles aux Etats-Unis.
L’objectif : faire grimper le cours de l’action
Les rachats d’actions ont par exemple permis à Oracle d’améliorer le rendement par action de 19 %, grâce à la réduction du nombre des actions disponibles. En retour, cette hausse de la rentabilité du titre contribue à augmenter la demande pour ce titre, et en conséquence, à faire monter son cours (dans le cas d’Oracle, le cours de la part a progressé de 3 % après le rachat d’actions). Même si le cours de l’action n’augmente pas immédiatement suite au rachat de ses titres par la firme, la réduction du nombre d’actions en circulation implique que leurs porteurs recevront un dividende proportionnellement plus important. De même, le rachat d’actions implique que la firme en question est optimiste quant à ses perspectives futures, ce qui peut inciter les investisseurs à s’y intéresser.
Néanmoins, les critiques notent que les entreprises effectuent souvent ces rachats lorsque les cours sont au plus haut, ce qui signifient qu’elles ne font pas toujours une bonne affaire, notamment si les cours sont voués à baisser, en raison d’un choc économique, par exemple. « Elles effectuent ces rachats parce qu’elles sont optimistes, et que leurs affaires vont bien. La plupart des entreprises ne se soucient pas du cours ou de la valorisation de leurs actions », explique M. Santschi.
Entre les actionnaires et les salariés, les entreprises ont fait leur choix
Enfin, d’autres critiquent la valeur économique de ces rachats de titres propres : ils estiment que les entreprises apporteraient une contribution plus valable à l’économie si elles consacraient ces sommes à l’augmentation des salaires de leurs employés, ou aux investissements. Alors que le montant total consacré à ces opérations atteint un record historique, les investissements dans des usines créatrices d’emplois ont été bien plus timides.
C’est notamment le reproche que fait le sénateur de la Floride, Marco Rubio, dans un tweet : « Quand une société utilise ses bénéfices pour racheter ses actions, elle décide que rendre du capital aux actionnaires est meilleur pour ses affaires que d’investir dans ses produits ou ses travailleurs. Le code des impôts encourage cela. Pas étonnant que nous ayons une vie professionnelle instable et mal payée ».
En février de cette année Patrick Artus, l’économiste en chef de la banque d’investissement française Natixis, avait écrit que nous observions actuellement une série de développements dans les pays de l’OCDE qui étaient conformes à l’évolution du capitalisme telle que Karl Marx l’avait prédit. Il expliquait que lorsque les entreprises constataient la baisse de leurs rendements (ce qui est le cas depuis 2010), elles avaient tendance à ajuster les salaires à la baisse, mais lorsqu’elles avaient atteint les limites de cette stratégie, elles passaient à la spéculation. Et il nommait le rachat d’actions propres pour faire monter les cours comme l’une de ces opérations spéculatives pour augmenter le retour sur capital.