Depuis que la Russie a jeté à l’eau l’accord sur l’exportation des récoltes ukrainiennes, le monde entier guette anxieusement le prochain acte en mer Noire. L’interception d’un navire civil dimanche dernier par la flotte russe éloigne tout espoir d’apaisement et de reprise de ce commerce essentiel pour l’approvisionnement alimentaire de nombreux pays. Elle risque aussi véritablement d’entraîner d’autres pays, voire l’OTAN, dans la guerre.
Dans l’actualité : un premier navire civil et neutre a quitté le port d’Odessa ce mercredi, en dépit des menaces russes de considérer toute embarcation comme une cible légitime, quel que soit son pavillon.
Un pavillon hongkongais face à la flotte russe
- Ce navire, baptisé le Joseph Schulte, faisait partie de ceux qui avaient sorti des céréales d’Ukraine avant que l’accord sur le libre passage des exportations maritimes soit annulé par Moscou. Il bat pavillon hongkongais et transporterait plus de 30.000 tonnes de marchandises, dont des produits alimentaires.
- Attention que si le pavillon d’un navire est à peu près l’équivalent d’une immatriculation, ça ne veut pas dire que celui-ci ou son équipage soient forcément originaires de la presqu’ile chinoise. Beaucoup de cargos portent des pavillons « de complaisance » pour des raisons fiscales.
- Mais le symbole serait fort si la marine russe s’en prenait à ce navire, alors que celle-ci a intercepté ce lundi un cargo pour « inspection » alors qu’il se trouvait dans les eaux internationales. Ce cargo, le Şükrü Okan, battait pavillon des Palaos, mais a été présenté comme turc par le gouvernement ukrainien. Rappelons que la Turquie fait partie de l’OTAN.
- Ce jeudi matin, le Joseph Schulte a été signalé au large des côtes de la Roumanie, en route pour la Turquie. Le navire a emprunté un corridor provisoire que l’Ukraine a demandé à l’Organisation maritime internationale (OMI) de ratifier, précise The Guardian. C’est donc un départ très officiel, et surtout très visible à l’échelle internationale.
« Quasi-piraterie »
La Russie a-t-elle donné son accord tacite au passage de ce navire ? Ça serait paradoxal après la surenchère de ce lundi. Tout le monde attend donc sa réaction. Mais arraisonner aux yeux du monde un navire chargé de nourriture destinée, entre autres, aux pays africains auprès desquels Moscou multiplie les opérations de charme ne serait certainement pas une bonne manœuvre.
Reste que les tensions ont rarement été aussi tangibles, en mer Noire. Jusqu’à présent, les flux commerciaux se sont maintenus malgré la guerre, avec seulement une augmentation moyenne des prix des assurances. Mais selon l’ancien amiral américain James Stavridis, qui a commandé les forces de l’OTAN en Europe de 2009 à 2013, la « quasi-piraterie » du Kremlin est un nouveau défi jeté à l’OTAN, estime-t-il lors d’un entretien auprès de Politico.
« Les actions de la Russie dans les eaux internationales de la mer Noire créent un risque réel d’escalade de la situation en une guerre maritime entre l’OTAN et la Fédération de Russie. L’Alliance ne va pas fournir toutes les armes et l’argent pour l’Ukraine, simplement pour regarder la Russie étrangler leur économie avec un blocus illégal. »
James Stavridis
Vers un bras de fer naval ?
On en revient à la question d’un déploiement des flottes de l’OTAN en mer Noire pour protéger les cargos. Un geste potentiellement dangereux, certes, mais qui mettrait Moscou devant le choix de soit reculer, soit risquer de commettre l’irréparable face à un navire de guerre qui aura tout le poids de l’Alliance derrière lui. Jusqu’ici, personne n’a osé concrétiser ce coup sur l’échiquier. Mais Stavridis – qui n’est plus en service, rappelons-le – y voit toujours une réponse logique à la situation.
- La tension monte d’ailleurs pour les pays riverains de la mer Noire comme la Turquie, mais aussi la Roumanie qui condamne des bombardements sur les ports ukrainiens qui tombent aux limites de son territoire, ou encore la Bulgarie, qui s’inquiète des mines dérivantes dans ses propres eaux.
- Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a averti la Russie du risque d’escalade dans la région, évoquant au passage un renforcement de « La surveillance et la reconnaissance dans la région de la mer Noire, y compris avec des avions de patrouille maritime et des drones. »
« Si la Russie commence à saisir des navires ou cherche à les effrayer, je pense qu’il est probable que l’OTAN réagira en soutenant un couloir humanitaire pour la navigation. L’alliance pourrait protéger les navires se rendant vers et depuis le port ukrainien d’Odessa avec des avions de combat de l’OTAN en survol et possiblement des navires de guerre de l’OTAN en escorte. »
James Stavridis