Russie – Ukraine : 5 dénouement encore possibles au conflit après 2 semaines de combats meurtriers

Peu de gens estimaient avant le 24 février dernier qu’une invasion de grande ampleur de l’Ukraine par la Russie allait effectivement se produire ; et personne n’imaginait que cette guerre allait tourner de cette manière. Après presque 2 semaine de combat, les progrès russes demeurent très limités malgré la disproportion des forces, les Ukrainiens continuent de se battre, repliés sur les grandes villes et causant de lourdes pertes à une armée qu’on imaginait invincible.

Difficile de se faire une idée précise de la situation en Ukraine, les endroits les plus médiatisés du pays n’étant pas toujours ceux où l’ont se bat le plus durement. Mais ce qui est certain, c’est que la majorité des centres de population résiste encore à l’armée russe, que les pertes déjà lourdes continuent de s’accumuler pour celle-ci (mais aussi pour les Ukrainiens, qui communiquent peu sur leurs propres effectifs), et que le moral russe semble bas alors que la motivation des défenseurs reste solide. De toute évidence, le conflit s’enlise et use les soldats comme le matériel alors que le Kremlin misait sur une guerre-éclair, voire une démonstration de force sans grande résistance.

Dans ce contexte, bien malin qui pourra prédire comment s’achèvera cette guerre. Mais nombreux sont les experts qui s’y essaient, et CNBC a listé 5 dénouements possibles :

1. Une Ukraine coupée en deux ?

C’était sans doute le but de guerre de Vladimir Poutine au déclenchement de l’opération : prendre Kiev au plus vite pour démettre le gouvernement de Zelensky et en instituer un nouveau à sa botte, faisant de l’Ukraine un pays docile et un État-tampon avec l’ouest, sur le modèle de la Biélorussie. Mais la résistance ukrainienne a rendu ce plan caduc. Reste que le rapport des forces rend toujours crédible une chute de la capitale. Le scénario de base du cabinet de conseil en risques politiques Eurasia Group pour les trois prochains mois prévoit que la Russie obtienne « un contrôle inégal de l’Ukraine orientale, jusqu’au fleuve Dniepr », qu’elle s’empare de la capitale Kiev après un siège prolongé et qu’un « gouvernement fantoche soutenu par la Russie » soit mis en place. Ce qui ne signifierait très probablement pas la fin des combats.

Dans un tel scénario, l’Eurasia Group a prédit que l’OTAN, qui a jusqu’à présent refusé d’intervenir militairement dans le conflit, fournirait « une assistance militaire importante à l’État ukrainien occidental et du matériel [matériaux et équipements militaires] pour soutenir l’insurrection en Ukraine orientale. » Mais ils ajoutent que cela pourrait entraîner un risque d’affrontements aériens entre les avions russes et ceux de l’OTAN.

2. La conquête totale et la purge de l’Ukraine

Taras Kuzio, un expert des affaires politiques, économiques et de sécurité ukrainiennes et chargé de recherche à la Henry Jackson Society, a écrit jeudi dans un article pour Atlantic Council que Moscou viserait « la conquête militaire complète de l’Ukraine, suivie d’une purge massive de la population civile »: « L’objectif apparent de Poutine est d’éradiquer tous les vestiges de l’identité ukrainienne tout en condamnant le pays à un avenir sinistre de dictature militaire fermement enfermée dans un nouvel Empire russe. Cette vision cauchemardesque correspond étroitement aux objectifs déclarés par Poutine lui-même pour la campagne militaire actuelle, ainsi qu’à sa longue liste de mépris public et d’animosité envers l’État ukrainien. »

Un objectif qui interdirait donc toute négociation avec un gouvernement ukrainien indépendant, et où le pays entier serait promis à une stricte occupation, peut-être dans le cadre d’une « république » reconnue seulement du Kremlin. Un scénario cauchemardesque qui sous-entendrait l’élimination physique d’une large part de la population (militaires, politiciens locaux, fonctionnaires civils,…) susceptibles de résister.

3. L’insurrection générale

A supposer que ne se dessine un des scenarii précédemment évoqués, on peut estimer probable que la population ukrainienne ne se laisse pas faire. Celle-ci s’est largement ressoudée autour de son drapeau, de son identité, et de son président depuis l’agression de 2014-2015. Et l’invasion actuelle a renforcé ce sentiment, y compris d’ailleurs dans des régions russophones comme à Kharkiv. D’autant que la population civile a partiellement pris les armes pour soutenir son gouvernement ; elle ne les rendra pas, et en plus elle maitrise les codes de la communication digitale rappelle Tim Ash, analyste des marchés émergents chez BlueBay Asset Management. « Ce n’est pas 1945, 1956 ou 1968 où les troupes soviétiques et le NKVD ont matraqué les civils pour les soumettre, mais 2022. Les Ukrainiens résisteront longtemps et durement même si les batailles militaires prennent officiellement fin. Et les informations 24/7 et l’internet exposeront la brutalité de Poutine aux yeux de tous ».

4. La guerre (froide ?)

Le scénario d’un conflit ouvert est-ouest reste celui que tout le monde veut éviter, sans doute à tout prix, mais il n’en demeure pas moins possible car il suffirait d’une erreur dans un état-major ou dans un cockpit pour que se déclenche une confrontation directe entre la Russie et l’OTAN. Mais jusqu’à présent, l’alliance militaire occidentale a refusé à plusieurs reprises d’intervenir directement, tandis que Moscou a averti que tout pays qui « s’ingère » dans son « opération militaire spéciale » en Ukraine devra faire face à des conséquences indicibles. Bref, un scénario qui, sauf escalade incontrôlée et donc vrai conflit mondial, réinstituerait un nouveau « rideau de fer » créant deux blocs géopolitiques opposés : l’UE (et les pays de l’OTAN) d’un côté, et l’Ukraine et d’autres pays dans l’orbite politique de la Russie de l’autre.

5. Le retrait des Russes après une victoire ukrainienne

Si la résistance des Ukrainiens continue à se maintenir, et certains analystes pensent que Kiev pourrait tenir des semaines, voire des mois, alors la machine de guerre russe pourrait s’essouffler et relâcher la pression. Dans ce scénario très hypothétique, Poutine ne parviendrait pas à renverser le gouvernement de Kiev et à établir un régime fantoche, tandis que « la détermination et l’habileté de la résistance ukrainienne forcent une impasse sur le champ de bataille qui favorise les défenseurs », ont noté les stratèges Barry Pavel, Peter Engelke et Jeffrey Cimmino de l’Atlantic Council.

Il faudrait alors que le Kremlin se rende compte que la Russie « paiera un prix exorbitant » pour son invasion de l’Ukraine et, face à la perspective d’un long et coûteux enlisement, associé à un effondrement économique et à un isolement diplomatique, Poutine ordonnerait le retrait de ses troupes. L’Ukraine resterait une démocratie, mais le coût humain et matériel serait faramineux pour le pays, tandis que la défiance envers le voisin russe s’installerait durablement.

Toutefois, même cette issue, où l’Ukraine reste une démocratie souveraine et où l’OTAN voit une amélioration de la situation à ses frontières, pourrait être « lourde de dangers », ont averti les analystes : « La guerre a fait des milliers de morts des deux côtés, laissant dans son sillage une amertume généralisée. Et bien que l’Ukraine démocratique en sorte intacte, sinon indemne, son voisin, toujours dangereux, est confronté à un avenir incertain, le paysage politique russe étant à un point de basculement. La façon dont la Russie se comportera avec le reste du monde dépendra en grande partie du fait que le pays se dirige vers un autoritarisme accru sous la direction de Poutine ou qu’il s’en éloigne complètement. »

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