Que faire des milliards supplémentaires consacrés à la défense ?

Cette semaine (24-25 juin) se tient à La Haye un sommet de l’OTAN au cours duquel il sera notamment décidé du budget que les membres de l’OTAN devront consacrer à la défense dans les années à venir. Aujourd’hui, ce budget s’élève à 2 pour cent du PIB par an, mais il sera revu à la hausse. Il semble que l’objectif soit de passer à 5 pour cent du PIB, dont 3,5 pour cent pour les dépenses militaires et 1,5 pour cent pour d’autres dépenses contribuant également à la sécurité. Les pourcentages exacts, les dépenses pouvant être comptabilisées dans telle ou telle catégorie et le calendrier pour atteindre le nouvel objectif doivent encore être décidés la semaine prochaine. Mais il est d’ores et déjà évident que ce sommet aura des conséquences importantes pour la Belgique.

À la recherche de plusieurs milliards

Malgré l’engagement de 2 pour cent (pris en 2014), les dépenses de défense belges représentaient à peine 1,3 pour cent du PIB l’année dernière, soit l’un des plus faibles parmi les pays de l’OTAN. Pour cette année, le gouvernement veut passer à 2 pour cent grâce à un financement essentiellement ponctuel. Mais après cela, il devra tracer une voie vers 3,5 pour cent. Les 1,5 pour cent restants concernent plutôt toutes sortes de dépenses qui ne sont pas immédiatement liées à la défense, mais que nous devons de toute façon effectuer pour la plupart (investissements supplémentaires dans les infrastructures de transport et dans la cybersécurité). Et cela impliquera sans aucun doute un certain nombre de jongleries comptables pour que certaines dépenses existantes soient prises en compte dans ces 1,5 pour cent.

L’objectif réel pour la défense semble donc être de 3,5 pour cent du PIB. Pour cela, nous devons trouver un financement structurel (après tout, il s’agit de dépenses récurrentes). Pour la Belgique, cela représente environ 14 milliards d’euros supplémentaires (en euros d’aujourd’hui) par an. Le 1,5 pour cent supplémentaire représente environ 10 milliards de plus, mais comme mentionné ci-dessus, on ne sait toujours pas dans quelle mesure il s’agira réellement de ressources supplémentaires. Il y aura une période de transition pour cela, mais il faudra bien finir par y arriver. Ces derniers jours, de nombreuses déclarations fermes ont été faites pour dire que c’était absurde et stupide, mais la question est de savoir dans quelle mesure la Belgique a encore son mot à dire. Au sein de l’OTAN, il existe déjà un large consensus sur l’augmentation de l’objectif de dépenses. Il est peu probable que la Belgique puisse faire grand-chose pour changer cela (si notre gouvernement le souhaite). Et pour ce qui est d’ignorer en douceur cet objectif, la « stratégie » belge des dix dernières années, il y aura probablement beaucoup moins de tolérance dans le contexte actuel que dans le passé.

Que faire de ces milliards ?

Bien plus que le pourcentage exact (sur lequel nous ne pouvons probablement pas grand-chose), c’est la manière dont nous allons utiliser les fonds supplémentaires qui est importante. Dépenser de l’argent aussi rapidement que possible pour atteindre le pourcentage prédéterminé n’est pas une bonne idée. Si nous devons utiliser ces ressources supplémentaires dans le cadre de l’objectif de l’OTAN, il est préférable de le faire le plus efficacement possible, tant en termes de sécurité que de rentabilité économique. Ce dernier aspect, en particulier, est largement ignoré pour l’instant. Or, les dépenses publiques ont un impact sur l’économie, tout comme les dépenses de défense. Il est donc préférable d’essayer d’optimiser cet impact.

C’est là que les 1,5 pour cent supplémentaires du PIB peuvent jouer un rôle important. Cette somme sera principalement consacrée à des investissements publics supplémentaires dans les infrastructures et la numérisation. Ce type de dépenses a généralement un effet de levier important sur l’économie privée. Et tous les gouvernements belges confondus ont sous-investi pendant des décennies (au cours des 25 dernières années, la Belgique a enregistré l’investissement public le plus faible d’Europe). Nous pourrions utiliser le nouvel objectif de l’OTAN pour enfin augmenter les investissements publics à des niveaux plus acceptables. Cela aurait un impact positif significatif sur notre économie. Selon une simulation de la Banque nationale, une augmentation des investissements publics de 1 pour cent du PIB génère environ 10 milliards d’activité économique supplémentaire après 10 ans.

Retour économique ?

Les dépenses militaires offrent également des possibilités de générer un rendement économique important. L’effet de levier potentiel le plus important se situe au niveau des dépenses en R&D. Des pays comme les États-Unis (avec l’Agence pour les projets de recherche avancée de défense, ou DARPA) et Israël ont montré depuis longtemps que les dépenses militaires de R&D peuvent également avoir un impact très positif sur le reste de l’économie. Après tout, bon nombre des applications militaires peuvent également être transposées en applications civiles. Par exemple, la DARPA a joué un rôle déterminant dans le développement de la technologie des satellites météorologiques, du GPS, des drones, des interfaces vocales… La Belgique est déjà l’un des principaux pays d’Europe en termes de R&D ; en mettant davantage l’accent sur la R&D dans le domaine de la défense, nous pouvons encore renforcer cette position.

Nous devons également travailler sur notre propre capacité de production qui peut également fournir la défense. Selon l’objectif de l’OTAN, 20 pour cent du budget de la défense doivent être consacrés à l’équipement à grande échelle. Cela restera probablement une limite minimale lors de l’augmentation du budget. Et après des années de sous-investissement, un rattrapage dans ce domaine est également probable. Dans un tel scénario, quelque 4,5 milliards devraient être consacrés annuellement à l’équipement. D’un point de vue économique, il est évidemment important qu’une partie de cette somme soit déployée localement.

Une réalité douloureuse

La douloureuse réalité est que la Belgique a négligé la défense pendant des années et que l’évolution des circonstances ne permet plus de maintenir cette situation. Cela signifie également qu’il faut inverser la tendance à la baisse du budget de la défense, qui est passé de 3,4 pour cent du PIB au début des années 1980 à 0,9 pour cent en 2019. Ce sera une tâche difficile sur le plan budgétaire (tout comme n’importe quel effort budgétaire en Belgique est une tâche difficile).

D’autre part (pour garder une certaine perspective), le nouvel objectif de l’OTAN signifie que les dépenses de défense devront être réduites de 2,4 pour cent des dépenses publiques belges totales à 6,4 pour cent d’ici 2024. Peut-être n’avons-nous déjà plus trop le choix. Ce que nous ferons des ressources supplémentaires pour la défense sera bien plus important que les pourcentages exacts. Nous ferions mieux aujourd’hui de nous concentrer sur une stratégie visant à utiliser ce budget de défense supplémentaire de la manière la plus efficace possible, tout en assurant le meilleur rendement possible pour notre économie.

Bart Van Craeynest
Économiste en chef chez Voka et auteur de « België kan beter »

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