Quand le débat sur la sortie du nucléaire en Belgique suscite la stupéfaction chez nos voisins

Alors qu’on se dirige certainement vers une sortie du nucléaire en Belgique, les arguments écologistes surprennent au-delà de nos frontières. Une séquence du co-président d’Ecolo sur LN24 fait le buzz sur la toile.

L’argument de Jean-Marc Nollet est le suivant: la création de deux centrales au gaz qui doit compenser la sortie du nucléaire ne produira pas davantage de CO2. Pourquoi ? Car le calcul des émissions de CO2 du secteur de l’énergie se fait à l’échelle européenne. Construire des centrales à gaz dernier cri n’est pas problématique si dans le même temps, la Pologne, par exemple, se décide à sortir du charbon. Les producteurs d’énergie moins efficaces seraient poussés vers la sortie par le mécanisme ETS (nous y reviendrons). La Belgique ne doit donc pas faire d’effort ? « Si bien sûr, mais dans les secteurs qui ne sont pas comptabilisés au niveau européen ».

Cette séquence d’hier de Jean-Marc Nollet sur LN24 a passé nos frontières pour être massivement repartagée sur les réseaux sociaux. La vidéo dépasse les 350.000 vues et suscite l’indignation des pro-nucléaires, qui profitent de l’occasion pour démonter l’analyse des écologistes.

Cet argument quelque peu tiré par les cheveux est le même que celui développé par la ministre fédérale de l’Énergie, Tinne Van Der Straeten (Groen). Une autre séquence issue de l’émission Villa Politica sur la VRT, où elle déclare que la construction de nouvelles centrales au gaz ne provoquera pas de hausse de CO2, a aussi été épinglée sur les réseaux sociaux.

La ministre est au centre de nombreuses critiques. D’abord de la part des présidents de parti qui défendent la prolongation du nucléaire en Belgique, Bart De Wever (N-VA) et Georges-Louis Bouchez (MR). Le premier accuse la ministre fédérale d’avoir soudoyé Engie, qui a obtenu l’exploitation des deux nouvelles centrales au gaz en plus de subsides importants. Le patron d’Engie-Electrabel défend désormais la sortie inéluctable du nucléaire et sous-entend qu’il n’y a plus de retour en arrière possible. Ce qui n’est pas l’avis de 80 employés et ingénieurs de la même entreprise qui ont contrecarré l’argument de Thierry Saegeman ce lundi.

L’autre critique répercutée en France, notamment par le compte Twitter très suivi de la journaliste Emmanuelle Ducros (L’Opinion), concerne les potentiels conflits d’intérêts de la ministre Van Der Straeten épinglés dans un article de LPost qui date d’août dernier. Ce sont ses activités au sein du cabinet d’avocats Blixt entre 2012 et 2019 qui sont pointées du doigt. Un cabinet qui a par le passé défendu des acteurs du secteur énergétique comme Wingas/Gazprom.

La ministre balaie « des critiques sans fondement », ses activités passées n’ayant aucune influence sur sa politique actuelle, défend-elle. Quant aux insinuations de Bart De Wever, la ministre regrette « une déclaration d’un goût douteux et dans laquelle l’éthique fait cruellement défaut. Bart De Wever a de nouveau atteint un point très bas de la rhétorique ».

La nomination comme ministre de Van Der Straeten qui n’est pas issue du monde politique était justement un argument de la Vivaldi: elle avait été choisie pour ses compétences techniques. La distinction entre « avocate de » et « employée de » doit aussi être faite, mais la question du conflit d’intérêts ne suscite que peu de curiosité médiatique et politique.

Le débat de fond: l’ETS

Le débat de fond se situe sur le Système communautaire d’échange de quotas d’émission (ETS). Il s’agit d’un mécanisme qui met en jeu des droits d’émettre des émissions de CO2. Cela permet aux entreprises (6.000 en tout) et au secteur de l’énergie de racheter des quotas de CO2 sur un énorme marché. Créé en 2005, le mécanisme permet à l’UE de se fixer un objectif d’émission qui ne peut être dépassé au niveau global et qui décroit chaque année. Ce qui laisse la latitude aux différents acteurs d’acheter des quotas entre eux au sein de ce marché.

Une nouvelle centrale au gaz, c’est un acteur de plus sur le marché pour des quotas limités et en diminution. Par une simple loi de l’offre et de la demande, les prix du CO2 augmentent, surtout pour les acteurs les plus polluants (ceux qui doivent acheter plus de quotas). Ainsi les centrales au gaz modernes poussent des centrales au charbon vers la sortie, tel est l’argument des écologistes.

Le souci, comme l’explique Maxence Cordiez, ingénieur dans le secteur de l’énergie, c’est quand on dépasse le simple cadre de l’UE. Un certain nombre de pays ne sont pas soumis à l’ETS. Avec la hausse du prix du CO2 en cours (140% depuis le début de l’année), certaines industries européennes deviendront non-compétitives par rapport à des industries hors UE. Ce qui veut dire que la compensation des émissions au sein de l’UE sera mise à mal par une délocalisation de ces émissions en dehors des frontières européennes.

Bras de fer européen

Avec cette « fuite de carbone », une hausse des émissions en Belgique ne sera donc in fine pas toujours compensée par d’autres acteurs au niveau européen. Il s’agit d’un large débat. Bruxelles tente actuellement de renforcer le marché du carbone et de l’étendre le plus largement possible.

Enfin, une lutte intra-europénne se joue actuellement pour qualifier l’énergie nucléaire de « verte ». Là aussi, d’énormes quantités d’argent sont en jeu. La France plaide en faveur de l’atôme avec plusieurs pays d’Europe de l’Est et s’oppose dans ce dossier à l’Allemagne qui a entériné sa sortie du nucléaire. Si la Belgique acte également sa sortie, nul doute qu’elle rejoindra ce club formé de nos voisins allemands, de l’Autriche, du Luxembourg, du Danemark et du Portugal.

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