Jeux d’espions à très haute altitude : le Pentagone cherche à capturer les ballons chinois en vol plutôt que de les détruire, et ça n’est pas si simple

Les ballons qui ont survolé les États-Unis à haute altitude ont défrayé la chronique, cette année. Ces aérostats bardés de capteurs sont considérés par le Pentagone comme des engins-espions chinois, même si Pékin a toujours nié. Il est vrai que la surprise était grande de découvrir que ce moyen d’espionnage d’une autre époque était toujours en usage. Et qu’il n’était pas aussi simple à contrer qu’on l’imaginerait de prime abord.

baudruche chinoise et missile fort cher

Dans l’actualité : cette semaine, la DARPA, agence du département de la Défense des États-Unis chargée de la recherche et développement des nouvelles technologies, a présenté son programme Capture, pour Capturing Aerial Payloads to Unleash Reliable Exploitation. En clair : elle cherche une idée pour comment attraper des ballons.

  • Un projet évidemment indissociable de la problématique des mystérieux objets qui ont survolé les USA à très haute altitude au début de l’année. Quatre de ces ballons ont été abattus par l’armée américaine, et des débris ont pu être recueillis.
  • Trois d’entre eux pourraient provenir d’activités commerciales, mais le tout premier au moins était bien un engin d’observation, selon des analyses évoquées par des sources au sein de l’administration américaine. Celui-ci ne prenait pas de photos, mais pouvait intercepter les signaux électroniques émis par certains systèmes d’arme, ou par le personnel de bases militaires qui ont effectivement été survolées.
  • Or abattre ces ballons n’était pas aussi simple qu’on aurait pu l’imaginer : ils évoluaient à plus de 20 km d’altitude, dans les premières couches de la stratosphère. Une zone qui n’est pas habituellement scannée par les radars – encore qu’on suppose que les habitudes ont changé.
  • C’est aussi un peu au-dessus du plafond de beaucoup d’avions de chasse : il a fallu mobiliser un F-22 Raptor ultramoderne pour abattre le premier ballon, et il a utilisé un très couteux missile AIM-9X Sidewinder pour l’atteindre.

Dans ce contexte, capturer un ballon serait non seulement plus intéressant pour le contre-espionnage, mais finalement aussi moins cher, estime la DARPA. D’où l’idée de se concentrer « sur la capacité à abattre des systèmes de haute altitude à un moment et un endroit de notre choix pour minimiser les dommages collatéraux, maximiser l’utilité de la charge récupérée et minimiser le coût de l’intervention » a résumé Kyle Woerner, le directeur de programme de l’agence fédérale.

Concrètement, on fait comment ?

  • La DARPA va procéder à un appel d’offres auprès de contractants civils, avec un budget estimé jusqu’à 4 millions de dollars, soit très peu pour un programme qui concerne la Défense. Rappelons que les missiles AIM-9X Sidewinder, des engins guidés par infrarouge d’une portée de 18 km, coûtent 260.000 dollars à l’unité ; à la longue, ça fait cher pour crever des ballons. Les entreprises intéressées ont jusqu’au 21 septembre pour soumettre leur idée.
  • Mais c’est un fameux challenge : il faut mettre au point un système de récupération adaptable sur les avions capables d’atteindre une telle altitude, et le F-22 et le Lockheed U-2S sont les seuls candidats sérieux – et encore, car c’est fort proche de leurs limites respectives de 19.800 et 21.300 mètres.
  • D’autant qu’il faudra pouvoir se porter sur n’importe quel point d’alerte dans les cieux américains en quelques heures, de l’Alaska à Porto Rico en passant par l’île de Guam.
  • D’autant plus que le système Capture vise à s’emparer d’un objet potentiellement « non coopératif » et ce, « d’une manière permettant une descente contrôlée pour récupération près des zones habitées ou au contraire temporairement isolées. » En clair : on ne peut perdre de vue que les Chinois pourraient piéger leur ballon.
  • La DARPA a pour l’instant fixé le poids maximal de la cible à capturer à 750 kilos, ce qui pourrait s’avérer trop peu, mais permettra au moins de tester un prototype.
  • Attraper un objet en vol, ça se fait : c’est ainsi qu’on récupérait autrefois les bobines de films photographiques de satellites en orbite, avec des C-130 modifiés, rappelle Aviation Week. Mais la cible était totalement passive, voire coopérative et capable de se diriger d’elle-même vers l’avion. Face à une cible hostile et qui recèle peut-être des pièges, les experts sont plutôt dubitatifs.

La piste du harpon

« Je ne vois pas des avions de reconnaissance de haute altitude, avec toutes les complexités de vol à une telle hauteur, être capables d’accomplir la tâche. Je suppose qu’il faut d’abord faire descendre le ballon de manière non catastrophique à une altitude plus basse sur laquelle on peut utiliser des avions conventionnels pour attraper les restes ou le sac dégonflé. Une autre approche pourrait être une sorte de ‘harpon’ ou un dispositif similaire qui pourrait faire éclater le ballon et en même temps accrocher le sac à un grand parachute pour ralentir la descente. »

Luis Pacheco, rédacteur en chef de StratoCat, site spécialisé dans les ballons stratosphériques