Magnette vs. De Croo : les deux architectes de la coalition paralysent la Vivaldi, le PS n’admet pas « pourquoi soudainement moins de personnes vont avoir accès à la pension minimum »

Le gouvernement Vivaldi est engagé dans une série de réunions marathons. Après sept réunions infructueuses, deux nouvelles sessions ont eu lieu ce samedi et dimanche. Aucun début d’accord n’a pu être conclu. Au contraire, dimanche soir, le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) a tenté de forcer une proposition de consensus, mais le PS n’y a vu qu’une « insulte » : « Les principes fondamentaux de la réforme, qui consistent à donner à davantage de personnes des droits à la retraite, et plus particulièrement aux femmes, ne sont pas respectés. » La date limite du 21 juillet imposée par De Croo est une pression inutile, selon le Boulevard de l’Empereur. « La réforme fiscale, le budget, le marché de l’emploi, tout cela est pour l’automne, et maintenant, nous sommes censés nous dépêcher pour les pensions ? » Ailleurs dans la coalition, on se montre amer : « L’attitude du PS défie toute imagination. À la table du gouvernement, les ministres socialistes n’ont tout simplement pas de mandat pour négocier », déclare un vice-premier ministre. « Magnette n’accorde aucune ambition à la Vivaldi », entend-on chez les Verts.

Dans l’actualité : Cet après-midi, une autre réunion du kern sur les retraites. Ce sera déjà la session numéro 10.

Les détails : Les chances que les choses s’arrangent ne sont pas grandes : le PS ne va tout simplement pas se plier à la pression de la montre, exercée par le Premier ministre. Et le MR, pour sa part, veille attentivement à ce que Magnette n’obtienne pas la moindre victoire. Un cocktail dangereux.

  • « Ce dossier prend vraiment tout le gouvernement en otage, car De Croo ne veut aborder aucun autre sujet tant que celui-ci n’est pas réglé », a déclaré un vice-premier ministre de la coalition Vivaldi. Le Premier ministre, ses sept vice-premiers ministres et la ministre des Pensions Karine Lalieux (PS) ont vécu une improbable session de négociations ce week-end.
  • Samedi, ils sont restés assis ensemble pendant environ 15 heures, dimanche durant 16 heures. À chaque fois, ils ont commencé frais et dispo à 9 heures du matin. Mais par deux fois durant la nuit, ils ont dû conclure qu’il n’y avait rien. La nuit dernière, vers 1h30 du matin, ils se sont séparés, toujours sans accord. Ces journées sont longues, aussi parce que le Premier ministre a beaucoup de contacts bilatéraux, pour vérifier les choses. Mais tant le samedi que le dimanche se sont soldés par un échec collectif.
  • Le fait qu’il y aurait soudainement eu des « progrès » ce dimanche, avec un accord en vue, a ensuite été rejeté par un parti impliqué. C’était « un commentaire un peu trop optimiste », une « méthode classique pour augmenter un peu la pression ». Car « à aucun moment, le PS n’a semblé avoir l’intention de lâcher », affirme un initié, qui ne voit pas non plus d’un bon œil la situation actuelle.
  • Le PS est pointé du doigt, pas seulement par le MR et le CD&V, qui sont les plus grands opposants à la table. Les autres partenaires de la coalition parlent, eux aussi, « d’une attitude qui défie toute imagination ». « Cela ressemble beaucoup à ‘ne pas vouloir’ au lieu de ‘ne pas pouvoir’. Mais eux-mêmes continuent à le nier catégoriquement, à la table des négociations », entend-on dire, au sujet des membres du PS, Pierre-Yves Dermagne, vice-Premier ministre, et Karine Lalieux, ministre des Pensions.
  • Le reproche selon lequel « le duo socialiste à la table n’a pas de mandat pour négocier » est féroce, dit une personne impliquée. « C’est difficile quand on a l’impression de négocier en fait avec la personne qui n’est pas à la table, mais qui tire les ficelles au Boulevard de l’Empereur », explique un vice-Premier ministre. « Et c’est le cas avec Dermagne, depuis bien plus longtemps. »
  • Samedi soir, après une journée entière de négociations, rien n’était vraiment sur la table. Via des canaux bilatéraux, le Premier ministre avait tenté de parvenir à un texte de compromis avec le PS. L’attitude du MR était frappante. « On sent que Georges-Louis Bouchez (MR) joue aussi le jeu en coulisses via son vice-premier ministre, David Clarinval (MR), qui exécute fidèlement comme un chien ce que son président lui demande. Et Bouchez ne souhaite rien de bon à Magnette, c’est clair », a souligné un autre vice-premier ministre.
  • Dimanche, Lalieux est revenu à la charge avec une nouvelle proposition, qui se limitait au bonus de pension, à des mesures en faveur des femmes (qui interrompent plus souvent leur carrière, et qui devraient être au centre de la réforme) et, bien sûr, à l’accès à la pension minimum. Mais cette proposition a été presque immédiatement rejetée, et le Premier ministre De Croo a lui-même fait une ultime contre-proposition. « Ce n’était même pas le début d’un compromis, c’était plutôt juste une insulte. Oui, ce n’est pas une façon de faire », selon une source haut placée au sein du PS. Retour à la case départ, donc : pas d’accord.

Ce qu’en pense le PS : peu de sympathie pour la méthode De Croo.

  • Le PS n’a pas une haute opinion, au sommet du parti, de la manière dont s’est déroulée toute cette séquence de la Vivaldi. « Nous le disons depuis des semaines : il est très ennuyeux que tout d’un coup, tout cela doive se faire sous une énorme pression, au niveau du timing. La réforme de Karine est prête depuis des mois. Cela fait six mois que nous demandons à pouvoir en discuter, c’est une question complexe. Ça n’a pas été mis à l’ordre du jour, ok, il y avait d’autres priorités. Mais les pensions doivent-elles soudainement être restreintes maintenant, parce que le Premier ministre nous a imposé un fameux délai ?
  • La même critique peut être entendue ailleurs : « Nous aurions pu passer beaucoup plus de temps de manière utile, si cela avait été fait plus rapidement. Et sous la pression, il y a aussi la crainte que le Premier ministre veuille de toute façon conclure un accord, qui n’est pas nécessairement un bon accord pour l’accessibilité financière des pensions à long terme », a également noté un membre de la Vivaldi du côté flamand.
  • Pour les dirigeants du PS, c’est clair : « L’échéance est secondaire, le contenu de l’accord prime« . Et ce contenu tourne autour des principes mêmes de la réforme des retraites, sur laquelle le PS a déjà obtenu un accord dans l’accord de coalition. La pension minimum a déjà été augmentée, mais bien sûr, la question de savoir qui y aura désormais accès est cruciale pour les socialistes francophones. « Quand il s’agit des détails, et des critères pour obtenir une telle pension minimum, et que vous les rendez si stricts que moins de personnes auront accès au système qu’aujourd’hui, faut-il s’étonner que nous disions « non » ? ».
  • Ajoutez à cela le fait que Lalieux souhaite aussi une réforme qui étende les droits des femmes : celles-ci sont susceptibles d’avoir une pension plus basse parce qu’elles ont travaillé moins longtemps. De plus : le PS souhaite une période de transition aussi « douce que possible » : « Nous n’allons pas permettre que des milliers de personnes voient soudainement leurs droits à la retraite s’évaporer. »
  • La discussion porte donc toujours sur la même question : à partir de quand les gens auront-ils accès à ce filet de 1.500 euros ? Dans les simulations que le PS a effectuées sur base des propositions de la coalition, il est toujours ressorti que moins de personnes auraient accès à cette pension minimum. « Inacceptable », c’est la ligne qui est tracée au Boulevard de l’Empereur. « Il ne s’agit pas d’une discussion sur le budget, où l’on essaye d’économiser de l’argent, il s’agit des retraites des gens. »
  • « La réforme fiscale, le budget, le marché du travail, tout cela se passe à l’automne, et maintenant, nous sommes censés plier rapidement ? Cela n’arrivera pas. Et la pression du timing n’est pas une excuse : ce sont des choses techniques, il faut pouvoir les calculer correctement », tel est le ton au sommet du PS. Il est donc extrêmement difficile de parvenir à un accord.

L’essentiel : De Croo et Magnette étaient autrefois le moteur de la Vivaldi, mais la mécanique s’est enrayée depuis longtemps.

  • L’attitude du PS entraîne un manque de compréhension au sein de la coalition. « Une étrange stratégie », entend-on également chez les socialistes flamands. Car à la table, c’est Frank Vandenbroucke (Vooruit) qui a les discussions les plus intéressantes, sur le fond, avec ses collègues du PS. « C’est vrai, nous différons sur quelques points, mais sur les grands principes, Vooruit est d’accord avec nous », apaise le PS.
  • Les Verts ont plus d’incompréhension : « Nous sommes les plus proches d’eux en termes de contenu. Mais ce que fait Magnette est difficile à comprendre. Il n’accorde aucune ambition à la Vivaldi. Soit le PS veut montrer à la gauche à quel point il s’est battu, pour finalement se mettre d’accord juste avant le 21 juillet », suggère-t-on.
  • Quoi qu’il en soit, il est un fait que le président du PS a déclaré pendant des mois, lors de la formation du gouvernement, que la Vivaldi était sa « coalition de rêve », et qu’avec le futur Premier ministre, Alexander De Croo, il a façonné l’accord de coalition, pour ensuite garder une main de fer sur le gouvernement depuis l’extérieur.
  • Il y a quelques semaines, le Premier ministre a annoncé un grand « accord d’été » pour revitaliser son équipe fédérale et montrer que la Vivaldi fonctionne toujours.
  • Entre-temps, cette ambition a déjà été diluée pour se transformer en un « agenda d’été », un ajustement sémantique, après que de nombreux grands dossiers ont été à nouveau reportés à l’automne, à l’examen du budget. En termes socio-économiques, presque rien ne semble avoir été préparé, alors que les indicateurs du budget et des perspectives économiques sont en fait tous dans le rouge.
  • Aujourd’hui, les pensions sont le seul dossier symbolique restant, ce qui donne lieu à un processus tortueux très visible publiquement : les réunions marathon sans résultat se succèdent. Et il semble que le PS ne remettra pas non plus ce trophée au Premier ministre, ou seulement aux conditions imposées presque unilatéralement par le Boulevard des Empereurs.
  • Ce n’est pas illogique, mais plutôt de la pure politique de pouvoir : le PS est simplement le parti fort, c’est leur dossier, et le levier majeur de la négociation, l’augmentation de la pension minimum, a été cédé depuis longtemps. En ce sens, De Croo est all in : tout ou rien. Le Premier ministre a mis tous ses jetons sur la table: il doit y avoir un accord dans les trois jours. Sinon, la Vivaldi et le Seize aborderont l’été complètement affaiblis.
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