Depuis quelques mois, l’idée suit son cours. La Commission planche sur un premier document de stratégie commune. Mais l’idée est loin de faire l’unanimité : pour l’OTAN, ce n’est que prendre le risque d’affaiblir l’alliance. Et pour certains pays de l’UE, il vaut mieux garder un système qui fonctionne plutôt que d’en improviser un autre sur un coup de tête.
Quelle place pour l’Union européenne dans l’équilibre géostratégique mondial ? C’est la question très ambitieuse et très ouverte à laquelle ont tenté de répondre les représentants des différents pays de l’UE ce mardi soir, avec, il faut bien le dire, peu d’avancées concrètes. Le président du Conseil de l’Europe, Charles Michel, semblait pourtant sortir confiant de la réunion: « l’UE est déterminée à travailler avec ses alliés et ses partenaires partageant les mêmes idées, en particulier avec les États-Unis et au sein de l’OTAN, qui est la pierre angulaire de notre sécurité. Tirant les leçons des crises récentes, nous sommes déterminés à consolider nos atouts et à renforcer notre résilience en réduisant nos dépendances critiques. Pour devenir plus efficace et s’affirmer sur la scène internationale, l’UE doit accroître sa capacité à agir de manière autonome. »
Un premier brouillon en préparation
N’en déplaise à Charles Michel, les défenseurs du projet le voient comme une façon de s’affranchir de tout calendrier venu de Washington. Depuis la débâcle afghane au rythme imposé par les USA et l’affaire des contrats de sous-marins unilatéralement annulés au profit d’un accord Aukus entre anglo-saxons, des voix s’élèvent en l’Europe pour doter l’Union de sa propre force d’intervention militaire, indépendante de l’OTAN, et donc des États-Unis.
Le diplomate en chef de l’UE Josep Borrell va plancher sur un premier jet de document fondateur d’une stratégie européenne, le Strategic Compass. Attendu pour septembre, celui-ci sera comparable au « Strategic Concept » de l’OTAN: il définira les menaces, les objectifs et les ambitions en matière de défense, tout en se concentrant sur six domaines de développement conjoint d’armes, notamment en chars et en avions de combat.
Et certains pays tiennent à ce que ce document se traduise en soldats et en matériel tangibles sur le terrain. L’Italie est de ceux-là, selon Euractiv avec, bien sûr, la France. Celle-ci a souvent remis en question les accords atlantiques depuis la création de l’OTAN, et la crise diplomatique entrainée par les accords Aukus a ravivé le désir d’autonomie militaire de l’Hexagone. A la tête de la première puissance de l’UE, d’autant plus depuis le départ britannique, Emmanuel Macron est devenu l’un des grands défenseurs de l’armée européenne.
La sécurité a un prix
Mais le projet ne plait pas à tout le monde, et en premier lieu à l’OTAN. Le secrétaire général de l’alliance militaire atlantique, le norvégien Jens Stoltenberg, a fait part de ses doutes sur la pertinence du projet: « Je comprends que la France soit déçue, mais en même temps, les alliés de l’OTAN s’accordent sur notre objectif global qui est que nous devons rester unis. Je ne crois pas aux efforts pour créer quelque chose en dehors du cadre de l’OTAN, ou pour concurrencer ou dupliquer l’OTAN. » Et le secrétaire général de rappeler que, dans l’Union comme parmi ses voisins directs, le pacte transatlantique reste considéré comme une garantie sûre. En outre, les velléités de puissance de la France dans l’océan Pacifique ne sont guère partagées par le reste de l’Union. « Toute tentative d’affaiblir le lien transatlantique en créant des structures alternatives, en disant qu’on peut se débrouiller tout seuls, va non seulement affaiblir l’OTAN, mais cela va aussi diviser l’Europe », a-t-il mis en garde.
En effet, les pays baltes et la Pologne considèrent l’OTAN comme leur meilleure garantie contre une possible tentative d’ingérence russe, tandis que, hors de l’Union, la Norvège et la Turquie restent des partenaires solides de l’Amérique. Et M. Stoltenberg de rappeler que 80% des dépenses militaires de l’OTAN sont effectuées par des pays non membres de l’UE, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, la Turquie et la Norvège. De quoi subtilement rappeler aux Européens que l’argent reste le nerf de la guerre, et qu’ils paient finalement fort peu pour leur propre sécurité.
Pour aller plus loin :
- Après la débâcle américaine en Afghanistan, vers une force d’intervention européenne commune de 5.000 soldats ?
- Pour la Suède, la force d’intervention européenne commune, c’est non: « Il faut continuer de coopérer avec les USA »
- « Une Europe de la défense plus forte et plus efficace » : fin de la crise(tte) après le coup de fil entre Macron et Biden