L’échange de Vandecasteele contre Assadi avec l’Iran laisse un arrière-goût amer à l’État de droit : la Vivaldi a soudainement opté pour une mesure d’urgence

Un peu après midi, le Roi Philippe reçoit avec les honneurs l’homme qui a passé 455 jours dans les cellules iraniennes : Olivier Vandecasteele. Cette visite vient clôturer la séquence d’auto-congratulations des partis politiques sur la libération du membre d’une ONG. Maintenant que les fumées du feu de joie se dissipent, une gueule de bois constitutionnelle monte à la tête de la Vivaldi. Car pendant des mois, le gouvernement a tenté de forcer l’échange entre Vandecasteele et le terroriste Assadolah Assadi, condamné à 20 ans de prison en Belgique, par le biais d’un traité d’extradition. La Vivaldi a ensuite abandonné cette procédure, qui prévoyait l’obligation d’informer l’opposition iranienne à l’intérieur du pays, pour recourir à l’article 167 de la Constitution : « Le roi (le gouvernement, ndlr) détermine la politique étrangère ». En d’autres termes, une démarche juridiquement autoritaire, que le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) a défendue face à l’urgence de la situation. Après tout, Vandecasteele risquait d’être exécuté, a fait valoir le Premier ministre. L’opposition a réagi avec mécontentement, demandant un débat à la Chambre. Ce débat n’aura pas lieu cette semaine.

Dans l’actualité : Cet après-midi, Vandecasteele se rend au Palais.

Les détails : Le membre d’une ONG s’est rendu en Iran, contre l’avis des Affaires étrangères, pour vendre son appartement à Téhéran. Un an et demi plus tard, il est libre et est célébré par la Vivaldi. L’opération « Blackstone », via un échange à Oman, a parfaitement réussi.

  • « Enfin avec nous ». C’est le Premier ministre Alexander De Croo qui l’a tweeté vendredi, avec une photo spectaculaire de Vandecasteele, assis dans un A400M, un avion militaire du ministère de la Défense, regardant la lumière de la porte qui s’ouvre, vers la liberté, à l’aéroport de Mascate, à Oman.
  • Cet État du Golfe s’est avéré être le « courtier » international dans l’accord entre la Belgique et l’Iran, dans lequel les bonnes relations entre le sultan local et le roi Philippe ont apparemment joué un rôle : un coup de téléphone aurait fait des merveilles. Cette implication explique pourquoi le Palais reçoit également Vandecasteele aujourd’hui, et pourquoi le roi a appelé le travailleur de l’ONG alors qu’il était encore dans les airs, sur le chemin du retour.
  • De cette manière, le Palais jouit aussi d’une partie de l’histoire positive qui a déjà été diffusée en long et en large par presque tous les partis de la Vivaldi ce week-end, Ecolo allant jusqu’à apposer son logo sur la photo du prisonnier libéré.
  • Le Premier ministre a eu la primeur de l’annonce en enregistrant un message vidéo tôt vendredi, alors que Vandecasteele était encore dans les airs : dans un style parfaitement présidentiel, il a annoncé que Vandecasteele était « sur le chemin du retour ».
  • À Melsbroek, c’est tout un comité ministériel composé du Premier ministre et de la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib (MR), de la ministre de la Défense Ludivine Dedonder (PS) et du ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open Vld) qui a accueilli le Belge.
    • Chacun communiquera, images émotionnelles à l’appui, sur le fait de « voir le sourire d’Olivier en vrai et non plus sur une affiche », dixit Lahbib, par exemple.
    • Des articles entiers paraissent, notamment dans La Dernière Heure, sur « le rôle particulier de la Défense, dans l’opération secrète qui a permis de retrouver Olivier », avec un rôle de premier plan pour Dedonder.
    • L’ultime communication pour s’assurer d’un rôle dans cette opération est venue de Van Quickenborne, lundi dans Het Nieuwsblad. Ce dernier déclare en effet que « si Vandecasteele était mort », il aurait dû « envisager de démissionner ». Alors que ça n’a jamais été une seule fois évoqué.

L’essentiel : sur le plan juridique, c’est un virage en épingle qu’a pris la Vivaldi.

  • Dès l’été 22, un traité d’extradition avec l’Iran a été voté à la Chambre, à la majorité contre l’opposition. Ce traité devait ouvrir la porte à un éventuel échange entre Vandecasteele et Assadolah Assadi.
  • Cet agent secret iranien, officiellement « diplomate », a été pris en flagrant délit alors qu’il se rendait à Paris pour faire exploser une réunion de l’opposition iranienne à laquelle participaient quelque 300 personnes. Il a été condamné à 20 ans de prison, mais l’Iran faisait pression pour sa libération depuis un certain temps.
  • C’est précisément la raison pour laquelle le ministère des Affaires étrangères avait émis depuis un certain temps un avis de voyage négatif très clair en Iran. Cette notification fut d’ailleurs envoyée à Vandecasteele, qui avait été actif en Iran en tant qu’employé d’une ONG, mais qui avait décidé de voyager malgré tout, il y a un an et demi, afin de vendre son appartement à Téhéran. Le fait que l’Iran l’ait arrêté et condamné à des peines de prison de plus en plus lourdes correspondait exactement à ce que l’on craignait au ministère des Affaires étrangères : un laissez-passer diplomatique brutal d’un Belge en échange d’Assadi.
  • Le traité d’extradition a mis de l’ordre sur le plan juridique, ce qui a certainement rendu les choses plus acceptables sur le plan politique pour Ecolo et Groen, toujours soucieux des droits de l’homme et de la bonne gouvernance. Mais c’est à ce moment-là que les choses se sont gâtées : la Cour constitutionnelle a suspendu le traité à la demande de l’opposition iranienne en décembre de l’année dernière.
  • Puis, en mars, le feu vert s’est allumé : la Cour a accepté le traité d’extradition, mais a également imposé une restriction claire au gouvernement. Celui-ci devait notifier à l’avance l’extradition aux personnes potentiellement concernées (à savoir l’opposition iranienne), qui auraient ainsi eu le droit de saisir le tribunal de première instance et d’interjeter appel.
  • Les victimes d’Assadi sont allées plus loin : elles ont officiellement demandé au gouvernement fédéral de les tenir informées de toute nouvelle concernant le terroriste condamné. La réponse n’est jamais venue.
  • Car au même moment, « l’option B » de la Vivaldi, le « plan astucieux de Van Quickenborne », dit-on au sein de la Vivaldi, est entrée en action. Ce faisant, le gouvernement a mis de côté toute la construction juridique via le traité d’extradition, et s’est appuyé sur l’article 167, qui donne en fait au gouvernement les coudées franches en matière de politique étrangère. Sans Parlement, sans opposition iranienne et sans tribunal, un décret royal d’à peine trois pages et quatre signatures a pu régler l’affaire.
  • Une arme légalement fragile, donc, qui confère tous les pouvoirs au gouvernement, sans examen approfondi ni dissension. « Compte tenu de la menace grave, imminente et permanente qui pèse sur la sûreté nationale et à laquelle il convient de répondre de toute urgence », peut-on lire dans l’AR.
  • De Croo s’est farouchement défendu devant les critiques qui commencent à monter : « L’exécution était imminente. » Après tout, selon les vivaldistes, l’Iran est de plus en plus ferme contre les Occidentaux : en janvier, Téhéran a exécuté un Britannique, et en mai un Suédois. Un Allemand, condamné à mort en février, attend le même sort. Et l’on a laissé entendre que Vandecasteele suivrait cette voie.
  • Un « cas d’urgence », donc, qui justifie le recours à l’article 167 selon la Vivaldi, et pour lequel le Premier ministre a également reçu jeudi soir l’approbation de tous les partis de gouvernement : la pression était trop forte pour faire preuve de réserve dans l’affaire Vandecasteele.
  • Le fait que la Vivaldi vienne de vivre une semaine très agitée, avec la polémique autour de la loi de la restauration de la nature, a joué évidemment un rôle : Groen et Ecolo, qui ont pourtant insisté sur un échange via le traité, étaient au pied du mur. Et la machine était déjà en marche : le Qatar avait déjà reçu le « feu vert » de l’Iran, l’AR était déjà en prêt.

Réactions : L’opposition est critique. Les constitutionnalistes aussi. Mais il n’y aura pas de débat dans l’hémicycle cette semaine.

  • À noter, dans Le Soir de ce matin, l’intervention tranchante de Céline Romainville, constitutionnaliste à l’UCL. « Il n’y a manifestement plus beaucoup d’appétit pour la défense de l’État de droit et des principes de justice », argumente-t-elle. Face à la « diplomatie des otages » iranienne, la Belgique a aussi fini par devenir un pays où l’on va gouverner plus « royalement », depuis le gouvernement, « en matière de politique étrangère ».
  • La grande question qui se pose ici est la suivante : « Pourquoi se sont-ils donné tant de mal pour respecter les règles et les procédures, pour arriver jusqu’ici et pour faire ensuite un choix qui était possible dès le départ ? »
  • Les réactions se font également sentir au niveau international. Ainsi, Ingrid Betancourt, la Franco-Colombienne qui a elle-même été retenue en otage pendant des années par les FARC et qui se range aujourd’hui du côté de l’opposition iranienne, a émis de vives critiques. Elle affirme que « la réputation internationale de la Belgique est désormais ternie ». « La décision de libérer un terroriste est contraire à la loi et récompense la politique de chantage du régime iranien. Cela incitera encore plus le régime iranien au terrorisme et à la prise d’otages à l’avenir », insiste l’ex-otage des FARC.
  • L’opposition de la N-VA et du Vlaams Belang, qui refuse depuis longtemps tout accord avec l’Iran, a réagi vivement :
    • « L’implication du Parlement dans la mise en œuvre de ce traité, à huis clos si nécessaire, était une demande explicite des Verts, soutenue par plusieurs partis de l’hémicycle, pour approuver ce traité d’extradition. Le ministre a également fait des promesses en ce sens à la commission des Affaires étrangères. Cela ne s’est pas produit », a déclaré Peter De Roover (N-VA).
  • Même du côté de la majorité, il y a un certain malaise, comme en témoigne ce tweet du député Denis Ducarme (MR), toujours prompt à réagir sur les questions de sécurité : « Le manichéisme, très tendance sur les réseaux et dans l’opinion, montre encore ici ses limites. Le succès du sauvetage de la vie d’un Belge de l’infect régime iranien qui a ôté la vie à 300 opposants en 2023 était un devoir, il côtoie la honte pour la Belgique d’avoir libéré un terroriste. »
  • À noter que lors du journal télévisé de VTM, le Premier ministre a déclaré qu’on « pouvait certainement débattre de cette question dans l’hémicycle ». Mais la présidente Elliane Tillieux (PS) n’a pas réussi à réunir la commission des Affaires étrangères : certains d’entre eux sont en déplacement au Congo, il n’y aura donc pas de débat cette semaine. Il n’y aura donc, au plus tôt, que de courtes discussions de 2 minutes maximum jeudi, lors de l’heure des questions.

Au fédéral : la séquence autour de Vandecasteele ne masque pas les déboires de la Vivaldi.

  • Si vous lisez l’interview de Conner Rousseau (Vooruit) dans De Morgen ce week-end, vous pourrez y percevoir un président « fier » de la Vivaldi. « Je suis fier du travail que nous accomplissons au sein du gouvernement fédéral. La Vivaldi est le gouvernement le plus à gauche que nous ayons connu au cours de ce siècle ».
  • Intéressant, dans la mesure où le PS a déjà été aux manettes lors de ce siècle, sous le gouvernement Di Rupo. Et il y a aussi eu le gouvernement arc-en-ciel de Verhofstadt, mais la Vivaldi est donc le gouvernement « le plus à gauche », selon Vooruit. Alexander De Croo (Open Vld) et les libéraux devraient adorer.
  • Par ailleurs, tant Rousseau que Paul Magnette (PS) sont déjà pleinement engagés dans les négociations du prochain gouvernement. Rousseau a annoncé « arriver à la table au sein d’une machine de guerre ». Il est également convaincu de pouvoir briguer le poste de Premier ministre : « Si j’en ai l’occasion, je le ferai. Mais ce n’est pas une fin en soi. De toute façon, si vous le voulez, vous ne l’obtiendrez pas, parce que vous êtes alors beaucoup trop vulnérable. »
  • Magnette a quant à lui répondu à l’idée de la N-VA de former un mini-cabinet immédiatement après les élections, qui vise à ne pas laisser traîner les dossiers en cours, et d’établir un budget immédiatement. Magnette a réaffirmé qu’il n’avait « jamais trouvé et ne trouverait jamais un seul accord avec la N-VA ».
  • « Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter la N-VA. C’est un parti confédéraliste de droite ». Ce faisant, Magnette a même suggéré de se ranger dans l’opposition, même si personne n’y croit. En 2014, le parti avait eu beaucoup de mal à croire qu’il avait été tenu à l’écart de la coalition fédérale.
  • Enfin, ce matin, De Croo et consorts ont reçu un message supplémentaire : le MR n’aime pas la réforme fiscale de Vincent Van Peteghem (CD&V). Ce n’est pas vraiment surprenant, mais David Clarinval, le vice-premier ministre du MR, ne cesse de répéter, cette fois-ci dans De Tijd, sa demande de poursuivre la réforme du marché du travail.
  • Clarinval demande « une sanction pour ceux qui refusent deux offres d’emploi et une allocation de chômage plus dégressive ». Deux exigences qui sonnent très désagréablement aux oreilles du PS, mais le MR n’en démord pas : « Nous pensons que les recettes fiscales ne doivent pas être la seule source de financement de cette réforme fiscale. Un nouveau paquet de réformes du marché du travail, qui active les nombreux chômeurs en Wallonie et à Bruxelles : cela génère pour le trésor public 28.000 euros par personne activée et par an. » Un calcul repris de la secrétaire d’État au Budget, Alexia Bertrand (Open VLD).
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