Le projet Nord-Stream 2 est suspendu: simple contretemps ou opportunité ?

L’Agence fédérale allemande des réseaux l’a annoncé hier: le gazoduc controversé Nord-Stream 2 est suspendu, évoquant un obstacle juridique. La suspension devrait durer au moins 4 mois. Cette annonce a fait grimper une nouvelle fois les prix du gaz.

Les prix du gaz sur le marché européen ont pris 12%, alourdissant encore un peu plus la facture des ménages et des entreprises. Dans les faits, la suspension du projet est un simple contretemps. La certification du pipeline n’est possible « que si l’opérateur est organisé sous une forme juridique de droit allemand », écrit l’Agence fédérale.

Il faut comprendre par là que la partie du gazoduc allemand doit s’organiser selon le droit allemand et européen. L’Agence fédérale dispose d’un délai de 4 mois pour donner son feu vert. Rappelons que le gazoduc qui relie la Russie et l’Allemagne en contournant l’Ukraine est d’ores et déjà terminé et que son remplissage a commencé en Russie.

L’Europe face à un choix

Les anti-Nord Stream se sont précipités dans la brèche. Dans un contexte de tensions géopolitiques importantes, aussi bien au sujet de l’Ukraine que de la crise migratoire à la frontière biélorusses – accusée d’être orchestrée par Moscou – ce pipeline pourrait devenir le gazoduc de la discorde.

L’Europe dépend fortement du gaz russe, à hauteur de 40%. Cette dépendance donne à Moscou un effet levier diplomatique important. Mais la pression politique n’émane pas nécessairement de l’Union européenne mais des autres acteurs.

Ainsi, Yuriy Vitrenko, directeur général de la compagnie nationale d’énergie ukrainienne Naftogaz met en garde l’Allemagne contre « Une parodie des règles européennes. Cela ne correspond ni à l’esprit ni à la lettre de la législation européenne sur la certification des gazoducs ». « Nous appelons le gouvernement américain à imposer des sanctions en vertu de la loi américaine à l’opérateur Nord-Stream 2, que Gazprom prétend créer. Ces nouvelles sanctions devraient durer au moins jusqu’à ce que la Russie cesse d’utiliser le gaz comme arme et agisse conformément aux règles européennes », a confirmé le service de presse de l’entreprise à CNN.

Boris Johnson, toujours prêt à défier l’Union, a lui aussi exercé une forme de pression: « Nous espérons que nos amis [européens] reconnaîtront qu’un choix se présente sous peu entre maintenir toujours plus d’hydrocarbures russes dans de nouveaux pipelines géants, et défendre l’Ukraine, la paix et la stabilité. »

Contexte extrêment tendu

À la frontière biélorusse, la Pologne et les pays baltes menacent de brandir l’article 4 de la charte de l’OTAN. Ils estiment leur intégrité territoriale menacée. À la frontière ukrainienne, 100.000 soldats russes seraient massés selon Kiev mais aussi Washington.

De la simple dissuasion ? On sait que Poutine aime agir par surprise comme il l’a fait en 2014 en annexant la Crimée. Faire bouger des troupes en plein jour n’est donc pas très discret. C’est surtout l’occasion d’être présent, de montrer les muscles, dans un contexte inflammable. Rappelons que Kiev s’oppose toujours à des séparatistes pro-russes dans l’Est du pays.

Dans le même temps, la patience de l’OTAN montre ses limites. La Russie sait qu’elle ne doit pas aller trop loin et qu’une nouvelle invasion de type Crimée serait sans doute celle de trop. Cela ajouté au conflit entre l’UE et la Biélorussie, en plus de la perspective d’enfin concrétiser le projet Nord-Stream 2, devraient calmer les ardeurs russes.

A moins qu’un gigantesque puzzle se mette en place.

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