La crainte que tout aille très bien ou pourquoi beaucoup de personnes ont peur du bonheur

Les pessimistes parmi nous connaissent très bien ce sentiment : « la peur du bonheur », idée selon laquelle il vaut mieux ne pas être trop heureux car avant que vous ne le réalisiez, un événement négatif pourrait détruire votre bonheur. Le chercheur sud-coréen Moshen Joshanloo a étudié ce sentiment au sein de diverses cultures. Selon lui, cette forme de pessimisme  peut parfois être justifiée et fonctionnelle.

Pour cette étude, le scientifique a demandé à des personnes issues de diverses cultures dans quelle mesure elles étaient avec d’accord avec ces positions : « Je préfère ne pas être trop heureux car souvent après le bonheur vient la tristesse » et « Il peut toujours arriver quelque chose, donc nous pouvons très vite perdre le sentiment d’être heureux ». Dans des pays moins développés, davantage de personnes ont été d’accord avec ces idées que dans des pays industriels et riches. Cela a semblé correspondre avec un sentiment généralement peu élevé de satisfaction et de bonheur de la population dans ces pays.

Maladie ou nécessité?

L’auteur américain Tori Rodriguez a proposé dans Scientific American une explication du problème concernant « la peur du bonheur ». Selon elle, il ressort de recherches antérieures que le rejet d’émotions positives est souvent lié à des troubles mentaux comme la dépression. Le psychiatre Paul Gilbert qui s’est spécialisé dans ce domaine partage cette opinion. « Il est très important qu’au sein des thérapies, l’on se concentre sur la peur du bonheur. Cette peur doit être traitée de la même manière que toute autre angoisse ou crainte ».

Mohsen Johanloo admet également que la peur du bonheur n’est d’aucune utilité pour l’homme. Toutefois, dans certains milieux sociaux ou culturels, elle peut être justifiée, pense-t-il. « Dans une culture où l’harmonie est une valeur suprême, la réalisation de cet idéal a beaucoup d’avantages matériels et psychologiques. Mais chercher son propre bonheur peut jouer au détriment de la valeur globale de l’harmonie sociale avec les autres personnes. C’est ce qui justifie le fait d’éviter l’expression ou l’expérience du bonheur personnel, du moins à certains moments », dit-il.

Les « Negateers »

De temps à autre, nous avons besoin de nous sentir malheureux. Ainsi, nous pouvons tempérer un optimisme irréaliste. En outre, cela nous aide à nous motiver à fournir des efforts pour atteindre des buts à longue échéance. « Etre extrêmement passionné ou poursuivre son bonheur dans un sens hédoniste peut vite se retourner contre nous et conduire au malheur. Mais un équilibre entre une peur mesurée du bonheur et un désir modéré de bonheur personnel peut à mon avis contribuer à la réalisation d’une bonne vie », souligne Joshanloo. 

Cependant, il existe un groupe de psychologues et de citoyens ordinaires qui se donnent le nom de « Negateers ». Ils s’insurgent contre ce qu’ils appellent « la tyrannie de la psychologie positive ». Ils visent de ce fait une branche de la psychologie qui considère la pensée positive comme un chemin que les personnes devraient emprunter pour atteindre le but final : se sentir heureux. Selon eux, la recherche du bonheur n’est pas l’alpha et l’oméga de l’existence.

L’idée selon laquelle nous devons être prudents lorsque nous comptons trop sur le bonheur est ancienne. On la retrouve par exemple chez Sophocle qui pense que le seul moment où vous pouvez vraiment cesser de craindre le bonheur, c’est finalement lorsque vous êtes mort.

Selon les « Negateers », la psychologie positive nie le fait que les pensées négatives peuvent être souvent valables et fonctionnelles.