La chute du yen raconte une histoire douloureuse

Dans les pays développés, les banquiers centraux se réveillent face à une inflation élevée. Le Japon, cependant, est la grande exception. La banque centrale n’arrive pas à alimenter le feu de l’inflation, si bien que le yen continue de chuter.

Le monde financier a retenu son souffle à la fin de l’année 2022. Le Japon allait-il enfin desserrer son étau sur les taux d’intérêt ? L’élargissement de la fourchette étroite dans laquelle la Banque du Japon (BoJ) a bloqué les taux d’intérêt a été perçu comme une avancée vers une politique très différente. En effet, au Japon, la banque centrale maintient depuis des années le taux directeur à court terme et le taux des capitaux à 10 ans autour de zéro, dans le but de stimuler quelque peu l’inflation. Les taux d’intérêt extrêmement bas incitent les consommateurs et les entreprises à emprunter de l’argent pour effectuer des achats et des investissements importants. L’idée est que cela stimule la croissance économique, que les prix augmentent et que l’inflation se rapproche des 2 % souhaités par la BoJ.

Théorie et pratique : un monde de différence

C’est du moins la théorie. La pratique est très différente. En avril, l’inflation japonaise a atteint 4,1 %, son niveau le plus élevé depuis plus de 40 ans. Toutefois, cette situation s’explique davantage par la répercussion de la hausse des prix de l’énergie et des problèmes survenus dans les chaînes d’approvisionnement au cours des dernières années que par les politiques de la BoJ. Toutefois, des études suggèrent que les attentes des ménages en matière d’inflation restent très faibles et que les PME ont du mal à mettre en œuvre les augmentations de salaire prévues par les conventions collectives des grandes entreprises. Ces éléments indiquent que la hausse de l’inflation est essentiellement un phénomène temporaire, plutôt que l’accélération structurelle que la banque centrale souhaiterait voir se produire.

Effets secondaires inattendus

De plus, la politique de la BoJ a également des effets secondaires inattendus. Les investisseurs internationaux sont beaucoup plus désireux d’emprunter de l’argent à des taux d’intérêt extrêmement bas au Japon que les ménages et les entreprises du pays. Ces investisseurs empruntent chaque mois des milliards d’euros à des taux d’intérêt très bas au Japon, pour investir ces actifs dans d’autres parties du monde à des rendements plus élevés. Ce flux d’argent a augmenté la valeur de toutes sortes d’actifs tels que les actions américaines, l’immobilier européen et les matières premières d’Amérique latine. Lorsque les taux d’intérêt commenceront à augmenter au Japon, ce « carry trade » deviendra beaucoup moins attrayant. Une hausse des taux d’intérêt par la BoJ se répercuterait donc sur les marchés financiers.

Une fin en demi-teinte

Entre-temps, les traders reprennent leur souffle. Cinq mois plus tard, l’élargissement de la fourchette des taux d’intérêt ressemble davantage à un coup de feu manqué qu’à un coup de semonce. Ce n’est que si l’inflation se maintient à 2 % ou plus pendant une période prolongée et que les entreprises augmentent effectivement les salaires qu’un relèvement des objectifs de taux d’intérêt à court et à long terme deviendra une question d’actualité. D’ici là, il reste beaucoup à faire. Même sous la présidence de Kazuo Ueda, qui a pris ses fonctions au début du mois d’avril, les taux directeurs au Japon n’évoluent pas, alors qu’ils augmentent fortement dans le reste du monde développé. En ce qui concerne le carry trade, il s’agit d’une bonne nouvelle pour les investisseurs en actions et pour ceux qui cherchent à passer des vacances au Japon. La monnaie japonaise a perdu plus de 20 % par rapport à l’euro depuis le début du mois de mai 2020. Tant que le différentiel de taux d’intérêt continuera à se creuser, rien n’empêchera le yen de continuer à baisser.


Joost Derks est spécialiste des devises chez iBanFirst. Il a plus de 20 ans d’expérience dans le monde des devises. Cet article reflète son opinion personnelle et ne constitue pas un conseil professionnel (d’investissement).

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