Jambon sauve ce qui peut l’être avec une équipe brisée, pour Mahdi les dégâts sont au moins aussi importants : « Le culte divin du messie est terminé », souffle-t-on dans ses propres rangs

Comment relancer l’équipe gouvernementale flamande ? C’est la mission que le Premier ministre Jan Jambon (N-VA) peut commencer aujourd’hui, alors qu’il doit faire face au Parlement flamand pour la deuxième fois en une semaine. Cette fois avec un accord dans la poche. Mais avec une coalition qui est profondément endommagée, et un ministre-président qui restera affaibli pour le reste de la législature. Au même moment, tous les doigts de la Rue de la Loi, et très manifestement aussi dans ses propres rangs, pointent vers Sammy Mahdi, le président du CD&V. Les mots sont durs : « L’apprenti magicien », le « messie déchu », « Icare ». Le groupe CD&V du Parlement flamand l’a rappelé à l’ordre, après que Hilde Crevits (CD&V) ait mis sa propre tête dans la balance. Entre-temps, les relations avec les partenaires de la coalition ont été gravement endommagées : cela hypothèque tout l’équilibre de la coalition, et menace d’isoler le CD&V dans des dossiers cruciaux.

Dans l’actualité : Jan Jambon va enfin faire sa déclaration de septembre.

Les détails : un vote de confiance suivra samedi, et Jambon I recevra un mandat supplémentaire. Mais la confiance a disparu.

  • On panse ses plaies, dans tous les sièges de partis des trois partenaires de la coalition du gouvernement flamand. Car ces derniers jours, l’équipe de Jambon s’est retrouvée dans un tourbillon d’émotions, de crise et même d’une possible fin de coalition.
  • Alors que le président du CD&V, Mahdi, est parti à l’offensive tout le week-end et lundi, lors des négociations budgétaires, la N-VA avec Jan Jambon et Bart De Wever, et l’Open Vld avec Bart Somers et Egbert Lachaert ont renversé la situation : le CD&V a dû se mettre sur la défensive ces derniers jours.
  • Car l’ultimatum venu des jaunes et des bleus n’était pas minime : quoi qu’il arrive, Jambon ira au Parlement, avec une déclaration de septembre. Avec ou sans le CD&V. Et si un accord est finalement possible, pas un iota ne changera par rapport à la proposition de budget qui était déjà sur la table dimanche soir et lundi matin.
  • L’indignation partagée par les jaunes et les bleus quant au sort de Jambon était personnellement très forte : le voir se présenter au Parlement flamand lundi comme un écolier, avec une page blanche, a fortement dégradé les discussions.
  • Mahdi a ensuite communiqué de manière particulièrement véhémente lundi soir : il a parlé de « lignes rouges » et de « principes » et s’est complètement braqué sur sa demande d’indexation totale des allocations familiales. A tel point que la N-VA y a vu une tentative délibérée de quitter le gouvernement flamand.
  • Sous pression, le CD&V a fini par craquer en interne. Une réunion de la fraction flamande, en partie à distance, et avec un groupe réuni à Bruxelles, a même fait voyager Hilde Crevits (cd&v) vers la capitale contre l’avis de son médecin. Sa présence et son intervention ont permis de renverser la situation : pour Mahdi, il n’y a eu rien d’autre à faire que de tourner la page.
  • A partir d’aujourd’hui, donc, Jambon et compagnie commencent à restaurer la confiance dans l’équipe, qui a été entièrement désintégrée durant la semaine. Avec un premier bon test aujourd’hui : dans l’hémisphère flamand, l’opposition est prête avec des couteaux aiguisés à découper cette coalition en lambeaux, après ce spectacle pitoyable.

La grande question : Mahdi voulait-il faire sortir son parti du gouvernement flamand ?

  • Une question demeure aujourd’hui : comment les choses ont-elles pu dégénérer au point qu’une discussion portant sur 200 millions d’euros (une somme importante, mais pas insurmontable) ait déraillé jusqu’à provoquer l’effondrement du gouvernement.
  • Des sources soulignent que le président Mahdi n’a pas tenté de contacter ses collègues présidents pendant le week-end : c’est pourtant l’usage quand on est lié en tant que partenaire de coalition. Un contact avec Egbert Lachaert (Open Vld) n’a été établi que lundi soir, à son initiative. « Bizarre, pour ceux qui ont une demande mais ne la voient pas satisfaite, et qui veulent obtenir quelque chose de leurs collègues, non ? », lui a-t-on répondu.
  • Ce n’est que mardi qu’un premier coup de fil aurait été passé entre De Wever et Mahdi : extrêmement tard, pour se reparler. Et c’est là qu’a été formulée une suggestion évidente : un nouveau compromis, pour permettre au CD&V de sauver la face, à savoir 100 millions supplémentaires seraient transmis aux collectivités locales, aux bourgmestres de Mahdi. Car le sujet est brûlant : les collectivités locales tirent la sonnette d’alarme sur leurs difficultés financières.
  • Mais ce compromis n’a pas abouti : un signe encore plus fort pour la N-VA, à l’époque. « Cela semblait complètement condamné, les choses allaient s’effondrer, jusqu’à mercredi après-midi », affirme un négociateur-clé.
  • Cela explique que la position du nouveau duo N-VA/Open Vld se soit encore durcie. En fin de compte, Jambon, par l’intermédiaire de Bart Somers (Open Vld), a mis sa « proposition de compromis » sur la table : il s’agissait principalement d’un test pour voir si Mahdi débrancherait la prise. Il était coincé.
  • À cela s’est ajoutée une initiative de Vooruit, visant à offrir une majorité de commutation pour « co-voter toutes les mesures relatives au pouvoir d’achat », au Parlement flamand, samedi. Cela a mis encore plus de pression sur le CD&V, car cela a alimenté la perception qu’un changement de coalition était effectivement possible.
  • Reste à savoir si cette option était sérieuse : dans un tel scénario, Conner Rousseau aurait pu se montrer très exigeant, avec un nouvel accord de coalition ET un nouveau chef de gouvernement. Mais cela n’a pas eu d’importance : la nouvelle a alimenté l’agitation dans les cabinets flamands du CD&V, et a fait douter manifestement un paquet de députés flamands. Est-ce vraiment ce que les gens voulaient pour le CD&V ?

L’essentiel : au sein du CD&V, les positions de pouvoir sont désormais claires.

  • Lors de la réunion du groupe flamand du CD&V, Mahdi a soudainement compté peu de partisans à ses côtés, à part quelques fidèles avec une petite base de vote. Car bien qu’il ait fait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter de donner l’impression qu’il voulait la chute du gouvernement, le mal était fait. D’autant plus que la revenante, Hilde Crevits, l’a également souligné de manière très nette dans son intervention : « Si nous allons jusqu’au bout, nous sommes partis. Et alors, je pars aussi », a-t-elle déclaré selon les personnes présentes.
  • Ceux qui l’ont bien écoutée ont tout de suite compris : le destin politique de la première dame du CD&V était soudainement aussi dans la balance. « Et avec cela, il était immédiatement clair que nous allions sacrifier notre première dame, pour quoi exactement ? Parce qu’il était hors de question qu’Hilde se retire du gouvernement pour se retrouver quelque part au cinquième rang de l’hémisphère à jouer les députés de l’opposition », a déclaré un participant.
  • La réunion a ensuite basculé complètement, selon les participants. Plusieurs députés de Flandre occidentale ont visiblement pris le parti de Crevits, l’ancien ministre Koen Van den Heuvel a souligné les conséquences néfastes d’une telle scission et, plus grave encore, le ministre Brouns a soudainement parlé de « dix ans d’opposition ».  » Tout à coup, même Dalle et Brouns ont défendu l’ensemble de l’accord, tout comme Hilde. « Il y avait assez de nourriture et de boissons pour nous », a-t-on soudainement entendu.
  • Mahdi n’avait d’autre choix que de changer d’avis : un accord devait être conclu, le CD&V restant dans le gouvernement flamand. Par la suite, son entourage a tenté de faire croire qu’il était déjà arrivé à la réunion avec cette idée en tête, mais plusieurs personnes impliquées ont rejeté cette interprétation, la qualifiant de « pure absurdité ».
  • La gueule de bois est grande, pour le président, un jour plus tard. « Lundi, l’euphorie était grande de la part de tous les hommes avec nous qui pensent à court terme mais pas à long terme. Cela a duré deux jours. Et maintenant, le culte divin du messie est terminé », s’emporte un député flamand du CD&V à propos de son président. Son nom de famille signifie « le sauveur » ou le messie en arabe. Il est frappant de constater à quel point certains membres de son propre parti sont sévères à son encontre : « apprenti magicien » ou « Icare », tout y passe.
  • Un ministre CD&V ne veut pas en dire beaucoup, mais nous fait part de sa réflexion selon laquelle « il est certain que cela aurait pu se passer autrement, avec un peu moins d’imprudence et d’impulsivité ». Tout aussi révélateur.
  • Cela résume l’atmosphère au sein du parti, avec un paquet de personnes, de haut en bas dans les rangs, critiquant vivement Mahdi. Ce faisant, on lui reproche de « s’entourer de hipsters inexpérimentés, de poster des vidéos bien faites, mais on aurait plutôt dû lui suggérer de ne pas parler de ‘lignes rouges’, tout en ignorant complètement les partenaires de la coalition ». Le fait que l’actuel porte-parole du parti n’ait que peu d’expérience de la politique de haut niveau, se limitant à un rôle auprès de Bianca Debaets (CD&V), n’aide pas, bien sûr.
  • Ce manque d’expérience a manifestement gêné les membres du CD&V. Car rue de la Loi, les nouvelles vont vite : même dans leur propre parti, mercredi, de nombreuses personnes savaient déjà que le président n’avait pas contacté De Wever avant mardi soir. « Vous ne traitez vraiment pas les gens avec qui vous êtes en coalition comme ça, n’est-ce pas ? À moins que votre objectif ne soit de faire tomber ce gouvernement », a fait valoir un dirigeant.
  • Le fait que Mahdi ait agi sans concertation avec son groupe flamand, mais aussi sans ses ministres et chefs de groupe dans un G7 ou un G9, l’organe supérieur de CD&V, a démontré de solides erreurs de jugement. « Désastreux », « car c’est ainsi que l’on se retrouve avec une réunion où presque tous s’opposent violemment », indique un participant.
  • Le chef de groupe Peter Van Rompuy (CD&V) était bien au courant de l’offensive, mais un paquet de personnes, dont des ministres, ont constaté dès lundi soir, après la communication de Mahdi, qu’ils semblaient se trouver dans un scénario où le CD&V quitterait le gouvernement flamand. Et le sort personnel de certains, des chefs absolus comme Crevits, mais aussi des cabinets entiers, y a évidemment joué un rôle. L’élan de Mahdi s’était évaporé.
  • Le fait qu’un accord ait finalement été accepté, sans que le CD&V n’obtienne rien de plus, après toute cette agitation, rend le calcul d’autant plus douloureux pour Mahdi : au final, il y aura un peu de budget supplémentaire pour les allocations sociales du budget de Crevits, mais il proviendra entièrement d’une réduction à effectuer du côté de Brouns. « Qui approuve un texte totalement inchangé que vous avez déjà catégoriquement rejeté ? », commente-t-on dans le camp jaune et bleu.