De nouvelles fuites montrent comment Facebook gère le difficile cas des talibans

Des documents internes à la firme de Mark Zuckerberg listent les exceptions à l’interdiction imposée aux talibans sur Facebook, WhatsApp et Instagram. L’entreprise argumente que, parfois, la pertinence du message dépasse la dangerosité du contenu posté par une organisation qu’elle classe encore comme terroriste, par exemple quand il s’agit d’informations sur le coronavirus. Mais ce sont les Afghans qui sont les plus vulnérables aux restrictions imposées depuis Menlo Park.

Alors que les talibans avaient entamé leur marche victorieuse qui a culminé avec la prise de Kaboul, en août dernier, les réseaux, et en premier lieu Facebook (devenu depuis Meta et qui comprend aussi WhatsApp et Instagram) ont réitéré leur interdiction de contenu lié aux miliciens islamistes, considérés comme une organisation terroriste. « Cela signifie que nous supprimons les comptes gérés par ou au nom des talibans et que nous interdisons tout éloge, tout soutien et toute représentation de ces derniers » spécifiait à l’époque un porte-parole de Facebook.

Une interdiction qui a toujours été relative, vu la maîtrise que les talibans ont acquise des codes des réseaux sociaux. Mais de nouvelles fuites viennent un peu plus mettre à mal, si c’est encore possible, l’image irréprochable que tente de se forger Facebook. Le média d’investigation américain The Intercept a pu obtenir des documents internes à l’entreprise, et ceux-ci révèlent que la firme de Mark Zuckerberg filtrait avec plus ou moins de sévérité les contenus venus d’Afghanistan, et ce dès qu’il s’est avéré que les talibans allaient durablement reprendre le contrôle du pays.

Liste noire et exceptions à la règle

Selon le site, « depuis des années, Facebook interdit officiellement aux talibans et à une myriade d’organisations affiliées d’utiliser ses plateformes en vertu de la politique de l’entreprise relative aux individus et organisations jugés dangereux, une liste noire interne publiée par The Intercept en septembre. La liste Dangerous Individuals and Organizations (DIO) bloque des milliers de groupes et de personnes sur les plateformes de Facebook et dicte ce que des milliards de personnes peuvent y dire à leur sujet. Mais contrairement à d’autres groupes interdits sur la DIO, comme Al-Qaïda ou le Troisième Reich, les talibans sont désormais un gouvernement souverain engagé dans l’activité bien réelle d’administration d’un pays entier comptant des millions d’habitants. »

Facebook a donc vite procédé à des exceptions : dès septembre, le réseau a amendé sa liste DIO pour autoriser les contenus partagés par le ministère afghan de l’Intérieur. Le mémo interne obtenu par The Intercept ne citait que les « informations importantes sur les nouvelles règles de circulation », notant que « nous estimons que la valeur publique de ce contenu l’emporte sur le préjudice potentiel », sans toutefois limiter son exception aux seules mises à jour de la circulation.

Une deuxième exception de la DIO, ajoutée en même temps, prévoit une dérogation beaucoup plus étroite : deux messages spécifiques du ministère de la Santé seraient autorisés au motif qu’ils contiennent des informations relatives au Covid-19.

« Facebook ne prend pas de décisions »

Facebook n’a pas expliqué selon quels critères précis tel ou tel message gouvernemental était considéré digne de publication, et Sally Aldous, porte-parole du groupe, a argumenté que celui-ci ne faisait que suivre des règles qu’il n’a pas écrites : « Facebook ne prend pas de décisions concernant le gouvernement reconnu dans un pays particulier, mais respecte plutôt l’autorité de la communauté internationale dans la prise de ces décisions. Nous avons une équipe dédiée, y compris des experts régionaux, qui travaillent pour surveiller la situation en Afghanistan. Nous disposons également d’un réseau étendu et croissant de partenaires locaux et internationaux avec lesquels nous travaillons pour nous alerter sur les questions émergentes et fournir un contexte essentiel. »

A partir de début septembre, la firme a commencé à laisser ses utilisateurs qualifier le régime taliban de gouvernement légitime de l’Afghanistan sans leur faire encourir de sanction, mais n’a pas pour autant supprimé de sa liste noire la majorité des institutions afghanes reprises en main par les islamistes. Ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour la population afghane alertent certains experts, car celle-ci, en cas de catastrophe, se retrouve coupée des autorités en charge, dans un pays où l’infrastructure des télécommunications est si réduite que Facebook et WhatsApp restent les principaux moyens de communiquer, que ce soit entre individus ou avec des institutions.

Des Afghans coupés de leurs propres institutions

Masuda Sultan, cofondatrice de Women for Afghan Women, rappelle que Facebook demeure « la seule communication dont disposent de nombreuses personnes pour transmettre des messages aux entités au pouvoir, ou pour que ces entités les entendent ». En août, Sultan a utilisé la ligne d’assistance WhatsApp des talibans, désormais fermée, lorsque le bureau de son ONG à Kaboul a été attaqué dans le chaos du retrait américain. « Il était incroyablement important pour nous d’y avoir accès, car la police avait abandonné ses postes et nous n’avions personne d’autre à appeler », a-t-elle ajouté. « Surtout en cas d’urgence, cela n’aide pas que les communications soient coupées entre les gens ordinaires et ceux qui sont au pouvoir. »

La panne de WhatsApp d’octobre dernier avait d’ailleurs été vécue comme un cauchemar par de nombreux Afghans, qui voyaient s’éteindre leur seul lien avec l’extérieur, et surtout avec l’étranger, pour ceux qui craignent les représailles du nouveau régime et cherchent encore à quitter le pays.

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