Comment meurent les médecins

On pourrait penser que lorsqu’ils souffrent d’une maladie grave, les médecins utilisent toute leur expérience, choisissent et reçoivent les traitements les plus adaptés et les plus récents.

Mais c’est loin d’être le cas. Bien entendu, les médecins meurent aussi mais la plupart du temps, ils ne décèdent pas comme nous, constate le docteur Ken Murray. Selon ce dernier, par rapport à la moyenne des citoyens américains, les médecins aux Etats-Unis ne suivent que très peu de traitements. Lorsqu’il s’agit de maladies graves comme le cancer, la plupart des médecins savent exactement ce qu’il va se passer. Ils connaissent les décisions possibles, ils ont accès à toutes sortes de soins médicaux. Mais ils préfèrent y aller doucement.

« Bien entendu, les médecins ne souhaitent pas mourir. Ils veulent vivre. Mais ils connaissent les limites de la médecine moderne », écrit Ken Murray. Ils connaissent le désespoir des malades en phase finale qui sont perforés de tubes, reliés à des machines et gavés de médicaments, le tout pour une addition qui atteint souvent des dizaines de milliers de dollars. Les médecins sont conscients que ce type de traitements se traduit souvent par une mort douloureuse et solitaire. Beaucoup d’entre eux n’acceptent d’ailleurs pas de réanimation cardio-pulmonaire (qui la plupart du temps ne donnent pas énormément de résultats positifs) et certains se le sont même faits tatouer ou portent des pendentifs afin d’avertir les autres médecins de ne rien tenter sur eux.

En outre, prodiguer des soins médicaux qui provoquent la souffrance des patients est quelque chose d’angoissant, explique Murray. Les médecins sont formés pour recueillir des informations sans faire part de leurs propres sentiments. Toutefois, dans l’intimité, lorsqu’ils sont en privé avec d’autres médecins, beaucoup se demandent comment il est possible de permettre que de tels traitements soient réalisés sur un membre de la famille. « Je crois que c’est une des raisons pour laquelle la consommation d’alcool et la dépression chez les médecins sont plus élevées que pour d’autres professions. Durant les dix dernières années de ma carrière, j’ai d’ailleurs arrêté de participer aux soins hospitaliers », explique Murray.

Selon une étude citée par Radiolab, seuls 8% des patients ayant été soumis à une réanimation cardio-pulmonaire ont survécu pendant un mois. 3% de ces patients ont pu reprendre une vie normale et 3% sont restés dans un état végétatif. Les 2% restants se sont retrouvés ni totalement optimal, ni totalement végétatif.

Beaucoup de personnes pensent qu’une réanimation cardio-pulmonaire est une bouée de sauvetage à laquelle on peut se fier mais les résultats concluants sont généralement pauvres. Si la personne souffre d’une pathologie grave, est en fin de vie ou souffre d’une maladie en phase finale, les chances de résultats positifs d’une RCR sont très faibles tandis les souffrances consécutives probables sont souvent accablantes.

« Ce que les patients achètent, c’est une misère que nous n’infligerions même pas à des terroristes », ajoute Murray.

Ken Murray raconte qu’il y a plusieurs années, son cousin a une crise et qu’on lui a diagnostiqué un cancer du poumon qui avait évolué vers le cerveau. Murray a rencontré plusieurs spécialistes et ils conclu que même avec un traitement agressif et de la chimiothérapie, il ne survivrait qu’environ quatre mois. Son cousin a alors refusé tout traitement et a emménagé avec lui. Ensemble, ils ont encore vécu ensemble 8 mois très agréables. Ils ont bien mangé, ont regardé beaucoup de reportages sportifs et n’ont pas dépensé plus de 20 dollars en médicaments. Un jour, le cousin ne s’est pas réveillé et est mort après un coma de trois jours.

« Mon cousin n’était pas médecin, mais il voulait une qualité de vie et non la quantité. N’est-ce pas ce que nous voulons tous? S’il existe un art des soins de fin de vie, il s’agit certainement de ceci : la mort avec dignité. Quant à moi, mon médecin connaît mes choix. Ils ne seront pas héroïques. Je me dirigerai doucement vers une nuit bienveillante comme mon mentor, comme mon cousin et comme mes collègues médecins ».