Raid sur Belgorod : quel est donc l’objectif des Ukrainiens ?

On attend la contre-offensive ukrainienne depuis des mois, et voilà que ce sont des Russes qui avancent… En territoire russe, au nom de mouvements d’oppositions aux contours flous. L’Ukraine nie toute implication directe, mais pas d’être au courant de ce raid sur près de 80 km derrière la frontière. Ce n’est pas suffisant pour gagner une guerre, mais Kiev estime de toute évidence qu’il y a là une carte à jouer.

Pourquoi est-ce important ?

L'attaque-surprise de soldats russes ralliés à l'Ukraine à travers la frontière a surpris tout le monde, et en premier lieu l'armée russe, qui a peiné à réagir. La situation dans la région de Belgorod reste confuse, mais un tel raid sur environ 80 km dans la profondeur du territoire russe n'a certainement été ni improvisé ni mené sans des objectifs clairs dans le contexte stratégique actuel.

Ce qu’on sait : une force motorisée, vraisemblablement de plusieurs centaines de soldats, a traversé la frontière hier et a pris le contrôle de différents villages de l’oblast de Belgorod, semant un vent de panique jusque dans la ville du même nom.

  • Lundi soir, les autorités russes ont déclaré que « l’opération anti-terroriste » dans la région était terminée. Elles ont déclaré avoir tué une septantaine de « nationalistes ukrainiens » et a révélé des photos de véhicules détruits ou hors de combat, des engins militaires de conception occidentale.
  • Les groupes militaires qui ont mené le raid – des Russes qui se sont fixé pour objectif de « renverser la dictature du Kremlin » – et ont rejoint la cause ukrainienne – assurent toutefois que l’opération n’est pas terminée. Mais un responsable ukrainien qui a tenu à rester anonyme a confirmé auprès du Washington Post que cette Freedom of Russia Legion avait subi des pertes.
  • Toute information provenant de la région doit être prise avec des pincettes, mais des rumeurs d’autres attaques sur la frontière, parfois en des points éloignés, commencent à apparaître. On parle d’incursions à Gogolevska, dans l’oblast de Koursk, ainsi que dans d’autres zones de celui de Belgorod.

Important : Toutes ces actions offensives semblent menées par des unités liées à la « Légion internationale » de volontaires, des unités qui font partie des forces armées de l’Ukraine, tant qu’elles participent à la défense du pays. Dès qu’elles quittent le pays, elles ne sont plus, techniquement, des forces ukrainiennes. Et une source officielle ukrainienne a confirmé au Washington Post qu’aucun soldat ukrainien n’avait traversé la frontière : Kiev n’agit qu’en support de ces groupuscules dissidents.

Harcèlement généralisé pour préparer un effondrement ?

Qu’est-ce que l’Ukraine espère donc gagner avec ce genre d’actions risquées, qui monopolisent des auxiliaires et du matériel qui pourraient être utiles ailleurs ? On peut esquisser quelques éléments de réponse.

  • Saper l’image du Kremlin : en démontrant aux Russes frontaliers que le pouvoir de Moscou n’est pas capable de les protéger, malgré ses démonstrations de force, et les 125 millions de dollars investis pour renforcer les défenses de la région de Belgorod. C’est l’image de Poutine comme protecteur de la nation qui est directement attaquée.
  • Forcer les Russes à regarnir leur frontière : si les incursions se multiplient, l’armée russe devra redéployer une partie de ses forces en conséquence, la police et les troupes de gardes-frontière ne suffisant visiblement pas.
  • Empêcher les troupes au repos de se sentir en sécurité : ces soldats sont déjà sur la défensive sur un front continu face à une armée ukrainienne qui annonce une contre-attaque depuis des mois. Les soldats ne peuvent déjà pas être partout. Ils seront d’autant moins disponibles quand la véritable attaque viendra. Sans parler de l’impact sur leur moral : s’ils rentrent chez eux, c’est pour tenir une autre défense, et contre des compatriotes.
  • Couper les lignes logistiques et semer la panique sur les arrières : Belgorod est un nœud vital du ravitaillement russe où, ces derniers mois, les trains ont tendance à dérailler. Tout ce qui se retrouve bloqué ou détruit du côté russe de la frontière n’arrive pas sur le front. De plus, la simple idée que des embuscades sont possibles ne peut que saper le moral et causer des accidents entre troupes russes. C’est d’autant plus crédible si, comme l’affirment certaines rumeurs, les attaquants ont capturé des uniformes de gardes-frontière russes.

Le narratif est ici d’autant plus important : le Kremlin peut espérer rallier sa population derrière le drapeau s’il insiste que les attaquants étaient ukrainiens, et qu’il a pu les repousser. Face à des opposants russes en arme, les discours sur l’unité nationale ne tiennent toutefois plus.

« C’est un miroir de la situation créée par la Russie en Crimée et dans le Donbass en 2014, lorsque la Russie a envoyé des soldats avec des uniformes non marqués et que le Kremlin a nié toute affiliation avec les combattants. »

Yuriy Karin, analyste au sein d’un groupe de démystification de la propagande russe, cité par le Washington Post
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