Acheter du gaz russe avec des roubles seulement, qu’est ce que ça change ?

Ce mercredi, le président russe Vladimir Poutine n’a pas techniquement joué avec la vanne de gaz, mais c’est tout comme : il a déclaré qu’à partir de maintenant, son pays n’accepterait plus que les paiements effectués dans sa monnaie nationale, le rouble. Une mesure purement vexatoire envers les occidentaux ? Pas forcément.

En annonçant que le gaz russe ne serait plus accessible aux Occidentaux que s’ils le payaient en roubles, et non plus en euros et en dollars, le président russe n’a pas pris qu’une mesure symbolique, et pas que vers l’ouest ; il a octroyé un délai d’une semaine aux autorités russes pour élaborer tout un nouveau système de transaction. Mais pour le marché de l’énergie et les relations internationales, qu’est ce que ça change ?

Renforcer le rouble et mettre la pression sur l’ouest. La valeur de la devise russe s’était effondrée depuis l’invasion du 24 février dernier. Mais en donnant une raison aux opérateurs étrangers d’acheter des roubles, même contraints et forcés, le président russe renforce sa valeur sur le marché : celle-ci vient de se renforcer face à l’euro et au dollar. Alors qu’un rouble valait 0,0069 euro le 22 mars, il est depuis remonté à 0,0093. Si les Occidentaux refusent ces nouvelles conditions, ils n’auront plus de gaz russe. S’ils l’acceptent, ils soutiendront alors le cours du rouble et annuleront une partie de l’effet des sanctions économiques.

Se rendre moins dépendant du dollar et renforcer l’autarcie. Ce n’est pas nouveau : Moscou cherche depuis longtemps à restreindre la dépendance de son économie à la valeur dominante, le dollar américain, afin de la rendre moins vulnérable à d’éventuelles sanctions rappelle BFM Business. C’est aussi une manière d’effriter cette domination du billet vert en imposant l’usage d’autres monnaies sur la scène internationale. Une stratégie qui, toutefois, a peu de chance d’avoir grand effet si d’autres pays ne suivent pas ; le rouble n’étant pas spécialement intéressant pour d’autres pays qui pourraient être tentés par une alternative.

Une manière d’empêcher les entreprises russes d’accumuler des dollars ? Antoine Levy, professeur au MIT Economics, considère que d’un point de vue économique, la différence est quasiment anecdotique: « Actuellement, l’importateur européen avec ses dollars qui veut acheter du gaz russe envoie ses dollars à Gazprom, qui lui envoie son gaz. Gazprom doit payer ses salaires et coûts en roubles, et vend ses dollars à la banque centrale de Russie contre des roubles. La banque russe doit vendre ses dollars à la banque centrale contre des roubles (obligatoire depuis mars). Le résultat est exactement le même. L’Union européenne a moins de dollars et plus de gaz, Gazprom moins de gaz et plus de roubles, la banque centrale de Russie plus de dollars. A la rigueur, c’est un moyen pour Poutine de s’assurer que les entreprises russes comme Gazprom ne trichent pas en gardant des dollars pour elles, c’est une règle anti-oligarques. » Une manière donc de s’assurer que certains ne se constituent pas un pécule de devises étrangères en prévision des crises à venir.

Mettre les Occidentaux au défi ? La décision de Vladimir Poutine est peut-être, au moins en partie, une manière de rappeler à l’Europe que c’est en Russie que se trouve la vanne à gaz, et que si les Occidentaux veulent de l’énergie, ils doivent suivre les règles du fournisseur. Un quitte ou double en somme : nous faire avouer que nos menaces d’embargo ne sont en fait que du bluff. Un coup de poker qui peut sembler intéressant maintenant, mais qui, à terme, ne ferait qu’inciter les Européens à trouver de nouvelles sources d’énergie pour remplacer leur dépendance au gaz russe. Et donc un pari perdant pour Poutine.

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