L’eau et le feu. Ce sera la confrontation de demain, lorsque, au sommet sur le climat de Glasgow, la ministre flamande de l’Environnement Zuhal Demir (N-VA) sera opposée à trois ministres Ecolo. Pour la partie fédérale, on retrouve Zakia Khattabi, pour la Wallonie Philippe Henry et pour Bruxelles Alain Maron. La Flandre, avec l’Open Vld et le CD&V au gouvernement, a fixé le plafond à 40 % de réduction de CO2. Mais la Belgique, selon les derniers plans de l’UE, doit atteindre 47 %. Demir souhaite que ces plans soient révisés au sein de l’Europe. Selon elle, l’Europe de l’Est doit faire plus. Khattabi ne veut pas en entendre parler. Cela place le CD&V, mais surtout l’Open Vld, dans une position très difficile : vont-ils défendre le point de vue fédéral ou le point de vue flamand ?
Dans l’actualité : le sommet de Glasgow entame sa deuxième partie. C’est l’heure du concret: objectifs climatiques et énergétiques.
Les détails : la Belgique n’a pas de position unanime.
- C’est le sujet le plus brûlant du moment. Vendredi dernier, in extrémis, le gouvernement flamand a présenté un plan climatique contenant un certain nombre de nouveautés marquantes : plus de combustibles fossiles dans les nouvelles voitures à partir de 2029 et plus de gaz et de mazout dans les nouveaux bâtiments à partir de 2023, ainsi que la rénovation obligatoire de toutes les maisons mal isolées qui sont vendues.
- Mais sur le plan politique, le gouvernement flamand a envoyé un autre message : la Flandre ambitionne une réduction de 40 % des émissions de CO2. La N-VA, mais aussi CD&V et Open Vld ne voulaient pas aller plus loin. La Flandre est pourtant la région la plus riche et la plus émettrice de CO2 du pays.
- Le gouvernement flamand rabâche en fait le même argument : « Les réductions doivent être effectuées de la manière la plus efficace possible, là où elles coûtent le moins. C’est possible en Belgique, mais il faut aussi un réexamen au sein de l’UE. Il est inacceptable que des pays comme la Bulgarie ne doivent réduire leurs émissions que de 10 %, et la Roumanie d’à peine 12,7 %, alors que nous, avec la Belgique, devons les réduire de 47 %. » La note de Zuhal Demir, la ministre flamande compétente, a également reçu l’approbation du CD&V et d’Open Vld vendredi.
- Cette position n’est pas nouvelle, mais elle place inévitablement la Flandre en collision avec les autres entités de la Belgique. Lors de la COP26, le sommet sur le climat qui se tiendra à Glasgow, la Belgique devra finalement indiquer clairement ce qu’elle compte faire. Les ministres compétents sont censés en discuter lors du sommet. Mais Demir, qui ne sera pas présente sur place pour cause d’un cas Covid dans son cabinet – botte déjà en touche, affirmant qu' »elle n’a pas de mandat pour faire plus que ces 40 % ».
- En face d’elle, un trio de trois ministres du climat d’Ecolo, dont Zakia Khattabi en tant que chef de file fédérale. Le fait que la réunion de demain doive se dérouler par téléconférence ne facilitera certainement pas les choses.
Le contexte : Les hostilités verbales se sont succédées tout au long du week-end.
- Vendredi soir déjà, Khattabi réagissait dans une rare interview en néerlandais sur Terzake. Et la réaction a été brutale: « Le fossé que creuse la Flandre est infranchissable pour Bruxelles et la Wallonie, qui ont indiqué qu’elles iraient jusqu’aux objectifs européens », a-t-elle déclaré. Elle a immédiatement fait remarquer qu’il n’y aurait alors guère d’autre choix que d’acheter des droits d’émission de CO2 ailleurs.
- Khattabi poursuit : « 60 % des émissions se font maintenant en Flandre. » Et les mesures qui sont prises, telles que parvenir à flotte de voitures électriques importante, relèvent en fait (en partie) de la compétence fédérale : la Flandre doit donc obtenir une « permission » du niveau fédéral, et du ministre compétent, Georges Gilkinet (également d’Ecolo). « Si en plus les mesures fédérales sont déjà incluses dans ces 40 %, la Flandre fait beaucoup moins que ce qu’elle prétend. »
- Un jour plus tard, la ministre fédérale de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Groen) renchérissait dans le Het Nieuwsblad: « Le (plan flamand) me frustre énormément. Il n’est pas assez ambitieux et pas assez élaboré. Vous ne pouvez pas imposer vos choix politiques à la population. »
- Et Van der Straeten d’aller encore plus loin : « Nous n’avons pas dû revenir rapidement de vacances pour concocter des mesures climatiques », a-t-elle lancé, faisant référence au fait que les négociations flamandes ont traîné à cause des vacances d’automne, au point que Demir elle-même, mais aussi le vice-ministre-président flamand Bart Somers (Open Vld) sont partis quelques jours en voyage (en avion).
- « C’est vrai, Tinne, et vous, vous avez rapidement approuvé des milliards de subventions pour les centrales à gaz et plus d’émissions de CO2 juste avant le sommet sur le climat », a rétorqué Demir sur Twitter. Plus tôt, elle avait également répondu à Khattabi dans la même veine: « Là où la Flandre opte pour moins de CO2, la Vivaldi opte pour des centrales à gaz fossiles supplémentaires avec l’argent des impôts. Le fait que Khattabi n’apprécie pas notre plan est plutôt rassurant. »
- Le gouvernement flamand s’est justifié par le fait que ses plans, contrairement aux niveaux fédéral, mais aussi wallon et bruxellois, contiennent des mesures beaucoup plus concrètes. La réaction de Fawaz Al Bitar, de la Fédération francophone des producteurs d’énergie renouvelable, a donc été plus que bien accueilli par Demir et consorts : « Le gouvernement flamand envoie un message fort à la Wallonie avec son plan, car nous n’avons pas encore vu beaucoup de concret de la part du gouvernement wallon. »
- Jan Jambon (N-VA), le ministre-président flamand, s’est ensuite rendu dimanche à VTM pour répliquer au gouvernement fédéral :
- « Nous n’avons aucune leçon à recevoir de Tinne Van der Straeten, une ministre qui veut installer des centrales à gaz supplémentaires. Elle doit faire son examen de conscience. »
- « Nous allons à Glasgow avec un plan comportant des mesures efficaces. D’autres ne partent qu’avec des promesses vides. »
- « Nous avons mis sur la table 40 mesures supplémentaires. Où est le plan fédéral ? Où sont les mesures concrètes ? Si le niveau fédéral devait prendre des mesures supplémentaires, ces 40 % en Flandre augmenteraient également. »
L’essentiel : les querelles belges nous déconcentrent du vrai enjeu de ce Sommet pour le climat.
- À Paris, lors du sommet sur le climat de 2015, la Belgique a été vivement critiquée, car, en tant que pays fédéral, elle n’a pas su présenter de plan commun. L’ONG ‘Climate Action Network’ nous avait alors décerné le prix ‘Fossil of the Day’. À là COP 25, également, la Belgique s’était fait à nouveau remarquer négativement.
- Cette fois, l’UE négocie comme un seul bloc. Alors pourquoi donc est-ce qu’un si petit État membre se chamaille? La vraie discussion se fera au niveau des grands blocs : la Chine et l’Inde sont-elles prêtes à se débarrasser progressivement de leur dépendance au charbon ? Et quels efforts les États-Unis vont-ils enfin faire ? L’UE en tout ne représente actuellement que 9% des émissions mondiales de CO2.
- Ainsi, Demir, Khattabi, Maron et Henry peuvent se disputer tant qu’ils veulent sur Zoom. Ils n’ont même pas vraiment besoin d’être d’accord. La pression n’est pas sur les épaules de la Belgique que personne ne regarde. Sauf peut-être la presse qui consédirera que c’est « une honte » si le pays fédéral ne parvient pas à un accord commun.
- Plus intéressante est la question de la position prise par le CD&V et l’Open Vld dans l’ensemble de la discussion : au gouvernement flamand, avec la N-VA, ils ont fixé la limite à 40% . Au gouvernement fédéral, ils poussent avec les Verts à 47% pour toute la Belgique.
L’analyse : Libéraux et Verts pêche dans des bassins électoraux qui se chevauchent. Mais l’approche pour pêcher l’électeur de l’autre est très différente du côté flamand et francophone.
- Il ne faut pas s’étonner que l’Open Vld penche du côté « vert ». En tant que leader de la coalition Vivaldi, le Premier ministre De Croo s’est profilé dès le début sur des thèmes comme le climat. Le but est d’adopter un discours «plus progressif» par rapport au grand rival, la N-VA, conservatrice, qui ne fait que prôner le «réalisme climatique».
- Dans le gouvernement flamand, avec Bart Somers (Open Vld), mais aussi au Parlement flamand, avec Willem-Frederik Schiltz (Open Vld), on retrouve des lieutenants qui suivent depuis longtemps une ligne « verte ». Des libéraux de gauche progressistes ont par ailleurs remporté une victoire électorale majeure l’année dernière, dans le pays voisin, aux Pays-Bas, en partie aux dépens de Groen-Links.
- Ce n’est pas surprenant : traditionnellement, les électeurs verts sont également plus instruits, ont des revenus plus élevés et font partie de la classe moyenne supérieure. « Si vous avez de l’argent, vous votez vert », est la boutade avec laquelle les socialistes parlent parfois d’électeurs écologistes. Mais les libéraux les plus progressistes peuvent certainement revendiquer ces électeurs, qui plus est dans un projet libéral-progressiste autour du Premier ministre De Croo. Ce n’est un secret pour personne que les libéraux flamands y réfléchissent.
- Pendant longtemps, au niveau fédéral, un groupe bleu foncé était aux manettes. On y retrouvait notamment Vincent Van Quickenborne (Open Vld) et Egbert Lachaert (Open Vld). En 2019, ils expliquaient à quel point les Verts devraient recracher leur programme pour envisager une coalition avec eux. Mais depuis la Vivaldi, les deux ont radicalement changé de cap, et l’Open Vld a pris un tournant plus vert au niveau fédéral.
- Lors de son élection, le président de l’Open VLD se montrait encore catégorique sur les centrales nucléaires: il fallait les prolonger. Cette position est désormais proclamée avec beaucoup moins de véhémence. Tout au plus, l’Open Vld lance l’idée d’une nouvelle génération de ‘petits réacteurs sûrs’, sans beaucoup de concret.
- C’est complètement différent du côté francophone. Là-bas, le MR a perdu beaucoup d’électeurs au profit d’Ecolo, certainement à Bruxelles : le basculement électoral a été particulièrement net dans les communes les plus riches de la capitale. Le président Georges-Louis Bouchez (MR) a réagi en attaquant Ecolo sur pratiquement tous les dossiers. Encore une fois, il n’allait donc pas manquer cette occasion d’attaquer Ecolo sur son terrain.
- Ce matin encore. Dans un entretien marathon de trois heures avec Le Soir, il n’a qu’une obsession majeure : les centrales nucléaires doivent rester ouvertes. Et plus encore : il n’exclut pas l’idée de nouvelles centrales. Le même argument est toujours avancé : les émissions supplémentaires de CO2 des centrales au gaz sont contraires à toute logique: « Le nucléaire est une mauvaise solution. Mais émettre plus de CO2 avec les centrales électriques au gaz, c’est encore pire. »
- Il défie à nouveau la Vivaldi : « Deux centrales nucléaires peuvent rester ouvertes, et de nouvelles centrales nucléaires doivent être construites », dit-il.
- Mais si vous lisez attentivement entre les lignes, vous verrez qu’il retire aussi un peu le pied : B Que je débranche la prise ? Si je le fais, la loi s’appliquera quand même, et on ne sera peut-être pas en capacité d’assurer la sécurité d’approvisionnement du pays. Si je branche mon cerveau, je dois donc réunir une majorité, même alternative, pour changer cette loi. J’ai fait le calcul : il y a N-VA, CDH, Défi et nous. Ce n’est pas suffisant. »
- Mais il précise donc explicitement que l’Open Vld n’est pas prêt à inverser cette sortie du nucléaire : plutôt embarrassant pour Lachaert. Après tout, il met en lumière une position différente entre libéraux flamands et francophones.
- Les socialistes ne sont pas particulièrement enthousiasmés par une sortie du nucléaire. Dans les cercles gouvernementaux, c’est un secret de polichinelle: «Si certains répétaient dans le journal ce qu’ils me disent informellement, j’aurais plus d’amis. Beaucoup se posent des questions », laisse entendre Bouchez.
- Le dossier de la sortie du nucléaire reste coincé au sein du Kern du gouvernement De Croo. A la lumière du sommet sur le climat, et des analyses qui l’accompagnent sur la nécessité d’un revirement radical, la construction des centrales au gaz reste un dossier extrêmement difficile pour la Vivaldi. Surtout avec une telle opposition en interne.