1,4 milliard d’euros en moins pour la Belgique dans le cadre du plan de relance de l’UE, mais qui comblera le vide ? Di Rupo veut que le manque à gagner soit payé par le niveau fédéral, le PS fait pression sur la Vivaldi

Dans les coulisses de la Vivaldi, un marchandage à plusieurs milliards se déroule autour de l’argent européen. Sur le grand plan de relance de 750 milliards d’euros de l’UE, la Belgique a reçu initialement 5,9 milliards, pour toutes sortes d’investissements à long terme. Mais comme la Belgique a obtenu de meilleurs résultats sur un certain nombre de paramètres, comme le chômage, elle reçoit finalement 1,4 milliard d’euros de moins. Un problème : ces 5,9 milliards étaient, sous l’égide du secrétaire d’État à la Relance Thomas Dermine (PS), déjà soigneusement répartis entre les entités fédérées et le niveau fédéral. Qui va combler la différence maintenant ? Les gouvernements flamand et fédéral ont déjà prévu dans leur budget de compenser le manque à gagner. Mais la Wallonie et la Communauté française disent « non » : Elio Di Rupo (PS), le ministre-président wallon, veut que la répartition de ce « déficit » se fasse selon les paramètres européens traditionnels, qui sont beaucoup plus favorables à la Wallonie.

Dans l’actualité : « Le gouvernement fédéral doit respecter ses engagements et financer sa propre politique en faveur des Wallons », a déclaré Paul Magnette (PS) lors de son congrès wallon ce week-end.

Les détails : La discussion sur la répartition de l’argent européen, cette fois dans un sens négatif, braque la rue de la Loi.

  • Un exercice de marchandage typiquement belge, principalement entre les ministres-présidents, les présidents de parti, le Premier ministre et le secrétaire d’État à la Relance. Il s’est déroulé un peu dans l’ombre au tournant de l’année 2020-2021, lorsque la Belgique a dû distribuer les milliards du plan européen de relance.
  • Ce fonds, un soutien économique sans précédent, a été prévu à l’origine pour faire face à la crise sanitaire : pas moins de 750 milliards d’euros ont été injectés par l’UE et la BCE.
  • La répartition de cet argent provenant de ce qui est officiellement appelé le « mécanisme européen de relance et de résilience », qui vise principalement à stimuler le verdissement de l’économie et la transition numérique, a bien sûr fait l’objet de batailles acharnées au niveau européen. En fin de compte, il s’est largement déroulé selon les mêmes principes que d’autres fonds européens tels que le Fonds de transition ou le Fonds de cohésion : les États membres pauvres d’Europe du Sud et de l’Est ont reçu beaucoup plus. L’Espagne et l’Italie ont donc été les gagnants absolus. La Belgique, en raison de l’utilisation de ces paramètres, qui ne tenaient en fait que peu compte de l’impact économique de la crise sanitaire, s’en est tirée à bon compte, avec 5,9 milliards.
  • Ce montant a ensuite donné lieu à toute une discussion en Belgique : qui allait obtenir quoi ? La Flandre a demandé la moitié, car elle était proportionnellement beaucoup plus touchée économiquement par la crise corona. Le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) et les ministres-présidents ont finalement conclu un accord. Il en est ressorti que Jan Jambon (N-VA) et Elio Di Rupo (PS) avaient plutôt bien négocié, et que Rudi Vervoort (PS), le ministre-président bruxellois, beaucoup moins. La distribution de l’argent pour toutes sortes de projets de relance s’est organisé comme suit en janvier 2021 :
    • Fédéral : 1,25 milliard ou 21%.
    • Flandre : 2,25 milliards, soit 38%.
    • Wallonie : 1,48 milliard ou 25%.
    • Communauté française : 495 millions ou 8%.
    • Bruxelles : 395 millions, soit 7 %.
    • Communauté germanophone : 50 millions ou 1 %.
  • Mais il y avait un gros hic : l’Europe a réactualisé ses paramètres pour déterminer qui à avait réellement besoin de cet argent. Et regardez : l’économie belge s’est rétablie plus rapidement que prévu, certainement en ce qui concerne le marché du travail (qui était déjà en surchauffe), et donc fin 2021, la Commission a une nouvelle fois ajusté ses chiffres. Il ne restait plus que 4,55 milliards d’euros pour la Belgique : une réduction soudaine de 1,4 milliard d’euros, pour des projets qui avaient déjà été engagés. D’ici la fin du mois, d’ailleurs, la Commission fixera le chiffre définitif.
  • « En fait, c’est une bonne nouvelle », avait tenté de rassurer le secrétaire d’État Thomas Dermine dans l’hémicycle. Mais cela n’a pas pu cacher le fait qu’en coulisses une discussion acharnée a éclaté, qui fait rage jusqu’à aujourd’hui : qui va combler ce « trou » de 1,4 milliard d’euros qui n’est finalement pas là ?

L’essentiel : Elio Di Rupo ne veut pas compenser la perte dans son intégralité : la Wallonie demande une clé de répartition différente.

  • Dans les projections fédérales, la secrétaire d’État au budget Eva De Bleeker (Open Vld) a déjà inclus ce revers : la Belgique perd près d’un quart de l’argent européen. Mais les projets de relance doivent se poursuivre. Ainsi, concernant leur part de l’enveloppe de 1,4 milliard d’euros, ils ont budgétisé 21 % pour le niveau fédéral, soit une provision de près de 300 millions. La Flandre a fait de même : elle manquera plus d’un demi-milliard d’euros à cause de la réduction européenne.
  • Mais du côté francophone, les choses sont différentes. On a le sentiment que la Belgique ne s’en est pas bien tirée, avec « seulement » 5,9 milliards, alors que la Wallonie et Bruxelles sont économiquement bien plus mal loties. Si les paramètres qui s’appliquent à l’Espagne et à l’Italie avaient été utilisés pour ces régions, les montants du soutien européen auraient été très différents. Le coronavirus et son impact ne semblent plus vraiment avoir d’importance, mais les paramètres à plus long terme en ont.
  • Di Rupo demande donc, comme la Fédération Wallonie-Bruxelles, que les mêmes paramètres européens soient désormais utilisés pour combler l’écart de 1,4 milliard. Ou que le niveau fédéral fasse au moins un effort plus substantiel. Le PS est, bien sûr, sur cette ligne : la solidarité avec les régions les plus faibles.
  • Ceci explique pourquoi le président du PS, Paul Magnette, parle soudainement du fait que « le gouvernement fédéral doit financer sa propre politique en faveur des Wallons » : sinon, les plans de relance fédéraux risquent de devenir un nœud financier supplémentaire autour du cou de la Wallonie.
  • Il ne s’agit pas de petits montants, bien sûr. Car si la répartition précédente est faite, la Wallonie devra soudainement payer 350 millions, la Communauté française 120 millions et Bruxelles 100 millions.

Et il y a plus : l’histoire risque de se répéter, avec le nouveau plan européen, REPowerEU.

  • C’est le Conseil supérieur des finances qui, en avril, a fermement nuancé cette histoire de plan de relance. Dans un rapport, ils ont écrit à l’époque : « Le plan de relance européen n’est pas un repas gratuit pour les États membres. Les États membres devront fournir les ressources par différents canaux pour financer ce plan et rembourser les dettes contractées par la Commission européenne au nom de l’UE. »
  • Et ce qui est encore plus punitif, c’est que le Conseil supérieur de la Justice a littéralement déclaré que la Belgique avait fait du mauvais travail : « Tous les États membres ne sont pas en positif. Pour certains, dont la Belgique, le solde est négatif, ce qui implique qu’ils contribueront finalement plus que les mesures de soutien reçues et qu’ils apporteront donc, au final, une contribution nette au plan de relance européen. »
  • Cela a entraîné une réaction féroce du secrétaire d’État à la Relance, Thomas Dermine : « Ce n’est pas un déjeuner gratuit, mais un déjeuner sain, et un déjeuner bon marché pour nous », a-t-il déclaré. Il a souligné l’effet le plus important pour l’économie belge : en tant qu’économie très ouverte, elle bénéficie immédiatement d’une reprise économique européenne dans son ensemble.
  • Mais bientôt, la Commission européenne va à nouveau distribuer des fonds, en raison de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique qui l’accompagne. L’UE doit se mettre au vert encore plus rapidement. L’argent est déjà prêt pour cela : environ 20 milliards d’euros, par le biais du plan REPowerEU.
  • Seulement, les clés de répartition qui seront utilisées n’annoncent rien de bon : si les paramètres économiques sont les mêmes que pour le Fonds de relance, la Belgique se retrouvera avec une enveloppe assez maigre de 270 millions. Or, si l’on tient compte de la réalité et du verdissement nécessaire sur le marché énergétique belge, la Belgique pourrait espérer plus d’un demi-milliard d’euros. Il faudra donc, là aussi, exercer un lobbying sérieux, en espérant que la Vivaldi aura plus de succès que la dernière fois.
  • Ce matin, Dermine est venu apporter des éclaircissements sur ce dossier à la Chambre. Des questions ont également été posées sur la coûteuse campagne de communication que le Secrétaire d’Etat a lancée, avec très peu d’impact, pour promouvoir son plan de relance « Next Gen Belgium ». Le site web et les vidéos sont bien conçus, mais la question reste de savoir quelle est la valeur ajoutée pour le citoyen.

La vue d’ensemble : nous sommes à court d’argent. La dette nationale menace de dérailler pour atteindre 130 % du PIB d’ici à 2030.

  • En ce moment même : un message sans équivoque pour l’ensemble du pays est adressé par la Banque nationale. Hier, à la Chambre, Stefan Van Parys, le monsieur dette de BNB, est venu mettre les points sur les i. Et il n’avait pas tort: la dette nationale de la Belgique menace réellement d’exploser dans les années à venir, avec une trajectoire vers un ratio dette/PIB de 130 % d’ici 2030.
  • C’est plus que symbolique ; juste avant la crise bancaire de 2008, la dette nationale était passée sous la barre des 100 % pour la première fois depuis des années. Puis elle est remontée en flèche, pour retomber sous la barre des 100 % juste avant la crise sanitaire. Depuis lors, le dérapage est total : le gouvernement a dû puiser dans ses poches lors de la crise sanitaire, mais aussi pour faire face aux inondations du côté wallon. Seul point positif : l’inflation galopante enrichit les finances publiques et ronge la dette.
  • Mais il y a pire : alors que la Belgique est aujourd’hui confrontée à un déficit budgétaire de 5 %, en raison de cette même crise sanitaire et de la crise ukrainienne, la Banque nationale ne voit pas ce déficit se résorber.
  • Car il y a aussi le coût du vieillissement de la population et l’augmentation des pensions : le solde primaire (ce que vous dépensez sans les d’intérêt) reste donc négatif.
  • Et à cela s’ajoutent donc les taux d’intérêt, qui augmentera inévitablement car la Banque centrale européenne doit lutter contre l’inflation. C’est là que la Banque nationale voit un effet boule de neige : le coût pourrait atteindre 3% du PIB d’ici 2030, rien qu’en intérêts sur la dette. Les projections aboutissent donc à un chiffre de 130 %, ce qui correspond à la situation italienne ou grecque. Selon les normes européennes de la zone euro, seul un ratio d’endettement de 60% est autorisé comme plafond. Mais le plus important pour la Commission est la tendance : la dette va-t-elle augmenter ou diminuer ?
  • Pour Van Parys, c’est très clair : pour l’instant, notre dette est de 105 %, mais elle menace d’augmenter. L’économiste a souligné que le moment des taux d’intérêt bas n’a pas été suffisamment utilisé pour réduire cette dette. Et maintenant, un nouveau choc économique menace de faire déraper les choses.
  • Cet après-midi, le budget fédéral sera à nouveau discuté dans l’hémicycle. Le Premier ministre De Croo et son équipe voulaient initialement inclure une discussion sur le budget dans le fameux « accord d’été », mais il est désormais douteux qu’il réussisse l’exercice, avec un gouvernement fédéral en difficulté. Un débat en plénière devrait permettre de fournir quelques explications.
  • Pour l’opposition, Sander Loones (N-VA) est prêt à la critique : « Quand De Croo va-t-il enfin se réveiller ? Bientôt, le contrôle du budget sera voté, mais il n’a absolument rien sous contrôle, le budget déraille encore, en quelques mois quatre-milliards de dépenses supplémentaires seront ajoutés. Les rapports négatifs s’accumulent également. Outre l’OCDE, la Commission européenne, le FMI et l’Agence de la dette, la Banque nationale avertit désormais que la dette nationale pourrait exploser à 130 % et plus dans les années à venir. Qui va continuer à payer pour tout cela ? »
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